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«Accor doit redevenir leader sur l'innovation»

Une nouvelle signature, des marques modernisées, un programme de fidélité renforcé... Aux manettes du groupe Accor avec Denis Hennequin, lui aussi transfuge de McDonald's, Grégoire Champetier donne un nouveau souffle au leader européen de l'hôtellerie.

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Marketing Magazine. Vous êtes passé d'un groupe international présent en France (McDonald's) à un groupe français qui se développe à l'international. Appliquez-vous les mêmes méthodes?

Grégoire Champetier: J'ai changé de perspective. En tant que directeur marketing France puis Europe du Sud de McDonald's, j'ai respecté les fondamentaux de la marque, tout en les adaptant aux spécificités locales. La France, l'Italie et l'Espagne ne sont pas des pays de fast-food: la relation à la restauration rapide y est différente de celle des pays anglo-saxons. Il a fallu convaincre le centre de décision de l'entreprise d'adapter l'offre, l'architecture et la configuration des restaurants, ainsi que les modes de services. Aujourd'hui, je me retrouve dans un poste corporate. Je veux maintenir le bon équilibre pour qu'Accor soit une marque «GloCale», à la fois globale et locale. Mais je ne verserai pas dans une décentralisation excessive. La ligne stratégique, définie par le siège, est ce qui donne aux marques leur constance et leur force.

Comment allez-vous mettre cette philosophie en pratique chez Accor?

Nos marques ont un peu vieilli. Il faut les rendre plus contemporaines, plus offensives dans leur communication, plus audacieuses dans leur design et plus innovantes dans leur offre de services. Nous ne sommes pas assez chinois en Chine, indiens en Inde ou brésiliens au Brésil.

Renforcer l'ADN de nos marques constitue notre priorité afin de nous adapter à la réalité du marché et aux attentes de nos clients... Ces derniers sont à la recherche de bien-être et de modernité, qu'ils soient à Shanghai ou à São Paulo. Nous avions une approche très fonctionnelle et très normée de la configuration de nos espaces hôteliers. Il faut injecter plus d'expérience, d'émotion et de sensation, Accor doit redevenir leader sur l'innovation.

Quelles sont les principales attentes de vos clients, aujourd'hui?

Les consommateurs recherchent la beauté. C'est une aspiration universelle et cela constitue la première source de plaisir. Mon père était architecte et ma mère conférencière de musée. Je suis donc particulièrement sensible à cette dimension.

Nous voulons faire de nos hôtels, des lieux valorisants pour nos clients. Ils doivent trouver beau et moderne chaque hôtel du groupe. Ensuite, il convient bien sûr de mettre l'accent sur l'accueil, le service et l'attention du personnel. Steve Jobs a montré la voie en militant pour le beau, la fluidité et le design. C'est comme cela qu'il a révolutionné l'informatique. Les marques qui maîtrisent leur marché maîtrisent le design.

Je défends aussi beaucoup l'idée de la désegmentation du marché. Il n'y a pas d'un côté les marques de luxe et de l'autre des marques low cost, qui ne répondraient qu'à des critères de prix et de fonctionnalité. C'est ce que voulait montrer la campagne publicitaire que nous avons lancée cet été pour Ibis: «Il n'y a pas que le prix qui va vous détendre»Un réceptionniste de l'hôtel chantait une comptine à un enfant pour l'endormir dans sa chambre.. Les attentes des consommateurs ont profondément évolué et cette segmentation verticale n'a plus cours. Toutes nos marques, sur n'importe quel segment de marché, doivent être capables de créer ce lien émotionnel et d'offrir à leurs clients des espaces contemporains et design.

Accor recentre sa gamme économique sur la marque unique Ibis. All Seasons, pourtant créée il y a quatre ans, et Etap Hotel vont disparaître au profit d'Ibis Budget et d'Ibis Styles. Pourquoi ce pari?

Nous faisons ce que font beaucoup de marques actuellement. Il suffit de voir l'exemple de Total, qui vient de faire disparaître Elf au profit de sa nouvelle marque, Low Cost Total Access. Nous rationalisons notre portefeuille pour nous rassembler derrière les marques les plus puissantes, celles qui ont le rayonnement le plus important et la plus forte notoriété. C'est une démarche de bon sens. Sur le segment de l'hôtellerie économique, nous avions une marque puissante, en phase avec l'imaginaire de notre clientèle, Ibis. Etap ou All Seasons n'avaient pas le même potentiel: la première parce que son offre reste impersonnelle, la seconde parce qu'elle compte un réseau restreint et exploité en franchise. Le fait de tout mettre sous l'enseigne Ibis nous donnera le meilleur de chaque univers. C'est en renforçant nos marques que nous apportons des solutions attractives à nos franchisés43 % du parc d'hôtellerie low cost sont exploités en franchise.. Nous ne nous contentons d'ailleurs pas d'un simple rebranding. Nous lançons un véritable plan de modernisation et d'amélioration du confort. Marque par marque, avec une organisation verticale, nous allons engager la reconfiguration des espaces d'accueil, de notre offre de restauration et des technologies consommateurs.

