Wait marketing : attendre, non merci !
Les temps "creux" sont les grands oubliés des marques. L'équipe Human Experience Strategist de Starcom Mediavest Group a pris le temps de décrypter les stratégies pour installer un Wait Marketing malin.
L'équipe Human Experience Strategist (HES) de Starcom Mediavest Group explore le " Wait Marketing ". Ces temps dits "creux" où nous n'avons pas d'autre choix que d'attendre. Cette étude montre comment les marques peuvent mettre à profit ce temps contraint en le valorisant. D'autant plus que nous avons, pendant ce temps trop souvent jugé inutile, une capacité de mémorisation de plus de 50% contre moins de 15% en situation normale (selon l'experte en neuromarketing Diana Derval).
Les temps " creux " déjà meublés par des pratiques instinctives (écoute de musique, mobile gaming notamment qui s'ajoutent à la lecture) peuvent devenir de véritables opportunités pour les marques. La tendance des Tiers Lieux ou "3ème porte" en est une belle illustration : aéroports, gares... autrefois synonymes d'attente et d'ennui ont été réinvestis et deviennent des lieux d'expériences fortes qui renouvellent le genre de l'attente.
>>>>> Voir dans les pages suivantes les stratégies temporelles de certaines marques
Gagner du temps : impératif sociétal central
Toutes les marques peuvent se poser la question autour de leur " client ou consumer journey " : quels sont, pour ma cible, les moments potentiellement creux ? Ceux qui peuvent détériorer la relation avec ma marque ? Qu'est-ce que ma marque pourrait envisager pour changer la donne ? Quels sont les moments d'attente au cours desquels ma marque peut avoir un rôle à jouer ?
La technologie a considérablement réduit le temps nécessaire pour réaliser un grand nombre d'actions ou d'activités. Elle a changé notre rapport à l'espace-temps : on peut visiter un pays en quelques jours, acheter des bibliothèques entières d'un simple geste, communiquer à l'autre bout de l'Univers... D'autre part, la société du divertissement a multiplié le nombre de nos activités, en dehors des activités " primaires ", physiologiques telles que le sommeil, l'alimentation ou le travail.
Nous avons progressivement pris l'habitude de manger de plus en plus vite, de dormir de moins en moins, pour réaliser, par ailleurs, toujours plus d'activités... et ce, en moins de temps. Cette spirale du temps " compulsif " est renforcée dans ses effets par les nouvelles technologies, qui viennent greffer de nouveaux usages dans tous les domaines, dans toutes les sphères de notre vie. Le consommateur exige de l'instantanéité comme un dû.
Nous n'acceptons (presque) plus d'attendre : qu'il s'agisse de voyager, de séduire, d'accéder aux médias... L'émergence des réseaux sociaux surfant sur cette vague - comme Snapchat - ou la greffe de fonctionnalités à des plateformes existantes - comme les applications de messageries instantanées - imposent l'instantané comme nouvelle donne de l'information.
Cette posture du quotidien redéfinit le rapport du consommateur aux marques, accentuant parfois les décalages. Des études montrent ainsi que pour 70% des Français, le délai maximum toléré de réponse pour une marque sur Facebook est de 4 heures (dans les faits, ils se voient contraints de patienter en moyenne près de 26 heures). L'attente s'impose dès lors comme un critère essentiel à prendre en compte dans la vie des individus. Une étude de Wincor Nixdorf montre ainsi que 9 Français sur 10 réclament des temps d'attente moins longs en magasin ; pour 74% d'entre eux, gagner du temps serait l'apport majeur des innovations en magasin.
L'attente peut même devenir un préjudice ... une association de consommateurs a attaqué en justice l'enseigne Carrefour en 2013 pour non-respect des temps d'attente indiqués en bout de caisse.
Il y a plusieurs niveau d'attente : l'attente rejetée (13 secondes pour démarrer lorsque le feu passe au vert), l'attente tolérée (20 minutes pour passer les contrôles aériens ou .. 1H30 pour manger chez Burger King lorsque l'enseigne a (ré)ouvert Gare Saint Lazare) et l'attente acceptée (grands événements nationaux comme une exposition d'art majeur ou des obsèques de figures du siècle (5H00 pour celles de Nelson Mandela par exemple).
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Différentes stratégies possibles
Pour le agir sur temps réduit, Sainsbury's a en novembre 2014, lancé une application sur mobile pour supprimer le passage en caisse.
