« Le développement viendra de l'élargissement de notre clientèle par des partenariats »
En proie à de graves difficultés, la coopérative niortaise relève la tête, petit à petit. Mesures drastiques, stratégie de repositionnement et de rentabilisation des activité... Telles sont les grandes lignes du programme de redressement appliqué par Philippe L'Hermitte, directeur général du groupe Camif.
Je m'abonneComment est organisé le groupe Camif ?
Il se
compose de plusieurs pôles. Tout d'abord, le pôle B to C, constitué de la vente
à distance, des 14 magasins et d'Internet. Il représente 450 millions d'euros
de chiffre d'affaires. Le pôle Business to Business concerne les collectivités
et pèse 150 millions d'euros. Dans ce secteur, nous sommes challengers de
l'Ugap. Puis un pôle Habitat, spécialisé dans l'activité "chantier" pour le
particulier, à savoir aménagement, rénovation et construction. Il réalise 70
millions d'euros de CA. Quant au pôle Alimentaire, il comprend la société Léon
Fargues, sachant que nous venons récemment de céder le Savour Club au groupe
Maaf Assurances. La Camif possède aussi un pôle Crédit, la société C2C, qui est
en train de devenir rentable. Sa pénétration a augmenté de 20 % et elle a
recentré son activité sur la carte Véronèse. A ces différentes branches, il
faut ajouter une filiale en République Tchèque, Magnet, spécialisée dans la
vente à distance aux particuliers et Delachaux & Niestlé, qui est une petite
entreprise d'édition spécialisée sur la nature.
N'est-ce pas un peu disparate ?
Nous sommes effectivement à la limite de la dispersion
stratégique. Cela s'explique par l'historique même de la société ! En fait,
nous comptons vendre notre filiale tchèque.
Le pôle Habitat est-il dans la logique du groupe ?
Le ferment de l'activité de la
coopérative, car nous sommes une coopérative, c'est la confiance. Or, quand on
entreprend des travaux de rénovation, il est assez naturel de se tourner vers
la Camif. Depuis plus de vingt ans, la Camif est axée sur la vente à distance
dans le domaine de l'aménagement de la maison. Nous avons aussi un catalogue
"Aménager-rénover", de 300 pages, qui comporte plein de conseils, et qui est
leader en France sur ce secteur. Cela nous place comme le spécialiste de la
maison/loisirs.
Outre le Savour Club, envisagez-vous d'autres cessions ?
Le Savour Club est une belle entreprise et sa cession
au groupe Maaf Assurances fait partie de notre politique de cession d'actifs,
la Camif devant financer elle-même son redressement. Mais actuellement, nous
n'envisageons pas de céder d'autres sociétés.
Lorsque vous êtes arrivé à la Camif, en septembre 2000, quelle situation avez-vous trouvée ?
Camif Catalogues connaissait un niveau de pertes extrêmement
important puisqu'elles représentaient environ 9 % du chiffre d'affaires. Je
suis arrivé dans une situation de crise sur un plan de redressement déjà
concocté par mes prédécesseurs. J'en étais d'accord avec les conclusions, mais
pas sur les modalités. En deux mois, j'ai posé un diagnostic sur l'ensemble du
groupe et proposé un plan de redressement à la mi-décembre, qui devait se
dérouler en trois ans. Aujourd'hui, je fais le constat qu'il faut quatre ans. A
mon arrivée, l'ensemble des sociétés du groupe était dans le rouge avec un vrai
problème sur Camif Catalogues. Aujourd'hui, l'ensemble des sociétés du groupe
est au vert, sauf Camif Catalogues qui reste à relever.
Quels étaient les éléments de votre diagnostic ?
