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Marketing services : le dilemme de l'organisation

En cédant à la manie de la refonte, les agences de marketing services n'ont pas su donner de la lisibilité à leur organisation. Entre intégration et expertise, les combinaisons se multiplient jusqu'à la confusion.

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Alors que les investissements communication des annonceurs ont depuis longtemps fait basculer le média derrière le hors-médias, les agences de marketing services n'ont pas réussi à atteindre les niveaux de visibilité et de notoriété de leurs homologues de la pub (encadré étude Limelight p. 16). Un manque de reconnaissance qui doit sans doute beaucoup à la propension, un tantinet schizophrène, de professionnels et managers soucieux de légitimations perpétuelles et de réorganisations en boucle. Car la question de l'organisation, quasi obsessionnelle au sein des agences, occasionne des remaniements aussi réguliers que perturbants - à l'interne comme pour les clients. A fortiori quand la radicalité du repositionnement confine à la versatilité. Rappelons-nous l'épisode Impriric. En 2000, le Landerneau des marketing services voit l'un de ses acteurs majeurs et historiques, Wunderman Cato Johnson, changer d'identité sous injonction du siège mondial pour adopter un improbable nouveau nom de baptême. A la clé, explique-t-on à l'époque, une refonte totale vers une posture des plus innovantes. Tellement innovante que, l'année suivante, Impiric redevient Wunderman. Et le Landerneau aura bien souri. Paroxystique, l'exemple n'en pointe pas moins les atermoiements de ce marché. Les patrons d'agences seraient-ils des girouettes ? « L'organisation est un élément de différenciation au même titre que la création ou le conseil stratégique », soutient Marc Boulangé, directeur général de Rapp Collins. Jusqu'à constituer la charpente d'une agence. Benjamine dans le peloton de tête des acteurs des marketing services, MRM est à elle seule un plaidoyer pour la force structurante des organisations. Alors que les grands du marché ont solidifié leur ossature en combinant, de manière plus ou moins passive, histoire, sensibilité des dirigeants successifs, croissance externe et évolutions de la demande, MRM est née en 2000 d'un parti pris organisationnel quasi-idéologique. L'essence de MRM, c'est à proprement parler son organisation. « Nous n'avons pas fait de l'organisation comme Monsieur Jourdain fait de la prose. Nous n'avons pas construit sur la base de nos intuitions, mais avec une vision », affirme Michèle Ferrebeuf, directeur général. L'agence a défini une dynamique concentrique de quatre satellites (communication, relation, connaissance, stimulation) autour d'un système central d'information marketing. Pour regrouper ensuite ses dix-sept expertises au sein de quatre grands pôles d'activité : analyser, concevoir, dialoguer, connecter. Un positionnement dont beaucoup ont dans un premier temps moqué le parti pris techniciste. En trois ans, la société, profitable, a doublé sa marge brute. « Le modèle MRM est unique et vraiment intéressant », reconnaît Marc Boulangé.

La moitié des prestations hors contrat


L'étude Limelight souligne la précarité des relations entre les agences de marketing services et leurs clients. 53 % des annonceurs travaillent au coup par coup avec leur prestataire. « Cela ne se dit pas, mais la plupart des structures de notre taille ne signent pas de contrats », reconnaît Philippe Holl, directeur général de Reflex marketing, filiale marketing opérationnel de Reflex Group (3,5 ME de marge brute). Le fait traduit incontestablement l'utilisation souvent très opérationnelle que les entreprises ont des agences de marketing services. Limelight souligne d'ailleurs que les annonceurs attendent davantage des accompagnateurs que des bâtisseurs. Les prétentions affichées par les agences en matière de conseil stratégique résonneraient-elles dans le vide ? La pratique contractuelle s'affirme bien sûr avec la taille des agences et l'étendue du spectre des métiers proposés. Mais la ventilation des opérations sur les différentes disciplines des marketing services n'est pas si courante. « Les entreprises qui réclament synergie, cohésion et intégration de tous les canaux sont assez rares sur le marché », rappelle Marc Boulangé. Le patron de Rapp Collins affirmant pour sa part réaliser 40 à 50 % de son chiffre de manière croisée avec d'autres agences du groupe DDB. Chez Extrême, la part des clients sollicitant les trois filiales, design, multimédia et MD, ne dépasse pas 5 %. « De gros clients », signale Jean Valentin, président. A l'image de La Poste, qui a confié au groupe le déploiement de son programme Intégrales pour un budget de 350 000 euros. Même constat chez Proximity. Les vrais clients transversaux ne seraient pas plus de cinq, sur une cinquantaine, mais c'est avec eux (Auchan, Midas, Chrysler...) que l'agence réalise 60 % de sa marge brute. « C'est traditionnellement la pub qui fait rentrer les autres métiers. Cela commence à changer », remarque Eric Pietrini, président de Proximity BBDO. La publicité n'est plus le seul levier prescripteur pour les disciplines des marketing services. Et les agences continuent de vouloir étendre le champ de leurs compétences, soit par l'intégration structurelle de métiers, soit par la constitution de filiales. Tequila\ s'intéresse à la motivation. Après une première erreur de casting, la directrice générale n'exclut pas de recruter un spécialiste de la stimulation pour monter une activité qui, en s'appuyant sur les ressources de l'agence, partagerait son temps entre actions internes et prestation commerciale. Extrême a choisi la formation. Une diversification relativement peu coûteuse puisqu'elle repose sur un simple transfert de cible. Il s'agit pour le groupe de décliner auprès des personnels internes de ses clients des techniques, des supports et un savoir-faire jusqu'alors mis en application vers des cibles finales. Le groupe, qui vient de recruter un professionnel de la formation, n'aura plus qu'à s'adjoindre une expertise en formation présentielle pour compléter le corpus éditorial naturellement maîtrisé par une agence de marketing opérationnel. En pleine réflexion sur l'organisation de leur agence, les dirigeants de Proximity envisagent pour leur part trois voies vers la diversification : l'événementiel, le retailtainment (vie des points de vente) et le centre d'appels.

