[Tribune] Publicité digitale : la fraude menace toute l'industrie (2e partie)
Après l'euphorie des débuts, l'industrie publicitaire digitale est menacée par une fraude qui affecterait la moitié du trafic sur Internet. Impact et remèdes avec Fabrice Leclerc, d'Exponential France.
Je m'abonneCes dernières années, l'industrie publicitaire digitale était très optimiste. Avec l'apparition de nouveaux supports et l'abondance des médias, la publicité devenait le nouvel Eldorado des marques, notamment pour la presse, avec des titres comme "l'année du mobile", "la montée de la programmation", "l'ère de la portabilité" etc. Mais l'arrivée de ce levier technologique s'est rapidement accompagnée d'une menace réelle pour l'industrie : la fraude.
Aujourd'hui, nous regardons de plus près à qui profite la fraude et quels sont ses impacts majeurs sur le marché, avant d'explorer quelques pistes d'élimination.
À qui profite la fraude?
Alors que la fraude à la publicité affaiblit les marques, toutes les autres parties en bénéficient ! Ce seul aspect a soutenu l'écrasante survie de la fraude dans l'industrie. Une aubaine pour les opérateurs de robots, qui empochent une part non négligeable des 140 milliards de dollars US dépensés par l'industrie publicitaire.
Mais ce ne sont pas seulement les botmasters ou les propriétaires de sites frauduleux qui en profitent. Les acheteurs médias peuvent également en bénéficier de façon involontaire : en augmentant les budgets d'achats à la performance en se basant, malheureusement, pour partie sur des inventaires rendus artificiellement plus performants.
L'achat programmatique (avec les open Exchanges et SSP's) répond à une demande légitime et efficace d'achat à faible coût. Cependant, choisir d'acquérir un inventaire discounté, c'est souvent choisir d'être moins regardant sur la qualité des formats, sur la manière dont est diffusée la publicité (exemple : quel emplacement) et en ayant une moindre maîtrise sur la sélection des sites et des contenus sur lesquels sont diffusées les publicités.
6 impacts majeurs sur le marché
Après avoir évoqué les raisons pour lesquelles la fraude est en augmentation, les différents types de fraudes et de ceux qui en bénéficient, concentrons-nous sur son impact sur l'industrie des médias on line.
Il est important de comprendre les mécanismes et ses implications, sinon, la fraude réussira à miner la confiance dans la publicité digitale et de son extraordinaire potentiel.
Nous pouvons dénombrer six principaux impacts négatifs de la fraude à la publicité sur notre marché :
1 - La fraude frappe toutes les plateformes
La publicité mobile et vidéo est en constante augmentation et ne montre aucun signe de ralentissement. Selon eMarketer, les publicités web vidéo atteindront 8 milliards de dollars US en 2016. Le marché mobile atteindra, quant à lui, 18 milliards de dollars US cette année.
Cependant, plus les marques orientent leur budget vers ces formats, plus elles deviennent des cibles pour les fraudeurs. La publicité vidéo est particulièrement vulnérable car ses tarifs publicitaires sont souvent dix fois supérieurs au coût du display. Cible privilégiée pour les fraudeurs, les annonceurs gaspilleraient environ 6,8 millions de dollars US chaque mois sur les formats vidéos ! (Détails sur doubleverify.com). Et avec le mobile, 40% des clics sont suspectés d'être frauduleux.
La fraude a toujours existé pour le display classique, mais l'appât d'un plus gros gain stimule désormais sa prolifération sur d'autres plates-formes, comme la vidéo et le mobile. Mais si le doute s'installe dans l'esprit des marketeurs sur les nouveaux produits/médias, cela peut mettre à mal les volontés d'innover, voire d'investir toujours plus dans les médias digitaux.