La Camif avait connu
une hausse de ses coûts commerciaux, notamment les remises commerciales, qui
représentaient plus de 45 millions d'euros. Par ailleurs, le textile ville,
mais également sport, représentait 20 % du chiffre d'affaires mais 65 % des
pertes. En outre, par rapport à une clientèle plutôt vieillissante, il y avait
eu une volonté de capter les jeunes, en créant une enseigne Jeune Habitat, or
elle n'a pas marché. Cela a brouillé la perception qu'a le sociétaire de la
Camif. En plus, il y avait eu multiplication des catalogues spécialisés. Or,
ceux-ci ne doivent pas constituer une fuite en avant. Nous avons pris des
décisions assez tranchées, qui se sont appliquées sur le deuxième semestre
2001. Par exemple, nous avons décidé de réduire les coûts commerciaux, par une
réduction des remises, des catalogues spécialisés et des tirages. Ce fut
douloureux, mais indispensable à faire.
Quelles sont donc les mesures qui ont été prises ?
Camif Catalogues a été recentré comme
un multispécialiste dans le domaine de la maison et des loisirs, avec un
positionnement moyen/haut de gamme. Nous avons diminué de 40 % (soit 150 pages)
la partie textile, en gommant pratiquement le prêt à porter ville, mais en
gardant le positionnement outdoor/sportswear. Ce positionnement moyen/haut de
gamme s'appuie sur les marques nationales et internationales présentées. En
l'espace de deux ans, en réduisant la pagination de 40 %, nous réalisons le
même chiffre d'affaires. Le secteur textile/loisirs est redevenu viable. Cela a
été une erreur stratégique d'avoir voulu être le troisième vépéciste
généraliste en France. Ce positionnement a été totalement abandonné. Il a fallu
aussi confirmer le positionnement multicanal de Camif Catalogues en centrant
toute notre offre sur le moyen/haut de gamme. Par exemple, nous avons
transformé les magasins Maisonnables en magasins Camif avec un positionnement
moyen/haut de gamme. La Camif est une marque extraordinaire. Le fait de ne pas
l'utiliser entraîne un brouillage dans la perception qu'en ont les sociétaires.
Cette mutation entreprise en avril 2001, qui s'est prolongée avec le nouveau
catalogue "Le Meuble" en 2002, nous a permis d'être classé comme cinquième
distributeur français de mobilier, selon les données Ipea. Le meuble est pour
nous l'axe prioritaire et, début 2003, nous avons centré les magasins encore
plus sur le meuble. La vente de produits électroniques est quant à elle plus
axée sur le catalogue papier. Nous réalisons 37 % de notre chiffre d'affaires
dans les magasins ou dans l'une de nos trois expositions itinérantes, 63 % en
vente à distance, dont 17 % par Internet. Nous avons donc un vrai système
multicanal bien varié.
S'il fallait définir votre stratégie, quelle serait-elle ?
Nous appliquons la stratégie des 4 M :
Multispécialiste, Multicanal, Maison/Loisirs et Médiateur. C'est-à-dire, être
"Médiateur" entre nos sociétaires et les fournisseurs, qui se respectent
totalement les uns les autres. Nous avons un devoir d'information sur les
produits. Et nos fournisseurs doivent être respectés. De plus, nous avons des
valeurs de respect de l'environnement, nous veillons aux conditions dans
lesquelles nos produits ont été réalisés. Par exemple, sur la 4e de couverture
du catalogue Camif, nous indiquons : "Pour 100 produits achetés, un lave-linge
est donné à une association de solidarité".
Deux ans après les premières mesures de redressement, comment se présente la situation actuelle ?
En termes de résultat d'exploitation, nous avons réduit les
pertes : elles étaient de 46 millions d'euros en 2000, elles sont passées à
13,5 millions en 2002. Nous avons fait les trois quarts du chemin. J'aurais
bien aimé le faire totalement en deux ans. Le redressement est plus lent que je
ne le prévoyais. Par ailleurs, nous avons préparé différents outils de
prospection, il n'y en avait pas vraiment jusque là. En partenariat avec
Consodata, nous avons monté un catalogue spécifique de prospection, dont le
coût est sept fois moins élevé que celui du catalogue général, sur des fichiers
que nous avons testés. Nous avons réussi à plus que tripler nos rendements.
