[Tribune] Le défi du vrac : 10 ans pour y parvenir !
En imposant la vente en vrac, la loi Climat et Résilience concerne les distributeurs qui doivent repenser leur retailing-mix, elle concerne aussi les producteurs qui doivent adapter leur offre mais aussi les consommateurs qui doivent revoir leur mode de consommation.
Cette année, l'Assemblée nationale, en votant la loi Climat et Résilience, fait un pas vers le zéro déchet. Son article 11 vise l'objectif d'" accélérer le développement de la vente en vrac et de la consigne du verre " (projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets). Il s'agit pour l'action publique d'encourager d'ici 2030 la vente de produits sans emballage primaire et d'imposer aux distributeurs ayant une surface de vente de plus de 400m2 d'allouer 20 % de cette surface au vrac. Si cette loi concerne les distributeurs qui doivent repenser leur retailing-mix, elle concerne aussi les producteurs qui doivent adapter leur offre mais aussi les consommateurs qui doivent revoir leur mode de consommation.
Côté consommateurs, la demande pour le vrac est croissante et elle reflète leur volonté d'avoir un impact moindre sur l'environnement : ils souhaitent de plus en plus réduire leur consommation d'emballages (dont certains sont considérés comme inutiles) et veulent aussi réduire le gaspillage, ce que leur permet le vrac du fait du choix des quantités. Toutefois, si le marché enregistre une croissance exceptionnelle, il reste paradoxalement encore méconnu ou évité. Les freins à la consommation en vrac sont nombreux : les consommateurs y voient une modification importante de leurs habitudes de shopping et de consommation. Le vrac, pour tendre vers le zéro déchet, n'a de sens que si les consommateurs jouent le jeu de l'apport volontaire de contenants réutilisables et réemployables ; or, cela est encore perçu comme une contrainte logistique forte. Il faut y penser, il faut les transporter et les nettoyer. En magasin, les routines sont aussi bouleversées puisque les consommateurs ont l'habitude de l'emballage, ce vendeur muet qui joue le rôle d'interface entre eux et les produits. Comment alors les déshabituer des automatismes de choix des produits en fonction des emballages, des informations qu'ils véhiculent et de l'attraction en rayon qu'ils provoquent ? En magasin, le vrac nécessite également de se servir soi-même ce qui est vu comme une tâche qui prend du temps.
Côté distributeurs, la loi impose donc de réaménager les points de vente, ce qui suppose des investissements lourds comme l'achat de mobilier adapté et de matériels spécifiques (silos, bacs, pelles, etc.). Les ressources humaines sont aussi impactées : les personnels devront acquérir des compétences nouvelles autour de la gestion des stocks, ils devront être formés à la gestion de la traçabilité des produits ou de l'hygiène car gérer un rayon vrac n'est pas la même chose que gérer un rayon traditionnel.
Au point de rencontre des distributeurs et des consommateurs, il faudra repenser l'interface, et la relation client. Parmi les réflexions, il faudra s'attaquer à la problématique du parcours client en magasin. Comment lui délivrer l'information sur les produits dénués d'emballage ? Comment l'attirer ? La question du flux en magasin se posera également. La pesée autonome créant de la congestion, une attente indéniable près des balances se formera, ce qui ne sera pas sans irriter les clients. Ainsi, le vendeur retrouvera-t-il une place centrale pour accompagner les clients en rayons ?
Une question se pose alors : la loi n'impose-t-elle pas un changement trop brutal ?
Les enseignes ne partent pas de zéro car force est de constater que depuis quelques années le vrac s'est invité dans les rayons de la grande distribution. Pour autant, la consommation de produits emballés reste le modèle dominant en France. Ceci pose la question des changements, de mode de consommation et de mode de distribution, qu'il va falloir accompagner. La date butoir de 2030 est l'échéance visée pour les parties prenantes. Une transition de 10 ans est-elle suffisante ? Si cette loi peut paraître radicale, il faut souligner que les changements se feront par étapes. Par le passé, des décisions politiques radicales du même type ont vu le jour et se sont installées progressivement, comme la suppression des sacs de caisse à usage unique dans les enseignes (de l'accord volontaire de 2003 à aujourd'hui) ou dans un autre registre, le port de la ceinture obligatoire dans les véhicules (processus engagé en 1973 et dont la fin a eu lieu en 2006).
La capacité d'innovation des fournisseurs et des distributeurs ainsi que la capacité à changer des consommateurs seront à l'épreuve. Cela se fera au moyen d'un accompagnement certain de la Fédération du commerce et de la distribution ou encore de Réseau Vrac qui oeuvrent pour la transformation du modèle de distribution vers un commerce plus responsable et engagé.
Sources : Reniou F., Monnot E., Sirieix L. et Daniel M., Le marché du vrac : un renouveau des pratiques " dans Dekhili S. (dir.), Le marketing au service du développement durable, repenser les modèles de consommation, Editions ISTE-Wiley, 2021. L'Observatoire du Rayon Vrac 2019, Olivier Dauvers.
Fanny Reniou est maître de conférences à l'Université de Rennes, chargée de mission développement durable et responsabilité sociétale et responsable des enseignements de tronc commun de Master 1 Gestion à l'IGR-IAE Rennes. Elle est Membre élue du bureau de l'Association Française du Marketing (AFM) - Responsable de la commission Engagement Sociétal. Ses recherches portent notamment sur les formes de responsabilisation et d'engagement des consommateurs.
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