Intégration d'Internet : la grande remise en cause
Bousculées par l'irruption d'Internet dans tous les métiers de la communication, les agences ont été contraintes de redéfinir les contours de leur schémas organisationnels historiques. En cause : une offre brouillée où la technicité avait fini par occulter la vision stratégique. Après avoir tout misé sur l'interactif, avant même d'en connaître les tenants et aboutissants, les agences reviennent désormais à des configurations plus harmonieuses où cette technique de communication interagit avec les autres.
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A force d'assister à une pléiade de restructurations au sein des agences
de marketing services, on est tenté de se demander quelle mouche a bien pu les
piquer ? Pourtant, si la manie de la réorganisation obsède à ce point les
agences, c'est sans doute moins par effet de mode que par nécessité. Nécessité
dictée, nous dit-on, par l'intégration, au sein des structures traditionnelles,
des nouvelles techniques de marketing direct et de communication on line
héritées des web agencies. Qu'il a bien fallu loger à la va vite, le temps de
trouver la configuration idéale où anciennes et nouvelles compétences se
côtoieraient harmonieusement. En attendant, la confusion a régné en maître
autour de l'offre, des métiers et des positionnements, comme le déplore Pierre
Dappélo, co-fondateur de l'agence Labelleidée : « Si le marché souffre encore
d'opacité, c'est que les grosses agences n'ont pas su l'organiser ! »
lâche-t-il, un rien lapidaire. A leur décharge, il faut dire qu'à l'issue de
l'éclatement de la bulle Internet, la récupération des web agencies n'a pas été
une partie de plaisir. En témoignent les remaniements successifs, souvent
opérés par à-coups, qui ont chamboulé et chamboulent encore le petit monde des
agences. De l'aveu même de Benoît Héry, directeur général de Grrrey !
Marketing Services, l'émiettement actuel du marché, en termes de diversité de
l'offre, n'est plus souhaitable : « Tant qu'il y aura un déficit de clarté, le
marché restera en crise ». Mais là où certaines affichent toujours travaux en
cours le temps de trouver le bon format, d'autres effectuent ou ont déjà
effectué une remise à plat totale de leur modèle initial.
La vision stratégique, transversale à tous les métiers de l'agence
Une bonne illustration est fournie par Grrrey ! Marketing Services, l'agence
qui ajoute des R à son patronyme à mesure qu'elle intègre de nouvelles
compétences, en l'occurrence celles inhérentes à Internet. Bousculée par
l'arrivée de l'interactivité dans ses métiers de toujours, l'agence s'est, dans
un premier temps, recentrée sur l'expertise affichant haut et fort son
hyperspécialisation dans tous les domaines du on line. Une erreur d'après
Jérôme Husson, directeur du pôle interactif, qui considère, avec le recul, que
cela revenait à envisager le marché par ses aspects constitutifs occultant, du
coup, les notions d'efficacité et d'objectif, que les annonceurs sont en droit
d'attendre d'une agence. « Or, la question qui se pose lorsqu'on aborde une
agence, n'est pas de savoir comment elle procède, quel canal est le mieux
maîtrisé par ses forces vives, mais plutôt quel objectif elle prévoit
d'atteindre », affirme Jérôme Husson. Le rebond de Grrrey ? Aborder la
problématique de l'annonceur non plus en passant par la technicité mais en
segmentant ses besoins par cible et par objectif. En d'autres mots,
l'interactif n'est plus considéré comme un canal de communication prioritaire.
Plutôt comme un moyen parmi d'autres. «Plusieurs années ont été nécessaires
pour digérer la technique, mettre au point, roder puis asseoir le schéma
organisationnel actuel », admet Benoît Héry. Résolument matriciel, le schéma
actuel se structure par pôles métiers, où l'interactif se trouve désormais à
pied d'égalité avec les autres domaines de compétences. Qui se greffent aux
deux principaux axes de la nouvelle charpente : le conseil et l'opérationnel.