Les métiers du téléphone, difficilement intégrables


Le call center reste cependant le métier dont la greffe ne semble pas prendre sur les agences de marketing services. « C'est de la gestion de ressources humaines. Un métier à part pour nos types d'organisation », résume Marc Boulangé. Les tentatives engagées par les agences ont quasiment toutes fait long feu. Wunderman a déchanté assez rapidement, faute de taille critique. Une expérience douloureuse. « Avec la filiale télémarketing, nous allions directement à l'encontre de cette idée de neutralité du mix qui sous-tend l'agence », affirme David Laloum, directeur général de Wunderman. La filialisation des métiers du téléphone n'a de sens que si elle procède de rachat de structures déjà stabilisées, à l'image deTBWA\ et de QualiContact. La reconnaissance de la contribution et de la valeur des différents métiers au sein des agences ne fait plus question. Reste à chacune d'entre elles à privilégier des orchestrations compréhensibles et convaincantes. « Les écarts de rentabilité qui ont été parfois sensibles entre les différents métiers se sont lissés. Plutôt par le bas », remarque Eric Pietrini. Ce qui n'empêche pas certains acteurs de cultiver un savoir-faire plus visible sur telle ou telle discipline. Dans le registre des marques de fabrique créditées - à tort ou à raison - aux agences, Tequila\ s'est accolé une réputation en matière de réalisation. Connue pour sa forte activité d'édition, l'agence du groupe TBWA\ a créé il y a cinq ans un pôle réalisation, au mitan de l'exécution, de la PAO et du graphisme, qui occupe aujourd'hui une quinzaine de personnes, réalisateurs graphiques et designers graphiques. « C'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît, explique Marie-Pierre Mottin. Nous avons véritablement créé deux métiers, il faut non seulement former les candidats, mais définir pour eux une évolution de carrière. De réalisateur à designer graphique, et ensuite vers d'autres niveaux de compétences et de responsabilité. » Intégration ou expertise ? Depuis dix ans, c'est la même alternative qui sous-tend la problématique organisationnelle. L'organisation chez Wunderman procède en grande partie de l'historique d'une agence qui s'est construite par croissance organique. Les activités se sont développées sans à-coups structurels. Conséquence : pas de départements métiers, pas de business units. « Danone peut très bien apprendre d'une action B to B menée par IBM, et inversement », justifie David Laloum. « Fusionner, mutualiser, c'est diluer », conteste Marc Boulangé. Même parti pris de l'expertise au sein de Proximity. « Ce qui pourrait nous arriver de pire, c'est d'être perçus comme des généralistes », lâche Eric Pietrini. Grrrey Marketing Services !, agence récente en tant que marque mais relativement ancienne en termes d'organigramme, aura mené le débat dix-huit mois durant. Au final, les managers ont privilégié un schéma matriciel à double entrée : une entrée par l'opérationnel, via les trois départements, relationnel, interactive et promotion ; une entrée par le conseil en marketing, via la marque ombrelle. Tequila\, comme Wunderman, a développé une approche plus généraliste. L'agence a défini l'ossature de son organisation actuelle il y a huit ans. Pas de départements, pas de centres de profits, mais des compétences polyvalentes à toutes les strates opérationnelles. « Nous dépensons 2,5 % de la masse salariale en formation », affirme Marie-Pierre Mottin. Les nouveaux médias, le CRM, sont intégrés dès les premiers paliers de prestation, au même titre que la promotion ou le marketing direct, au sein d'un dispositif pluridisciplinaire de prise en compte des problématiques. Il y a deux ans, Tequila\ a greffé sur cette architecture quatre business units commerciales : trois dédiées à la fidélisation, une autre à la conquête. « Nous n'avons rien fait d'autre que mettre à profit pour l'agence les méthodes que nous vendons à nos clients. Avec un effort soutenu en fidélisation », explique Marie-Pierre Mottin. Le socle généraliste ainsi que ces business units bénéficient de cinq couches de ressources transversales : création, planning stratégique, data et interactif, finances et administration, fabrication.

