L'impression en pleine mutation
Mise à mal par la conjoncture économique et les gros investissements réalisés dans le passé, la profession se doit de migrer d'une culture industrielle à une culture de service. Les imprimeurs qui ont choisi le créneau du marketing direct ont une longueur d'avance. Ils ont acquis des compétences dans le traitement des fichiers et dans les opérations annexes à l'impression. Ce qui leur permet d'offrir un service global.
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Encore plus que d'autres industriels, les professionnels de l'impression
souffrent de l'état actuel de la conjoncture économique. D'après la Fédération
de l'imprimerie et de la communication graphique, le volume d'affaires,
toutes activités et marchés confondus du secteur graphique, a subi, en 2002,
un fort recul - de l'ordre de 150 000 tonnes - soit le double de celui observé
en 2001. Cette baisse d'activité est la plus sévère depuis le dernier creux de
1993. Or le secteur regroupe surtout des entreprises capitalistiques qui ont
dû faire de gros investissements pour rester dans la course, en termes de
productivité. Pour les petits, l'achat d'une machine représente jusqu'à 5 mois
de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, alors que la demande se situe bien en deçà
de l'offre, ils ont du mal à amortir leurs investissements.Ces dernières
années, les imprimeurs ont en effet été contraints de se doter de machines
toujours plus performantes pour ne pas se faire devancer par leurs
concurrents. Avec, à la clef, bien sûr, des gains de productivité annuels qui
avoisinent les 5 %, contre 2 % dans les autres secteurs industriels. Mais, ils
n'ont malheureusement guère pu en tirer profit, les marges dégagées partant
presque immédiatement dans la poche de leurs clients. Aussi, malgré les gains
de productivité dégagés ces dernières années, les imprimeries souffrent plus
que jamais d'un très faible niveau de rentabilité. Le tableau ici dressé semble
bien sombre, mais il ne fait que refléter une réalité préjudiciable à la
profession. D'autant que, concentrés sur les aspects techniques de leur
métier, peu d'imprimeurs ont une approche de développement stratégique à long
terme de leur entreprise. Avoir une vision prospective de leur marché ne fait
guère partie de leur culture. L'imprimerie est un métier d'hommes de l'art, qui
se transmet de père en fils. Les préoccupations ont longtemps porté uniquement
sur les évolutions technologiques apportées par les fabricants de machines.
Elargissement des compétences
Peu d'imprimeurs se sont
dotés d'une structure de recherche et développement, voire d'un bureau des
méthodes. Et ils sont encore plus rares à s'être penchés sur l'efficacité de
leurs actions commerciales et marketing. Beaucoup ont gardé une mentalité de
façonniers. Reste que certains ont compris l'intérêt de s'enrichir d'une
démarche marketing afin d'anticiper la demande en créant de nouveaux services.
Les imprimeurs, qui ont su se différencier en ciblant des marchés porteurs et
en apportant davantage de valeur ajoutée que leurs concurrents, arrivent ainsi
à tirer leur épingle du jeu. C'est le cas pour ceux qui ont choisi de
s'adapter aux besoins du marketing direct. Dans le domaine de l'impression, il
s'agit d'un marché de niche, mais qui bénéficie d'une bonne santé. Sur environ
29 milliards d'euros dépensés sur l'année par les annonceurs, 9 millions le
sont dans des opérations de marketing direct dont les deux tiers concernent
uniquement le support imprimé. Reste que, d'après une étude Ipsos, le taux de
croissance annuel des dépenses de publicité par approche de marketing direct en
Europe est en croissance depuis plusieurs années. De + 5 %, en 2001, et de +
5,4 %, en 2002, il devrait atteindre 5,8 %, d'ici la fin de l'année 2003. Le
fait que le marketing direct connaisse une telle dynamique profite aux
imprimeurs qui ont orienté leur activité sur ce secteur.D'après Etienne
Geiser, P-dg d'Actimail, entreprise spécialisée dans la gestion déléguée
d'opérations de marketing direct, les impressions destinées à ce secteur
d'activité seraient réalisées à plus de 90 % en offset. « Pour certaines
entreprises issues de l'impression offset en continu, s'orienter vers le
marketing direct était une question de survie », précise Pascal Bovero, délégué
général de la Fédération de l'imprimerie et la communication graphique. Il
leur a toutefois fallu se remettre en cause et intégrer des savoir-faire
complémentaires à ceux habituellement circonscrits au métier de l'impression.