Autre exemple, le temps d'attente pour joindre un service client ... 1,58 minutes c'est le temps d'attente moyen observé pour joindre les services de relation client des entreprises. 4,56 minutes c'est le temps qu'ont l'impression d'attendre les individus, soit 2,5 fois plus que la réalité ! Me atende, start-up brésilienne et son application smartphone gratuite surfent justement sur cette tension. Téléchargeable au Brésil depuis mars 2014, elle permet dans un premier temps à l'utilisateur d'enregistrer le numéro d'une entreprise ou d'une administration qu'il souhaite joindre. L'utilisateur est connecté via l'interface digitale uniquement quand l'interlocuteur demandé est disponible, le laissant ainsi libre de vaquer à d'autres occupations presque sans attendre.
La stratégie de la transformation
La perception de l'attente n'est souvent pas absolue : elle dépend de toute une série de conditions. Il est possible de " manipuler " la sensation liée au temps en utilisant des subterfuges : la durée réelle de l'attente n'est en fait pas modifiée, mais pourtant on a l'impression qu'elle est moins longue. Des techniques très proches du Nudge Marketing (" coups de pouce " en anglais) qui consiste en des incitations pour faire changer les comportements des individus. Plusieurs études et expériences ont également montré qu'une communication très claire du temps d'attente permet de changer la perception que les individus en ont. Le plus insupportable dans l'attente c'est de ne pas savoir combien de temps elle va durer. C'est parfois le cas, lorsque l'on attend un métro qui semble ne pas vouloir arriver et que l'on est pressé... La ligne 14 du métro est une des préférées des parisiens notamment grâce à sa gestion du timing qui annonce sur tous les quais l'arrivée des prochaines rames à la seconde près. L'individu sait ainsi à quoi s'attendre et cela diminue l'impression qu'il peut avoir de perdre son temps. Une initiative simple et intelligente qui est de plus en plus souvent reprise, notamment par les musées qui indiquent dorénavant : " à partir d'ici trente minutes ".
Autre exemple dans le commerce avec les files uniques : Leroy Merlin, à l'instar d'autres marques comme la Fnac, a opté pour le principe de la file unique. Cette dernière donne accès à toutes les caisses, où un distributeur de tickets définit l'ordre de passage. Ce système du " premier arrivé, premier servi " évite que le client ne soit agacé lorsque la queue d'à côté avance plus rapidement que la sienne. Les usagers seraient même prêts à patienter deux fois plus longtemps lorsqu'ils ont l'impression que ce principe d'équité est respecté.
L'attente "occupée"
Certaines marques font le choix d'utiliser l'attente des clients et de la tourner à leur avantage : ce temps est potentiellement un moment de réceptivité durant lequel la marque peut transformer temps morts en moments sympathiques et parfois même gagneren proximité. Et il existe une infinité de façons pour divertir les individus...Le grand froid canadien ne se marie pas à merveille avec l'attente glaçante que peut suggérer un abribus. En plus de l'incertitude liée au temps d'arrivée des bus, les conditions météorologiques sont difficilement supportables. Pour promouvoir ses piles Quantum, Duracell a pris l'initiative d'occuper et de réchauffer les montréalais pendant l'hiver 2014. En effet, la marque a installé un système de chauffage à l'intérieur d'un abribus, et ce qui est le plus ingénieux c'est que les individus doivent se tenir la main pour l'activer. Mais l'opération ne s'arrête pas à un simple buzz publicitaire car elle vise également à amasser des fonds pour l'association Habitat pour l'Humanité, en versant un dollar pour chaque partage de la vidéo. Duracell parvient ainsi à créer de la proximité avec et entre ses consommateurs en mettant en place un moment chaleureux dont ils sont eux-mêmes la source. Une opération solidaire d'un bout à l'autre de la chaîne.
Autre exemple avec l'expérience lavomatic ...Le concept du Wasbar, sponsorisé (et équipé) par Electrolux, mène sa petite révolution depuis 2012 à Gant en Belgique. Lieu de vie cosy à la déco rétro, il s'agit d'une laverie mais pas seulement. En effet, on peut tranquillement s'asseoir à une table entre amis, profiter d'une bière fraîche ou d'un bon café et même se faire coiffer, tout en gardant un oeil sur son linge. La marque devient génératrice de conversations offline et assure un relai sur les réseaux sociaux grâce au buzz. Cette nouvelle " place to be " n'a pas dit son dernier mot puisqu'elle devrait bientôt débarquer dans les villes étudiantes françaises.
L'attente pour exhausser le désir ...