Grégoire Champetier, Accor

Grégoire Champetier, Accor

Parcours

Agé de 47 ans, Grégoire Champetier est diplômé de l'Essec et de l'IEP de Paris.


1992: Il rejoint Publicis Conseil, après avoir démarré sa carrière au sein du Comité d'organisation des Jeux Olympiques d'hiver d'Albertville.


1996: Il entre dans le groupe publicitaire BDDP, dont il devient directeur associé en 1998.


2001: Il est nommé directeur du marketing, de la communication et des études France de McDonald's.


2008: Grégoire Champetier prend la présidence de Publicis Activ.


2010: Il devient président du directoire d'Alain Afflelou.


2011: Il rentre chez Accor comme directeur général marketing.

Accor a désormais une nouvelle signature «Open new frontiers in hospitality». Pourquoi vouloir mettre en avant votre marque corporate?

Elle incarne les nouvelles ambitions du groupe: réaffirmer l'esprit d'innovation, inscrit dans les gènes de l'entreprise, et imaginer de nouvelles formes d'hospitalité, notamment digitales. Suite à la cession du groupe Lucien Barrière et du traiteur Lenôtre, Accor est un groupe hôtelier à 100 %. C'était l'occasion de redéfinir notre vocation et notre ambition. Accor, ce n'est pas seulement un groupe du CAC 40, c'est aussi une politique active de ressources humaines, des actions en faveur du développement durable et une expertise reconnue dans l'ingénierie hôtelière. Nos partenaires, investisseurs, franchisés et propriétaires, connaissent nos principes d'action. Il est très important que derrière les marques commerciales (Sofitel, Mercure, Ibis, etc.), la marque corporate incarne nos valeurs.

«Toutes nos marques doivent offrir à leurs clients des espaces contemporains et design.»

Accor est-elle une «marque ombrelle» qui vous permet de toucher tous les consommateurs, quelles que soient les circonstances de leur déplacement?

Nous opérons sous différentes marques commerciales. Mais le consommateur, lui, a une approche différente. Il viendra en voyage de noces dans un hôtel de luxe Sofitel, passera une nuit dans un Novotel pour affaires, partira en vacances dans un Ibis ou en week-end avec l'enseigne Mercure... Avec la marque corporate Accor, nous disposons d'un outil de fidélisation multimarque pour les consommateurs. Aujourd'hui, 24 % des ventes du groupe se font via le Web. Nous avons un besoin impérieux d'augmenter la notoriété de la marque Accor, soit au travers de notre site Accorhotel.com, qui est le premier site de réservation hôtelière en France, avec plus de 7 millions de visites uniques par mois dans le monde, soit via notre programme de fidélité AClub, qui va s'appeler Le Club Accor Hôtels.

Quels sont vos projets pour Le Club Accor Hôtels?

Nous voulons faire de ce programme une référence. Accor compte 7,4 millions d'adhérents dans le monde, Marriott 23 millions et Intercontinental 40 millions, car les Américains ont une longue tradition de gestion de la relation client et de fidélisation. Actuellement, notre programme est valable dans 2 300 hôtels pour dix marques différentes, de l'économique au luxe.

Avoir une marque forte n'est-elle pas une condition sine qua non pour peser face aux pure players de la réservation en ligne?

Dans la distribution de services hôteliers, les acteurs comme Booking.com ou Expedia, ceux que l'on nomme les Olta (on line travel agencies), sont devenus des acteurs incontournables. Ils représentent environ 25 % du trafic mais équivaudront, à terme, à 50 % du secteur hôtelier. Ils prennent des commissions qui augmentent nos coûts d'exploitation. Ce sont aussi des partenaires avec lesquels nous avons des accords de réservation. Il est capital pour nous de défendre la puissance de nos marques, afin que le grand public les distingue aisément. Elles deviennent ainsi indispensables dans le référencement des distributeurs. Cela constitue l'un des enjeux fondamentaux du groupe pour les cinq ans à venir.

Comment intégrez-vous le développement durable et la responsabilité sociale de l'entreprise dans votre stratégie?