2 - La fraude nous oblige donc tous à repenser les sources d'inventaires
Même s'ils contribuent à la fraude publicitaire, les robots peuvent valoriser le travail des vendeurs, comme celui des acheteurs d'espaces. Ils aident à augmenter artificiellement les taux de clics et de conversions. Malheureusement, comme ces "clics" et "conversions" ne sont pas le fait d'internautes réels, il n'y a aucune chance que la marque bénéficie d'un revenu additionnel.
Les agences et les marques doivent donc impérativement évaluer leurs sources d'inventaires avec précaution, en ne se laissant pas berner par les simples chiffres de performances. Les "meilleures performances" peuvent parfois augmenter significativement le risque d'avoir un trafic des plus "robotisé".
3 - La qualité contre la fraude
La suspicion augmente sournoisement, mais le besoin de plus de transparence grandit également - enfin !
Au nom de la sécurité des marques, le niveau de transparence des vendeurs s'est amélioré. Les réseaux publicitaires qui ont maintenu des relations directes et transparentes avec les annonceurs sont récompensés... ou le seront à terme.
Les éditeurs les plus importants et ceux de taille moyenne qui ont maintenu un niveau d'inventaire de qualité, et qui ont su éviter l'achat de trafic "low cost", vont prospérer.
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Nous parlons ici du site sur lequel est diffusée la campagne, tout comme des contenus éditoriaux, des formats publicitaires et de leur visibilité (autre grand chantier en cours). Les annonceurs devront et voudront payer plus pour un inventaire plus sécurisant et de meilleure qualité. Tous les autres verront leurs chiffres d'affaires se réduire rapidement.
Ce phénomène va connaître une accélération nette avec l'utilisation plus importante de nouvelles technologies et services de contrôle (exemple : Integral Ad Science), associant contrôle de l'espace et de la visibilité des formats.
6 impacts majeurs sur le marché, suite
4 - La fraude impacte tous les éditeurs
Même les éditeurs sérieux ne peuvent empêcher tous les robots de pénétrer dans leur site. Ils doivent faire les efforts nécessaires pour identifier les sources de trafic et savoir comment leurs visiteurs ont découvert leurs contenus.
Ils doivent analyser et suivre la qualité de leur trafic, spécialement s'ils travaillent avec un prestataire pour les aider dans leur SEM ou dans leurs efforts marketing. Au final, les bons éditeurs, ceux qui se soucient de la qualité de leurs inventaires, devront toujours contrôler leurs contenus mais également, désormais, la qualité de leur audience réelle.
5 - Les annonceurs devront payer plus
Jusqu'à aujourd'hui, il y a eu très peu d'incitation à éradiquer la fraude robotique parce que les budgets des marques, et les agences qui les recommandent, continuent d'investir cet argent dans les sociétés (régies, sites, etc.) qui achètent du trafic "bon marché".
Les agences et les marques doivent donc prendre conscience de l'obligation de stopper cette fuite en avant du "je souhaite toujours plus en payant beaucoup moins". La qualité a nécessairement un coût : les annonceurs doivent rémunérer les services de leurs agences à leur juste valeur, les agences doivent acheter au juste prix les espaces aux régies, les régies doivent garantir des espaces de qualité, les éditeurs une audience fiable.
Cela permet d'entrer dans un cercle vertueux ou l'annonceur achète, au final, une audience contrôlée et de qualité, qui transformera mieux.
Le discount "à tout prix" débouche sur un cercle vicieux qui crée des dérives et des recherches de marges (parfois cachées) à tous les niveaux, et qui enrichissent également les fraudeurs. Fraudeurs qui, de leur côté, amplifient le phénomène...
Si 30 à 40% des inventaires sont frauduleux, on peut donc considérer que les annonceurs ont alors accès à un inventaire plus réduit que ce que l'on pouvait penser. Et comme dans tout écosystème, quand l'offre diminue, la demande, ainsi que le prix, augmentent. Les éditeurs pourraient donc légitimement procéder à une augmentation des CPM... doux rêves, sans doute, pour les sites ! Mais il convient à tous les acteurs de se responsabiliser pour endiguer ce fléau. Même aux régies qui devraient refuser de vendre à des seuils ne permettant pas d'offrir des inventaires acceptables.
