DossierComment lever les irritants en magasin ?
3 - Fluidifier le parcours d'achat en boutique
Le parcours client est désormais cross canal : le consommateur vient en magasin bien informé et souhaite avant tout être accueilli et conseillé.
"Les irritants sont plus visibles qu'hier car nos comportements sont désormais "algorithmés", affirme Mickaël Palvin, directeur du planning stratégique de Publicis Shopper. L'essor du digital dans nos vies a rendu l'attente plus difficile." Mais le client sait aussi patienter quand il le décide. Tout le monde le fait si le produit ou l'expérience en vaut la peine... Le luxe (une liste d'attente est imposée chez Vuitton ou Hermès), le commerce de bouche (les files d'attente du pâtissier Pierre Hermé et du boucher Yves-Marie Le Bourdonnec sont célèbres), le mass premium (Abercrombie, Nespresso, Apple...) et même l'e-commerce (Vente-privée impose à la fois des connexions très tôt le matin et des délais de livraison très longs sans rencontrer de problème) sont la preuve que le temps constitue une notion complexe à comprendre. Mais le client arbitre surtout entre les notions de temps actif (positif, dit aussi "temps utile") et de temps passif (négatif, ou "temps mort"). "Le temps consacré à l'exercice de la consommation, regroupant les courses et le shopping, s'est allongé ces dernières années, indique Frank Rosenthal, expert et consultant en distribution. Les clients préparent leurs achats sur le Net, pour un temps de visite physique moins important. Ils ont donc la sensation d'avoir déjà beaucoup dépensé de temps en amont, du coup, ils n'en ont plus pour transformer leur achat! C'est donc l'enseigne qui offre la meilleure expérience en temps actif, avec le moins de problèmes d'exécution qui est valorisée."
En parallèle, le digital peut aider à fluidifier le parcours et la transformation clients. Les temps morts peuvent être réduits notamment grâce à l'encaissement mobile, qui se répand. Pour peu, cependant, qu'il ne se substitue pas totalement aux caisses classiques, encore plébiscitées. Mais l'un des moyens de faire préférer le point de vente à toute autre forme de commerce demeure la valorisation des hommes et des femmes qui y passent leur journée. Qui n'a jamais dit "mon boulanger", "mon esthéticienne" ou "Nicole, ma coiffeuse"? De fait, se crée une proximité presque amicale, voire bienveillante. La grande distribution mène également des campagnes de communication et mobilise ses ressources humaines locales pour réhabiliter ses métiers de front. Ainsi, certains hypermarchés Carrefour informent leurs clients dans des kakémonos en zone de caisse qu'"Ici, Martine, hôtesse de caisse depuis 15 ans est à votre service". Une manière de signifier très clairement que la file d'attente ne s'éternisera pas.
Interview de Mickaël Palvin, directeur du planning stratégique Publicis Shopper
Le client s'agace très vite en magasin... Est-ce dû uniquement à l'essor du digital?
Non. Le client n'est pas irrité à cause de la prégnance du digital dans nos vies. En revanche, l'expérience de fluidité immédiate du Net en général, et de l'e-commerce en particulier, a rendu les irritants en magasin davantage visibles. Le commerce physique ne sera jamais une surface tactile...
La crise a également durci les relations avec les commerçants. Les arbitrages des ménages, de plus en plus contraints, rendent la consommation sensible. Ce que les consommateurs pardonnaient aux magasins avant 2008 n'est plus excusable aujourd'hui. Mais, en France tout du moins, il faut avouer que la distribution n'a jamais eu bonne presse.
Les vendeurs sont cités comme l'un des irritants majeurs. Est-ce justifié?
Ce n'est pas leur fonction, ni même leur rôle, qui est en cause, mais leur indisponibilité. Le syndrome du "vendeur Shiva", soit un professionnel qui fait tout sauf de la vente, est fortement décrié, aujourd'hui. La polyvalence à outrance et les abus observés dans le hard discount montrent leurs limites. Il y a moins d'employés dans les magasins et c'est une erreur. Réhumaniser les points de vente est primordial. Les clients plébiscitent les bons vendeurs qui connaissent leur sujet. Ils attendent de l'accompagnement, de la considération, de la sincérité, également. Nous sommes entrés dans une ère empathique même dans le commerce (NDLR: aller plus loin avec Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Civilisation de l'empathie, par Jérémy Rifkin, édition Les liens qui libèrent).
Un achat se décompose en trois temps (avant, pendant et après). Quel est, selon vous, le plus perfectible pour les enseignes physiques?
Sans aucun doute le moment où le client est à l'intérieur du magasin. C'est le lieu qui fidélise avant tout. Et une fois à l'intérieur, tout compte: l'ambiance générale, la qualité de l'accueil, la disponibilité du personnel, la lisibilité du merchandising, la cohérence des informations, la pertinence des services... Mais les clients sont pluriels. Dans notre étude "Quelles solutions pour les irritants en magasin" (cf. p.54), aucune des solutions proposées ne récolte plus de 54?% des voix, par exemple.
Les irritants sont très variables d'un secteur à l'autre. Est-ce lié au prix? À la valeur ajoutée des produits? À la différence structurelle entre courses et shopping?
Entre le secteur de la cosmétique et celui du bricolage, les attentes et les points noirs ne sont clairement pas les mêmes. Entre le mass market et les secteurs de niche, comme le luxe ou le commerce de bouche, les différences sont énormes. Mais le mass premium, Nespresso ou Abercrombie&Fitch, par exemple, propose une nouvelle posture inspirée du luxe. Nous différencions les "irritants noirs" - communs à tous les secteurs, comme une rupture de stock ou une file d'attente trop longue - et les irritants "gris" qui sont moins rédhibitoires, comme le fait d'avoir des difficultés à localiser un produit, ou ne pas pouvoir le tester. Ou permettre un accès wi-fi, service très demandé, mais qui n'est pas encore la règle partout, ce que l'on peut regretter.
Qu'est-ce qui vous a surpris dans les résultats de cette étude?
L'autonomie est une attente très forte. Les clients disent qu'ils ne veulent pas être esclaves. Que ce soit de la consommation ou de l'hyperdigitalisation. Ils apprécient que l'on leur laisse le choix d'être accompagné ou non. D'utiliser ou non les outils digitaux. Ils sont favorables aux outils digitaux quand ceux-ci sont utiles. Non aux solutions digitales futiles. Le recours systématique au digital peut aussi très vite agacer... Les clients ont tendance à penser que c'est de l'emploi perdu, que les investissements se sont faits au détriment d'autres choses plus importantes comme les prix, les services ou l'état du magasin...
En revanche, les enseignes qui fidéliseront le plus seront sans doute celles qui reconnaîtront le client dès son entrée pour lui proposer des offres promotionnelles personnalisées, notamment (NDLR?: on parle alors de géofencing). Plus de huit shoppers sur dix apprécieraient ce type de push, par exemple.