Première nouveauté : la mise en kiosque du catalogue Camif. C'est une évolution
forte, qui constitue un succès. Il faut savoir que, dès 1988, la société s'est
ouverte à d'autres fichiers de fonctionnaires que ceux des enseignants. J'ai
l'habitude dire : la Camif une coopérative et non une "corporative". Ce que
nous voulons, c'est en faire une enseigne la plus attractive possible. En
réalité, je ne compte pas trop dessus, je compte plutôt sur le fait de trouver
des partenaires, par cooptation. Autre pièce du dispositif : nous avons investi
très fortement dans un centre de contacts multimédia, basé à Niort. Nous
pouvons tracer les informations à tous les stades de la communication avec le
client et de la livraison. Ces informations sont répercutées sur le serveur
vocal et Internet. Dans ce domaine, nous avons repris de l'avance par rapport à
la concurrence. En janvier et février 2003, nous avons reçu 38 % d'appels
téléphoniques en moins par rapport à la même période de l'année dernière. Ce
qui constitue un gros gain de productivité. Enfin, nous avons procédé à un
recentrage de nos transporteurs. En 2000, nous avions un taux d'avarie de 2,50
%. Il est passé à 1,60 % au premier trimestre 2003. Nous avons opté pour un
partenariat avec le groupe Géodis, avec une informatique déportée dans 38
plates-formes de livraison. Nous avons un réseau bien maillé, et il s'agit
d'une prestation cohérente avec notre positionnement moyen/haut de gamme.
Quel rôle joue le réseau Internet dans votre stratégie ?
Il est normal que la vente à distance soit un acteur majeur de
l'Internet. C'est le cas notamment à la Camif où, au premier trimestre 2003, ce
canal représente déjà 17 % du CA de l'activité vente à distance. Et je prévois
même un taux de 30 à 35 % en 2010 ! A la Camif, c'est quasiment un phénomène
normal, puisque 65 % de notre clientèle provient du monde de l'enseignement. Il
s'agit d'une clientèle très pro-active. Il y a une réelle synergie entre le
catalogue papier qui reste incontournable et Internet, qui présente un effet
téléscopique. Nous allons y développer les présentations en 3D.
Comment s'est passée cette réorganisation en interne ?
Dès mon arrivée, un plan social a été engagé. Aujourd'hui, je continue de
réduire la masse salariale en essayant d'avoir une meilleure organisation. Le
comité de direction a été renouvelé à 90 %. Il fallait redonner du souffle à
cette entreprise et réorienter un certain nombre de choses.
Vos prochains chantiers ?
Ma totale obsession, c'est la rentabilité.
Je pense que le groupe sera rentable en 2004 et Camif Catalogues en 2005. Pour
cela, il faut développer notre chiffre d'affaires sur la base de notre
stratégie actuelle et ce, de façon mesurée. Le développement viendra
principalement de l'élargissement de notre clientèle par des partenariats. Le
redressement du groupe a nécessité de procéder à une recapitalisation, qui sera
bouclée et votée, lors de notre assemblée générale, le 7 juin prochain. Et
cette année, nous sommes à la recherche de partenaires financiers.
Biographie
Agé de 49 ans, ingénieur de l'Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers, Philippe L'Hermitte a démarré à La Redoute où il est resté 18 ans (1976 à 1994). Il y occupe différentes fonctions logistiques puis devient chef de groupe ameublement, directeur produit adjoint Maison/Loisirs et responsable écoulement des surstocks. En 1994, il rejoint Quelle France, comme directeur commercial, puis devient directeur général adjoint du groupe Quelle France. En septembre 2000, il est nommé directeur général Camif Catalogues et Camif Magasins. En septembre 2001, directeur général de Camif Catalogues-Camif Magasins et directeur général de Camif Services. Depuis juillet 2002, il est directeur général du groupe Camif.
L'entreprise
Création : 1947. Effectif : 2 400 personnes. CA 2002 : 760 millions d'euros. Résultat d'exploitation : - 13,5 millions d'euros. Résultat part du groupe : - 14,5 millions d'euros.