Le temps d'attente vient parfois renforcer le désir, et amène les individus à fantasmer le produit, l'objet, l'expérience... la marque. Un mécanisme qui se rapproche du marketing de la rareté. Autrefois réservé à une poignée de catégories seulement (luxe, beauté, design...), il se répand dans des univers plus mainstream. Et les marques peuvent même utiliser le temps d'attente comme élément de contenu pour faire parler d'elles...
L'enseigne de prêt à porter H&M surfe sur cette idée et affiche sa pensée : " un design à la pointe de la mode se doit d'être indépendant des considérations de prix ". En effet, depuis 2004, la marque suédoise collabore chaque année avec des designers internationaux afin de créer des collections capsules uniques et abordables. Après Karl Lagerfeld, Stella McCartney, Versace ou encore Isabel Marant, c'était au tour d'Alexander Wang de faire le buzz le 6 novembre 2014. A Singapour, des centaines de personnes ont littéralement campé depuis la veille devant le magasin. Plus que de simples acheteurs, ce sont des fans souriants prêts à tout, et même à passer la nuit dehors sous une tente, pour acquérir les pièces en édition limitée siglée Alexander Wang x H&M. L'histoire semble leur donner raison puisque tout a été dévalisé en moins d'une journée.
Plus réceptifs ...
En situation d'attente, les consommateurs présentent une capacité de mémorisation de plus de 50% contre moins de 15% en moyenne en situation normale. (Wait Marketing - Diana Derval) Ces moments d'attente peuvent donc devenir des moments de réceptivité sur lesquels capitaliser, d'autant plus que les réflexes de connectivité sont déjà bien établis.
Quand l'attente fait chic
Certains spécialistes du comportement constatent l'émergence d'une nouvelle catégorie de consommateurs, pour qui attendre avec les autres fait partie intégrante de la satisfaction d'acheter. Sans file d'attente collective, pas de plaisir d'achat : c'est le phénomène " queue chic ". Pour cette génération de consommateurs, faire la queue est une expérience à part entière. Elle booste leur ego en leur apportant la preuve sociale qu'ils font partie de l'événement, de l'histoire, qu'ils ne loupent pas un moment clé et qu'ils font le bon choix. Ce qui caractérise la " queue chic " c'est qu'elle est vécue comme une expérience collective, un évènement que l'on gardera en mémoire et que l'on pourra raconter à ses proches.
La manifestation la plus connue de ce phénomène est celle des Apple Store : certains clients sont prêts à faire la queue dans la rue plusieurs jours avant l'ouverture des portes, pour acheter le dernier iPhone, alors que celui-ci est disponible en ligne et peut être livré chez eux gratuitement. Certaines enseignes auraient même intérêt à laisser s'étaler les files d'attente, car elles attirent l'attention et génèrent une notoriété positive, avec potentiellement plus de ventes à la clé.
Pour l'instant , le phénomène " queue chic " semble se cantonner à certains types d'achats en particulier : appareils électroniques dernier cri, baskets Nike nouvelle génération, avant-premières de spectacles etc. Les consommateurs concernés sont souvent plus que de simples clients mais des fans, fiers d'afficher leur fidélité à une marque et d'appartenir à une communauté spécifique.
Attendre peut-être un atout ...
Pour certaines industries, l'attente est en fait un outil essentiel de création de valeur. Le temps est le seul luxe universel, synonyme de qualité. La manufacture d'un véritable objet de luxe prend par définition du temps - alors que notre désir de posséder l'objet est, lui, immédiat. Dans ce cas, l'attente devient un moment où l'individu fantasme le produit : on imagine toute la magie de la conception, toute la passion des artisans autour des matières, de la fabrication, de l'attention portée aux détails...
Bref, on crée un mythe autour de l'objet que l'on attend. Certaines marques capitalisent sur ce désir en tension, en créant une attente artificielle ou en limitant volontairement le nombre d'exemplaires disponibles sur le marché. Sur les nouveautés horlogères - pour des marques comme Blancpain, Breguet et Jaquet Droz - il faut parfois patienter plus d'un an et demi pour accéder au modèle. D'autre part, la file d'attente, qui est le plus souvent vécue très négativement, peut renforcer l'image d'une marque. " S'il y a une longue file d'attente, c'est que le produit ou la marque se méritent, c'est qu'ils sont rares et précieux et qu'en tant qu'acheteur je deviens un privilégié " selon Guillaume Gronier, psychologue à l'Institut des Sciences et Technologies du Luxembourg. Ainsi l'attente, dans ce cas, est valorisante pour l'individu.
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