Ils ont dû acquérir des compétences dans le domaine du traitement des fichiers
numériques, dans le façonnage,voire dans la mise sous pli. Difficile
d'ailleurs de se dire imprimeur spécialisé dans le marketing direct si on ne
réalise pas d'opérations de façonnage. « Celles-ci s'avèrent un point crucial
de la fabrication dans ce secteur d'activité », affirme, Etienne Geiser. Il
arrive que les imprimeurs aillent jusqu'à intervenir auprès de leur client
avant même le lancement de la campagne de marketing direct, pour donner leur
avis sur les modes opératoires et leur efficacité s'agissant des découpes, des
pliages, des collages, des ajouts de fenêtres, des déposes d'encre à gratter,
ou tout autre type d'animation du document. Ils apportent leur connaissance du
métier pour que les opérations soient optimisées et les coûts de façonnage
réduits. Pour les très gros tirages, il sera conseillé de réaliser un
façonnage en ligne, dans la mesure où les opérations arrivent à s'effectuer à
des vitesses linéaires de plus de 500 mètres par minute. Pour les plus petites
séries, le façonnage se fera, là aussi, en automatique mais hors ligne, en
reprenant les documents disposés en bloc de feuilles ou sur bobines. Dans
certains cas, seules les opérations manuelles seront de mises et ne
concerneront alors plus le monde de l'imprimerie. Elles seront exécutées par
les sociétés de routage, les centres d'adaptation par le travail, voire les
prisons. L'imprimeur ne tient pas à offrir ce genre de services alors qu'il
cherche à accroître sa valeur ajoutée. Il sait qu'il n'a pas intérêt à tenir
le rôle de simple sous- traitant à façon. S'il veut se développer dans le
contexte actuel, il doit se faire reconnaître comme partenaire sur qui compter
dès la conception du produit. On retrouve là une pratique depuis longtemps
éprouvée dans le monde de l'automobile, entre les constructeurs et leurs
équipementiers. Plus le sous-traitant intervient en amont du processus de
décision du lancement d'un produit, plus il se crée, entre lui et son client,
une relation interdépendante dont il ne peut que tirer profit. Quand
l'imprimeur maîtrise les données du client final, les discussions ne se
focalisent plus sur les prix. Il se crée alors un engagement de partenariat à
moyen et long terme avec pour finalité de trouver la solution globale la plus
intéressante pour le client. Mais, pour réussir à jouer ce rôle, encore
faut-il s'en donner les moyens. Malheureusement, rares sont les imprimeurs à
avoir emprunté cette voie. Pour leur défense, ils n'en n'ont guère eu
l'opportunité avec la montée en puissance des plates-formes d'édition qui
jouent le rôle d'intermédiaire entre les grands donneurs d'ordres et les
imprimeurs. Ces intermédiaires interviennent comme maître d'œuvre dans le
traitement des éditions. Ils perturbent le jeu qui existait jusqu'à présent
dans la profession en accentuant la concurrence et en tirant les prix vers le
bas. Ils gardent entre leurs mains les opérations à valeur ajoutée et ont
tendance à ramener le rôle de l'imprimeur à celui d'un simple exécutant. C'est
eux qui vont discuter des campagnes, qui vont montrer en quoi la logistique, le
façonnage et l'assemblage peuvent influencer le marketing produit. Ils ont su
répondre à un besoin de globalisation des services. Aussi les imprimeurs
ont-ils intérêt à faire feu de tous bois pour rester dans la course. Aucune
voie n'est à proscrire. Les donneurs d'ordres sont de plus en plus versatiles.
Ils ont tendance à aller vers le moins disant et n'hésitent pas à changer de
prestataire dès que l'occasion s'en présente. Il faut absolument trouver à leur
offrir des services complémentaires. Et il existe plusieurs moyens d'y arriver.
C'est ainsi que le groupe Moselle Vieillemard, qui réalise la moitié de son
chiffre d'affaires dans le marketing direct, effectue non seulement des
opérations d'impression, de personnalisation, de façonnage et de mise sous pli
mais propose également de s'occuper du routage pour le compte de ses clients.
Le routeur CAPE, qu'il vient de racheter, a d'ailleurs déménagé à proximité de
l'unité Rotographic du groupe, en vue d'une optimisation des flux logistiques.
On voit bien, dans cet exemple, la tendance actuelle qui consiste à élargir le
plus possible les compétences, en vue d'offrir au client la prestation la
plus complète possible.
Numérisation du process
Pour
Philippe Leveau, président du directoire du groupe Moselle Vieillemard, le
défi actuel des imprimeurs va encore plus loin. « Pour les imprimeurs comme
nous, savoir bien gérer les bases de données constitue le nerf de la guerre. »
Un point de vue mis en exergue par l'OPCA-CGM (Observatoire Paritaire des
Industries de la Communication Graphique et du Multimédia) dans une étude
consacrée à la formation initiale. Il y est écrit que la tendance au
tout-numérique conduit à intégrer certaines activités relevant du multimédia
pour être capable, aussi bien en prépresse qu'en impression, de traiter des
fichiers destinés à être transférés et utilisés sur différents supports.