Soit deux entrées distinctes, une pour la technique, l'autre pour la vision
stratégique, qui est désormais formulée selon une approche transversale à tous
les métiers de l'agence. « L'objectif, explique le Dg, est d'offrir un spectre
élargi de prestations, depuis le MD traditionnel jusqu'au marketing interactif,
qui permettent d'atteindre ce que l'annonceur est en droit d'attendre d'une
agence : de l'efficacité, indépendamment des supports exploités. »
Euro RSCG, une refonte globale
Approche similaire au
sein du groupe Euro RSCG. En quête de cohérence entre ses différents métiers,
le groupe a opéré une refonte globale de son schéma organisationnel. « Il y
avait un indéniable besoin de clarté, en particulier dans l'univers des
marketing services, assez dispersé, et notamment avec l'intégration des
techniques internet alors que l'offre restait claire dans les domaines de la
pub et du corporate », explique Pascal Allard, président du pôle marketing
services chez Euro RSCG. Dans ce souci de cohérence globale et compte tenu de
l'ampleur de son spectre d'intervention, Euro RSCG a dégagé trois accès à son
offre, qui renvoient aux trois principaux domaines d'activité de l'agence, à
savoir : la publicité, la communication corporate et financière et enfin, les
marketing services. C'est là que l'interactif a fini par trouver son foyer
d'accueil même si, comme le précise Pascal Allard, il s'applique à tout, car
il y a une vraie complémentarité entre l'interactif et le papier. « Chez nous,
la transversalité se traduit par une notion de ressource que l'on va retrouver
dans toutes les techniques de communications au service du client .» Amorcée
en juin 2002, la restructuration d'Euro RSCG s'est traduite, en premier lieu,
par la réunion des trois agences interactives (BETC Interactive, The Connect
Machine et Euro RSCG Interactive) sous une même enseigne : Euro RSCG
Interaction. De remodelage en remodelage, elle s'est soldée, au final, par une
consolidation ultérieure des activités interactives, aujourd'hui regroupées au
sein des marketing services, en réponse, dixit Pascal Allard, aux attentes
actuelles du marché, qui n'a pas une problématique spécifique mais un besoin
global. « Si le client demande une solution cohérente pour l'ensemble de ses
communications, la réponse de l'agence ne peut plus être logée dans la
publicité ou dans le marketing , mais doit découler d'une vision globale qui
s'exprimera ensuite par les canaux, les techniques et les compétences les plus
appropriés pour atteindre ses objectifs », argumente-t-il.
Centraliser la réflexion, externaliser les ressources
Si ces deux arbitrages structurels laissent entrevoir d'évidentes similitudes,
notamment autour du concept de transversalité, ont-ils pour autant valeur
d'oracle aux yeux du marché ? Pour s'en convaincre, regardons du côté d'une
agence récemment apparue sur le marché et pour cela désireuse d'asseoir son
modèle. Ainsi Labelleidée, nouvelle agence “full services” lancée par deux
anciens de Wunderman France, DraftWorldwide France et de The Sales Machine
Group, respectivement Pierre Dappélo et Lionel Giraudeau. Qui se défendent de
calquer un schéma pré-formaté, celui des grosses agences, dont ils déplorent la
faiblesse dans le domaine des idées. Et l'idée, c'est justement le socle de
développement de leur concept : « Ici, l'idée sera partout, elle s'exprimera
aussi bien dans la stratégie, les mécanismes que dans les techniques de
production », explique Pierre Dappélo. Bref, même lorsqu'il est réfuté, le
concept de transversalité réapparaît en toile de fond, en dépit des fortes
dissemblances organisationnelles, qui distinguent Labelleidée des autres
agences. La plus criante : les pôles de compétences. Ils sont bien au
programme, mais pas intégrés à l'agence qui a pris le parti de s'appuyer sur un
réseau de partenaires à l'expertise reconnue, totalement externalisés. Dans ce
type de configuration, ils constitueront une constellation de savoir-faire
disparates, centralisés autour d'un noyau de forces créatrices - l'agence - qui
définira la meilleure stratégie pour le client. « C'est une approche à
l'anglo-saxonne, qui offre l'avantage de nous affranchir du poids d'une
structure et des coûts considérables qu'elle génère », explique Lionel
Giraudeau. L'approche, en revanche, reste en phase avec celles de Grrrey ! ou
d'Euro RSCG : il s'agit, encore une fois, de définir une stratégie en partant
des besoins de l'annonceur, sans se focaliser sur un support ou un canal en
particulier, puis de laisser jaillir les meilleures idées. « Un annonceur a
besoin d'une idée qui, à son tour, s'appuie sur des moyens. Notre métier, c'est
le marketing du client et s'il faut exploiter la télévision, la presse ou
Internet, nous le ferons en nous appuyant sur notre réseau d'experts »,
expliquent les deux fondateurs. Suivant cette approche, c'est la réflexion, en
amont, qui détermine le choix des moyens. Toutes les disciplines du marketing
services et de la communication pouvant être sollicitées, en fonction de
l'objectif à réaliser. Bref, on l'aura compris, au fil de ces
re-configurations, les agences ont perdu progressivement leurs velléités de se
démarquer en s'imposant sur un canal spécifique. Qui les réduisait à
hyperspécialistes d'une technique ou d'une méthode. Après avoir digéré le plat
des technologies à la sauce internet, les agences semblent enfin s'acheminer
vers un modèle vertueux où l'expertise, ramenée à son rôle de moyen, ne
concurrence plus le projet ou l'idée mais en découle. « Un retour aux sources
de la communication au sens large », dixit Pierre Dappélo, qui place le client
au cœur du dispositif.