Nous redéfinissons actuellement toutes nos priorités: l'énergie, le recyclage, les économies d'énergie, le carbone, la politique sociale, l'emploi local... Le développement durable constitue un axe fort de notre politique. Rien à voir avec du «greenwashing». Nous passons en revue tout ce qui peut l'être, comme les dispositifs de pilotage de la consommation dans les hôtels. Nous menons des programmes ambitieux comme Earth guest, dont fait partie l'initiative Plant for the planet (grâce aux économies de blanchisserie, 1,7 million d'arbres ont été plantés).

Chiffres-clés

CA (2010):
5948 M euros


Résultat d'exploitation:
446M euros


Nombre d'hôtels:
4229


Nombre de chambres:
+de 500 000


Une dizaine de marques:
Sofitel, Pullman, MGallery, Novotel, Mercure, Suite Novotel, Ibis, All Seasons, Etap Hotel, Formule 1, Motel 6


Une présence sur tous les segments: économique (36 % du parc), milieu de gamme (34 %), économique Etats-Unis (21 %), haut de gamme (9 %)


Présent dans 90 pays, 145000 salariés

Dans plusieurs enquêtes récentes, les directeurs marketing se disent pris au dépourvu par les «digital natives et maintenant les «social natives»... Qu'en pensez-vous?

C'est un mouvement d'une importance considérable. Nous avons du mal à anticiper l'ampleur réelle de ce phénomène. Nous faisons la course pour avoir les bonnes applications iPhone, iPad... Et cela nécessite des expertises très pointues en système informatique, en traitement des données. Or nous ne sommes ni Google ni SFR. Notre culture d'entreprise n'était pas celle des NTIC ni de la téléphonie. Nous avons plongé dans ce nouveau monde. Le groupe a réorganisé son pôle commercial, qui comptait auparavant 700 vendeurs. Aujourd'hui, nous avons deux directions des ventes: l'une globale et l'autre entièrement vouée à l'e-commerce. L'industrie hôtelière est en train de muter vers des techniques de vente complètement nouvelles.

Les réseaux sociaux vont-ils devenir un levier de business essentiel pour les marques?

Pas forcément. Facebook, mais il n'y a pas que lui, est aujourd'hui très à la mode. On exagère toutefois le phénomène. Pour moi, il s'agit avant tout d'un nouveau mode d'interaction entre des personnes privées. Les marques ne doivent pas forcément se précipiter dans cet éco-sytème. Les consommateurs qui viennent sur nos pages Facebook sont plus intéressés par les jeux et les cadeaux que par nos marques. En revanche, cela change profondément la donne pour les enfants. Les petits de moins de quatre ans grandiront en ayant toujours connu les réflexes et les pratiques de ce mode de relation en réseau.

Que pensez-vous de la tendance à la «premiumisation» (soit les marques visent le haut du panier, soit elles proposent des produits low cost)?

Il faut mettre du premium dans le low cost... De mon côté, j'ai une culture du business de masse. Donc, je continue à penser que les marques doivent convenir au plus grand nombre. Ikea ou Swatch ont montré la voie. Elles proposent une offre à la fois économique, moderne et contemporaine.

Quels sont vos axes de développement dans les marchés émergents?

En Chine, en Inde... Dans les Bric, nous disposons d'une marge de manoeuvre considérable. Dès que nous arrivons sur un marché où domine le secteur traditionnel, nous progressons. Au Brésil, par exemple, nous apportons une forme d'hôtellerie de chaîne, structurée et à bon prix. Avec notre hôtellerie de marque, nous offrons une sécurité et une fiabilité qui plaisent à la clientèle locale. Il nous reste aussi des terres de conquête en Europe. En Italie, par exemple, l'hôtellerie organisée ne représente que 7 % du marché. De son côté, l'hôtellerie indépendante a du mal à assurer sa distribution. Elle peut trouver, dans nos circuits de commercialisation, un appui ou encore intégrer notre réseau par le biais de la franchise.

Ainsi, sous la signature MGallery, nous regroupons des hôtels de caractère, exploités en franchise. Ces 40 établissements bénéficient d'une campagne globale, qui a pour égérie l'actrice anglaise Kristin Scott Thomas.

Y a-t-il une «french touch» dans le marketing, comme il en existe une dans le luxe?

La France est en train de prendre conscience de l'extrême exigence du consommateur et de ses nouveaux comportements. Le client d'aujourd'hui exige un monitoring polymorphe.

«Nous rationalisons notre portefeuille pour nous rassemble derrière les ma les plus puissantes»

Régine Eveno

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