L'évolution actuelle et à venir conduit à ce que la production d'un imprimé
devient un flux continu, allant du captage de données informatiques à la
machine à imprimer. La généralisation chez les imprimeurs du CTP, système
permettant de passer directement de l'ordinateur à l'offset numérique sans
plaque, en est un parfait exemple. La numérisation de la chaîne graphique a
tendance à globaliser l'offre en supprimant les frontières entre les
différents métiers, par exemple entre le prépresse et l'impression. La
production d'un imprimé devient un flux continu, allant du captage des données
informatiques à la machine à imprimer. « Les fabricants de matériel ont
beaucoup communiqué là-dessus, contrairement aux imprimeurs. Aussi les clients
pensent-ils que tout est possible à moindre coût », souligne Pascal Bovero. Un
phénomène qui, de plus, a joué en faveur de la baisse des prix et au détriment
des imprimeurs qui n'ont pas pu en profiter pour augmenter leur marge alors
même qu'ils y consacraient de gros investissements. Ils ont intégré un nouveau
métier, celui du prépresse, sans pouvoir le monnayer. Mais, en modifiant les
compétences, le passage au tout numérique aura quand même eu des effets
bénéfiques pour la profession, dans la mesure où certains imprimeurs en ont
profité pour se familiariser avec l'informatique. Ils ont compris l'intérêt de
se doter d'un système d'information intégré qui permette de gérer au mieux les
flux de données et de matières depuis la prise de commande jusqu'à la livraison
en passant par les opérations d'impression, de façonnage, de personnalisation
et de conditionnement. C'est ainsi que Sepieter, spécialisé dans l'impression
et la fabrication d'enveloppes dont la moitié sont destinées au marketing
direct, a mis en place un progiciel de gestion intégré (PGI). Grâce à cet
outil informatique, il gère au mieux toute sa supply chain et arrive à
travailler à flux tendu, ce qui est très rare dans la profession. « Nous
traitons sur fichier environ 30 000 commandes différentes par an. Elles sont
toutes archivées. Et, grâce à notre système informatique, nous arrivons à
répondre très rapidement à toute nouvelle demande », se félicite Jean- Michel
Hermet, directeur général de Sepieter. Dès 1999, l'imprimeur a lancé un site
internet marchand où il vend en ligne ses produits. L'internaute peut y
visualiser une ancienne commande et y demander des modifications pour une
livraison très rapide. Grâce à son système de gestion intégré, Sepieter arrive
à traiter les petites séries avec une grande réactivité. Un atout non
négligeable alors que la personnalisation des envois en marketing direct tend à
réduire le nombre de tirages ainsi que les délais. Il faut aller de plus en
plus vite. Quand, par exemple, un opérateur téléphonique décide de lancer une
opération marketing ciblée en réaction à une offre concurrentielle, il n'a pas
de temps à perdre. Vis-à-vis de l'imprimeur, il est alors très exigeant en
termes de délais.
Réactivité et flexibilité
Il y a
une dizaine d'années, le planning d'impression de documents marketing
personnalisés pouvait s'étaler sur trois semaines, voire plus. Aujourd'hui,
entre le moment où le fichier numérique est remis par le client et celui où
les mailings sont postés vers leurs destinataires finaux, il ne s'écoule bien
souvent guère plus d'une semaine. « Nous assistons à une accélération du
processus de fabrication », note Thierry Fallot, directeur commercial de Cifea
DMK, société qui prend en charge les réalisations logistiques au service de la
relation client et qui assure la maîtrise d'oeuvre des opérations de marketing
direct depuis le traitement sécurisé des données jusqu'à la mise sous pli en
passant par l'impression et la personnalisation. Cette accélération du
processus de fabrication va de pair avec l'augmentation des demandes
d'imprimés en plus petite série. Or, qui dit plus petites séries dit meilleure
flexibilité. « Mais la flexibilité est difficilement rentable, d'autant que la
notion de supply chain n'est pas encore très présente dans la profession. Le
travail en flux tendu n'est pas encore entré dans les moeurs, loin s'en faut »,
explique Jean-Marie Collot, consultant à Impact Imag, entreprise de conseil en
marketing auprès des industries graphiques et de packaging. Il existe
pourtant, dans ce domaine, beaucoup de gain de productivité à dégager. Et les
imprimeurs en ont bien besoin s'ils veulent sortir de leur difficulté de
sous-capitalisation. L'annualisation du temps de travail en permettant
d'adapter la présence des salariés aux évolutions de charge de l'entreprise
pourrait également améliorer la flexibilité. Mais, peu d'imprimeurs ont pu
franchir le pas, même à l'occasion du passage aux 35 heures. La culture du
secteur ne s'y prête pas.