Logique d'expertise et star system


Dans sa logique d'expertise, MRM est allé chercher des spécialistes dans tous les métiers susceptibles de nourrir un accompagnement global des entreprises dans le développement de leur business. « On n'a pas forcément les stars dans chaque discipline, mais est-ce important ? Ce qui compte, c'est de travailler avec des gens qui aillent dans le même sens », affirme Jean-Yves Hepp, directeur général. Recruter les meilleurs dans leur catégorie, c'est légitimer la logique de l'expertise. L'organisation par spécialités, dès lors qu'elle est revendiquée comme élément différenciant, pousse naturellement les agences vers un mini star system. Elles n'hésitent d'ailleurs pas à recourir aux compétences en free lance. « Il y a sur le marché parisien 20 concepteurs rédacteurs qui travaillent sur la plupart des campagnes banques-assurances. Et c'est pareil pour la grande distribution », confirme Philippe Holl. Sa réorganisation, le groupe Extrême l'a amorcée début 2003, par la face fonctionnelle. « Nous avons supprimé les étages », résume Jean Valentin. Autrement dit, foin de la chaîne ralliant assistants chefs de projet, chefs de projets, assistants chefs de groupe, chefs de groupe, directeurs de clientèle Chaque client se voit désormais affecter un chef de projet qui gérera de manière personnalisée la relation avec le client. A partir de ce socle opérationnel, des compétences spécifiques, parfois plus stratégiques (chef de fab, directeur de clientèle, chef de groupe), peuvent intervenir dans la relation selon les besoins exprimés par l'annonceur. Bref, seule la fonction de chef de projet est dédiée. Une configuration qui se traduit dans le mode de fonctionnement relationnel du groupe avec ses clients. Tous les deux mois, un point qualité réunit l'annonceur et le chef de projet, celui-ci assisté de l'interlocuteur le mieux à même de répondre aux questions programmées à l'ordre du jour. « Quand il faut signer le chromalin d'un mailing à 100 000 exemplaires, la présence du directeur de clientèle ne s'impose pas et l'annonceur n'a pas à payer sa présence », explique Jean Valentin. Extrême a de fait redéfini sa grille tarifaire, en intégrant un variable au socle forfaitaire. Sur la base d'une prestation annuelle globale fixée à 100, le groupe va s'accorder avec son client sur une mensualisation de 50 % des honoraires. « Tous les deux mois, nous mesurons le temps consacré par chacune des fonctions transversales au client. Si le client n'atteint pas son compteur temps à la fin de l'année, il n'a aucune raison de payer des honoraires non justifiées », détaille le P-dg. Une approche originale qui, concède Jean Valentin, procède autant de l'argumentation commerciale que de la posture stratégique. Selon le patron du groupe Extrême, le modèle n'en est pas moins vertueux. « Il y a une telle distorsion entre les enjeux financiers soulevés par nos métiers et le professionnalisme des prestataires qu'il y a nécessité à réorganiser les approches et développer un discours de transparence vers les directions achats des annonceurs ».

