[Tribune] Le collectif peut-il sauver votre réseau de la crise ?
En situation post-crise sanitaire, comment préserver au maximum les 1300 enseignes que compte aujourd'hui la France ? En gardant un collectif mobilisé et collaboratif au sein des entreprises selon Suzanne Castel, Charlotte Crozier et Yvain Jury de l'agence Insign qui signent cette tribune.
Je m'abonneAlors que Naf Naf, Celio, Boulanger, Conforma, Habitat et bien d'autres sont dans une tourmente sans précédent, et bien que sur les 1300 enseignes que compte la France aujourd'hui, 300 seraient amenées à disparaître d'ici fin 2020, comment maintenir les équipes magasins, indispensables pour gagner la bataille, dans une dynamique constructive et supportrice ?
Trois grandes typologies de situation qui ont toutes un point commun. Quand on s'intéresse aux enjeux du retail suite à la crise sanitaire, la situation actuelle fait apparaître trois grandes familles chez les enseignes :
- Celles qui pour des raisons de rachat ou cessation d'activité vont devoir se séparer de collaborateurs, et pour qui l'enjeu porte sur leur capacité à garder mobilisés celles et ceux qui restent. Il faudra accompagner le mieux possible les départs des collaborateurs pour garder fiers de leur entreprise et motivés ceux qui resteront. L'attitude d'AirBnB, qui a dû se séparer de 1900 employés début mai, a été jugée exemplaire et peut être source d'inspiration. L'entreprise a notamment mis en place un "annuaire des talents" dans lequel ceux qui cherchent un nouvel emploi ont pu poster leur CV.
- Celles qui vont devoir se réadapter pour accélérer sur les points de vente qui marchent et arrêter les autres. Ici l'enjeu consistera à allouer les bonnes personnes aux bons points de vente, avec un volume de répartition efficient et un accompagnement adapté pour soutenir le business (via des opérations d'activation et des formations par exemple). Indetex (Zara, Pull&Bear, Stradivarius, Bershka...) a enregistré pour la première fois de son histoire des pertes (409 millions d'euros entre les mois de février et avril) mais a aussi vu ses ventes en ligne augmenter de 50% sur le premier trimestre par rapport à 2019. Le groupe confirme donc que la crise a été un accélérateur de la stratégie de mutation du groupe, en place depuis 3 ans : s'implanter moins mais mieux. Ouvrir de plus grands magasins en absorbant les plus petits et développer les services en ligne.
- Celles qui sont en croissance, comme dans l'alimentaire, où l'enjeu est de garder "animées" des équipes qui ont été sur-sollicitées. Nos clients de l'industrie alimentaire ou de la grande distribution nous confirment que leurs équipes terrain sont très fatiguées et qu'il va falloir adapter l'organisation du travail et le management pour prendre en compte cet épuisement et maintenir la qualité de service en magasin.
Ce que montre ce tableau c'est que dans chacune des trois situations, bien travailler les enjeux liés aux collaborateurs sera une clé pour réussir le second semestre de 2020, 2021 et la suite... Alors, face à l'adversité : repli sur soi ou exploitation de sa résilience ? Nombreux sont les papiers scientifiques qui sont sortis ces dernières semaines pour "prouver" comment cette crise, au-delà de son impact sanitaire et économique, a aussi ébranlé psychologiquement bon nombre de personnes. Alors après avoir fait face à l'adversité, résisté et s'être adapté, vient le temps de la prise de recul et de l'analyse pour mieux rebondir et transformer durablement son entreprise. Et si pour réinventer l'avenir de son réseau, il fallait capitaliser sur ce qui marche ?
Garder un réseau mobilisé
Le collectif et le collaboratif pour garder un réseau mobilisé car pour construire la suite, certains feront appel à des solutions externes : cabinets de restructuring, d'autres investiront en marketing, d'autres mettront le paquet en digital... Néanmoins, une bonne partie des solutions est déjà présente au sein de l'entreprise et le sujet consiste à travailler sur la recherche de ses forces. Comment ? En s'appuyant sur le terrain, sur les collaborateurs, ceux qui font tourner les points de vente, ceux qui pratiquent ce qui a fait le succès du réseau jusqu'alors, ceux qui voient tous les jours l'évolution des comportements clients, ceux qui savent ce qui fonctionne et constitue des "actifs" dont même la direction financière n'a pas connaissance ! Concrètement, grâce aux méthodes collaboratives, et en s'appuyant sur toutes les parties prenantes d'un réseau (vendeurs, responsables de magasin, responsables régionaux, équipes d'animations commerciales...), le dialogue peut être orienté sur leurs forces et leurs aspirations.
Lors de la refonte du réseau d'agence Look Voyages il y a quelques années, le rôle, l'organisation et même le design des nouvelles agences avait été pensé de façon collective et collaborative avec des agents de voyages, des responsables réseau, le service commercial et marketing. Cela avait permis d'être plus juste dans la nouvelle proposition d'expérience magasin, par rapport aux besoins des clients et à la réalité des équipes terrain. Et surtout, cela avait permis d'embarquer tout le réseau dans cette nouvelle page de son histoire. Ceci est encore plus vrai en période de crise. Si les collaborateurs, partenaires, voire même les actionnaires identifient collectivement ce qui fonctionne déjà dans l'entreprise, ils peuvent construire ensemble une partie du futur avec celles et ceux qui le rendront concret auprès des clients. Ils créent ainsi les conditions pour réussir ensemble durablement. Certains retailers, comme Leroy Merlin ou Décathlon, ont inscrit depuis longtemps dans leur ADN l'utilisation des forces de l'interne pour se développer et ont ainsi une longueur d'avance.
En ces temps troublés pour le secteur du retail, faire confiance à l'interne pour co-construire un futur commun et faire le choix de s'appuyer sur les forces de son capital humain est essentiel pour écrire et construire l'après crise.
Les auteurs :
Suzanne Castel, DG déléguée marque employeur, communication interne & transformation de l'agence Insign
Yvain Jury, expert en intelligence collective, agence Insign
Charlotte Crozier, DG déléguée activation marketing de l'agence Insign, et ancienne directrice marque groupe Transat (Vacances Transat et Look Voyages)