Recouvrement des métiers
Ne pas gagner en flexibilité peut pourtant, dans l'avenir, être fatal aux
imprimeurs, surtout ceux qui travaillent dans le marketing direct. Car, sur ce
secteur, les envois sont, de plus en plus souvent, personnalisés. Au départ,
il s'agissait juste d'inscrire le nom du destinataire sur des documents qui
lui étaient adressés. Ce besoin avait fait naître un métier, celui des
laseristes qui imprimaient en noir et blanc des informations adaptées à des
cibles consommateurs sur des documents déjà imprimés. Ils interviennent bien
souvent en sous-traitance des imprimeurs. Or ces derniers ont tendance à
vouloir rapatrier en leur sein ce type d'opération. Toujours pour répondre à
ce souci d'élargir les services à offrir en direct au client. Mais cela
suppose, là encore, des investissements. Une chaîne de personnalisation qui
vient en complément des rotatives peut coûter 3 millions d'euros. En France, il
n'y aurait guère aujourd'hui plus de 4 à 5 imprimeurs capables de se lancer
dans cette aventure. De leur côté, les personnalisateurs commencent à empiéter
sur le métier des imprimeurs. Cette profession s'est développée à partir des
années 70. Ils ont commencé à travailler en bichromie à partir du début des
années 90. Aujourd'hui, grâce aux nouvelles machines numériques, ils arrivent à
imprimer en quadrichromie. Ils maîtrisent le traitement des fichiers
d'adresses. Il leur faut toutefois acquérir des compétences dans le domaine
graphique. Aussi, est-il trop tôt aujourd'hui pour dire qui empiétera, à
terme, sur le métier de l'autre. Certains vont jusqu'à dire que les routeurs
pourraient bien un jour faire de l'ombre aux imprimeurs. Ils ont appris à
effectuer l'adressage, puis le brochage et enfin le traitement des fichiers
adresses. Pourquoi n'iraient-ils pas plus en amont. Reste que leur personnel
est loin d'avoir les compétences requises. Quoiqu'on en dise, la profession
repose bien sur un savoir d'homme de l'art qui s'acquiert avec les années.
Concurrence internationale
Dernière menace qui se
profile pour les imprimeurs : la concurrence des pays de l'Est à faible coût
de main d'oeuvre. Les plates-formes d'édition font déjà jouer la concurrence
internationale en faisant appel aux imprimeurs allemands, italiens et
britanniques. Il semblerait que certains commencent à interroger également les
polonais, les tchèques, voire les chinois. Pour les opérations de marketing
direct qui se préparent longtemps à l'avance, les entreprises françaises
risquent fort de perdre à terme certains de leur marché qui passeraient entre
les mains de ces nouveaux entrants. Toutefois, pour les campagnes qui
nécessitent une grande réactivité, il n'y aurait rien à craindre car les temps
de transport ne sont pas acceptables dans ces conditions. A suivre
Et le numérique ?
Si les constructeurs de machines en parlent beaucoup, l'impression numérique n'entre, pour l'instant, que très modestement chez les imprimeurs. « Les techniques d'impression numérique actuellement présentes sur le marché ne sont pas adaptées aux grands volumes. Elles sont appropriées uniquement pour des tests de mailing. Elles ne conviennent pas si les tirages excèdent 30 000 exemplaires », avance Thierry Fallot, directeur commercial de Cifea DMK. A l'affût de tout ce qui pourrait améliorer la rentabilité des opérations de marketing direct, il surveille de près les évolutions dans ce domaine. Bien sûr, la réactivité de mise en oeuvre est bien plus rapide avec une imprimante numérique qu'en traditionnel. Si la qualité du rendu final reste encore inférieure à celle obtenue avec les techniques de l'offset en feuille à feuille ou en continu, elle s'est beaucoup améliorée ces dernières années. Les non-professionnels ne font pas toujours la différence à l'oeil nu. Mais le coût unitaire du tirage reste bien trop élevé pour concurrencer les techniques traditionnelles, surtout s'agissant de l'offset. Son domaine de prédilection reste la personnalisation. Là, le jet d'encre rend d'indéniables services surtout pour l'adressage. Et les imprimeurs désireux d'offrir de nouveaux services peuvent y trouver leur compte. Car, comme le souligne Lionel Prados, directeur de GraphiConseil, « le numérique est source de valeur ajoutée dans la mesure où il facilite la personnalisation ». Mais cela reste toutefois marginal dans le domaine du marketing direct. Toutefois, si un jour le numérique devient une technique aussi industrielle que l'offset, cela voudra dire que les imprimeurs devront changer de machines, une fois de plus, et trouver de l'argent pour investir à nouveau.