Le rôle décisif de l'interactif


Pour être structurante, l'organisation peut également venir alimenter le discours de légitimation des agences. La reconnaissance de la profession est sans doute à ce prix. « Les annonceurs, dans ce magma, ont tout à gagner d'une clarification du positionnement des uns et des autres », rappelle Benoît Héry, directeur général de Grrrey Marketing Services. Et Eric Pietrini d'abonder dans le même sens. « Globalement, à l'exception de MRM, nous tenons tous le même discours. Après, tout est une question d'agencement des métiers. Mais la différence se fera sans doute sur l'aptitude des agences à intégrer le on line ». Si les récentes déconvenues autour de l'Internet portent les patrons d'agences à la circonspection, tous constatent une reprise des activités liées au multimédia. Chez Extrême, le pôle interactif enregistrerait une progression de plus de 50 % sur les quatre derniers mois. « Le on va supplanter le off beaucoup plus nettement et rapidement que le hors-médias a pris le dessus sur la pub », affirme Marc Boulangé. Pour le patron de Rapp Collins, le téléscopage aura lieu dans les trois ans. DDB dispose de sa filiale multimédia, Rapp Digital, qui emploie une cinquantaine de personnes. « Nous ne fusionnerons pas le off et le on. Ce serait perdre les expertises », affirme Marc Boulangé. Ce qui n'empêche pas les passerelles : 80 % du business de Rapp Digital viendrait aujourd'hui de Rapp Collins. Même distingo structurel entre le off et le on chez Wunderman, qui s'autorise une dérogation à son parti pris d'intégration en maintenant la filialisation de Wunderman Interactive. La raison, ici encore, est historique. Le multimédia est la seule activité de Wunderman acquise de manière exogène, via le rachat en 2000 de la SSII Net Valley. « Nous avons conservé cette seconde entité juridique parce que nous avions besoin d'être identifiables par les annonceurs sur le marché des acteurs de l'interactivité. Aujourd'hui, il reste très peu de pure players multimédia. Avec Wunderman Interactive, nous sommes immédiatement visibles », explique Xavière Tallent, directeur général de Wunderman Interactive. Les comptes de résultats de la maison mère et de la filiale sont néanmoins fusionnés. « Nous sommes dans une logique de centres d'expertises. La juxtaposition de centres de profits, dans une agence, c'est nécessairement une source de conflits. » La volonté de créer un climat permanent de motivation a longtemps incité à la pratique de sources séparées de profits. Jusqu'à l'absurde. Une patronne d'agence raconte comment, après avoir affecté à la création des objectifs comptables, l'appel à des ressources en free-lance s'est avéré nécessaire tellement les marges de la création en interne étaient devenues exorbitantes. « Dès lors que l'on attribue à telle ou telle activité des comptes de résultats spécifiques, il faut bien spécifier les niveaux de marge », souligne Benoît Héry. La gestion par centres de profits est probante et efficace si elle n'impose pas d'objectifs ni de marges démesurés. NDC entend bien poursuivre sa croissance sur le modèle de cellules de profit. « A 35 personnes, il est absurde de vouloir grandir de manière pyramidale. Notre développement se fera par la création de nouveaux centres de profit autour de pôles d'expertises métiers transversaux », affirme Pierre Nougué, directeur associé.

MRM V3


Hors norme dans le monde des agences de marketing services, le modèle d'organisation développé par MRM est en train de prouver son véritable potentiel d'expression avec ce que ses dirigeants qualifient de V3, opérationnelle depuis quelques semaines. « Nous sommes désormais en mesure de mettre en place dans des délais très brefs une stratégie et un dispositif complet de création de nouveaux business pour le compte d'entreprises qui souhaiteraient, from scratch, développer de nouveaux modèles économiques », affirme Jean-Yves Hepp, directeur général. MRM a ainsi remporté l'appel d'offres lancé par un géant international du high tech désireux d'investir le marché français par la vente directe. L'agence défend ainsi l'idée de modèles économiques créés et gérés en totale sous-traitance par un partenaire unique, depuis la définition du plan stratégique jusqu'à la gestion de la base de données en passant par le système de paiement. Véritablement innovante dans le monde du marketing services, l'approche n'en correspond pas moins, selon Jean-Yves Hepp, aux schémas amorcés par de très grandes entreprises : « L'industrie automobile, aujourd'hui, à part la fabrication, c'est uniquement de la sous-traitance ».

Les agences projettent une image des plus confuses


La deuxième édition de l'étude Limelight Consulting* sur la relation annonceurs-agences révèle les faiblesses des prestataires en marketing services, notamment en matière d'organisation. Jeunesse, atomisation et mouvance des structures des acteurs empêchent encore les annonceurs de créer une relation mature. Les agences projettent une image très confuse d'elles-mêmes et de leur marché. Les annonceurs interrogés ont cité en spontané plus de 300 noms de prestataires, mais ne sont pas capables individuellement de nommer plus de trois agences (alors qu'ils disent travailler en moyenne avec 2,5 agences). Le meilleur taux de notoriété spontanée ne dépasse pas 6,5 % (20,4 % pour les agences de pub). En suggéré, les annonceurs connaissent en moyenne 14 agences : 4 de façon précise, 3 de manière plus floue et 7 uniquement de nom. L'opacité dépasse la stricte sphère des prestataires pour se décliner jusque dans la perception qu'ont les entreprises des métiers induits. Hors-médias, marketing opérationnel, marketing direct, promotion des ventes. les annonceurs ont avancé 18 qualifications ou expressions différentes pour désigner le secteur et cité 27 métiers. * Etude qualitative (60 interviews en face à face de 20 directeurs marketing et de la communication, 40 présidents et directeurs conseils d'agences de publicité et de marketing services, à parts égales) et étude quantitative réalisée par ISL (600 interviews téléphoniques d'annonceurs), menées entre mai et juillet 2003.

Muriel Jaouën

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