6 - La fraude sonne le glas des open Adexchanges
Est-ce la mort annoncée de tous les open Adexchanges ?
Dans leur forme actuelle, peut-être car les niveaux de fraude pointent leurs défaillances. Erreurs de jeunesse très certainement qui devront être corrigées rapidement avant de perdre toute crédibilité. Il semble évident que les annonceurs, agences et trading desks ajusteront leurs budgets en conséquence et que certains grands mouvements vont s'opérer. Les positions récentes de GroupM le démontrent.
Les "private Adexchanges" vont sans doute également bénéficier de cette évolution nécessaire. De plus, l'ensemble des acteurs du programmatique évoluent si rapidement et si "technologiquement" que de nouvelles couches d'intelligences vont atténuer les effets de la fraude.
Comment éliminer la fraude publicitaire ?
Pour les annonceurs qui souhaiteraient éliminer cette fraude sur le long terme, il existe plusieurs stratégies efficaces à mettre en place :
- Premièrement, regardez plus attentivement les inventaires achetés et ne travaillez qu'avec des supports média de confiance. Il est essentiel de travailler avec des partenaires dotés d'outils de suivi et de reporting pour vous protéger de la fraude.
- Deuxièmement, comme la fraude est de plus en plus sophistiquée, vos partenaires doivent avoir mis en place des processus et des contrôles réguliers pour prouver la qualité de leurs inventaires et de leurs audiences sur un secteur demandant plus de transparence. Aux États-Unis, les éditeurs peuvent participer au programme Quality Assurance Guidelines de l'IAB (QAG). Ces éditeurs ont pris l'engagement de faire auditer leurs sites régulièrement et sont transparents quant à leurs sources de trafic. Un bon exemple à suivre pour les éditeurs.
- Troisièmement, n'hésitez pas à travailler avec des partenaires qui travaillent également avec des tiers de confiance contrôlant les inventaires.
- Quatrièmement, orientez-vous sur des dispositifs média privilégiant l'engagement des internautes, la meilleure solution pour pallier les problèmes de fraudes et de visibilité.
Transparence et qualité
Au final, la fraude publicitaire est aujourd'hui l'un des plus gros challenges de notre marché. Son ampleur doit imposer une prise de conscience rapide auprès de tous les acteurs : annonceurs, agences, régies et éditeurs.
Les marques ont largement commencé leur mue en transférant leur budget publicitaire de la télévision au digital, spécialement depuis l'apparition et le développement des nouveaux supports et médias.
Cependant, du fait de la relativement faible barrière à l'entrée pour un botnet efficace, les marques pourraient repenser à deux fois aux budgets qu'elles ont transférés si rapidement. Ces investissements gaspillés pourraient conduire à de nouvelles réallocations de budget, ce qui ne serait une bonne nouvelle pour personne, ni pour l'industrie digitale, ni même (et peut-être spécialement) pour les fraudeurs.
Responsabilisation et création de standards de qualité, de transparence et de protection seront, à coup sûr, les clefs du succès. Il en va de l'avenir de la publicité digitale, ni plus ni moins.
Retrouvez ici la première partie de cette tribune :
- Naissance et ampleur de la fraude
- Les différentes formes de fraudes, par les robots et par les sites
L'AUTEUR : Fabrice Leclerc est directeur général d'Exponential pour la France, fournisseur et spécialiste mondial de la publicité vidéo cross-platform ( Display, In-stream, Mobile). Expert en développement commercial par l'innovation, Manager créatif, Fabrice Leclerc a notamment été directeur général Sales pour Lycos France, directeur de la publicité pour Yahoo, directeur Clientèle pour Les Échos et chef de publicité pour la vie Financière - Groupe Expansion.