"Il faut une régulation de l'ensemble de la chaîne de valeur publicitaire"
Pour Christophe Dané, CEO de Digitall Makers et administrateur de l'IAB France, qui prône une autorégulation de la part d'une interprofession, les agences médias ne sont pas les seules fautives dans le scandale révélé par l'étude de l'ANA.
Attendue depuis près d'un an, l'étude commanditée par l'ANA (Association of National Advertisers, équivalent américain de l'UDA) et réalisée par le cabinet K2 a fait grand bruit lors de sa diffusion début juin. Et pour cause, le document de 158 pages fait état de pratiques frauduleuses, ou du moins non transparentes, généralisées de la part des agences et des éditeurs : attribution d'espaces gratuits, rémunération de fausses prestations, commissions pouvant aller jusqu'à 90%, et ce aux dépens des annonceurs. Outre-Atlantique, l'IAB France (Interactive Advertising Bureau, organisation internationale regroupant les acteurs de la publicité digitale) réagit au scandale qui touche la profession par la voix de son administrateur et CEO de l'agence Digitall Makers, Christophe Dané.
Que penser des révélations de cette étude ?
Le sujet soulevé par l'ANA est assez délicat car il n'y a pas de faits concrets, d'entreprises pointées du doigt par le rapport comme l'a fait remarquer Maurice Levy dans son courrier publié par le Wall Street Journal. Il est difficile pour l'IAB France de déterminer qui a raison ou qui a tort, car étant composés d'agences et d'annonceurs nous sommes à la fois juges et parties. D'autant que le rapport de l'ANA n'est pas lié à la publicité digitale mais à des comportements d'agences spécifiques, cela reste un sujet très américain.
Il peut y avoir des pratiques répréhensibles mais pas nécessairement frauduleuses. Il faut également regarder la manière dont les annonceurs pratiquent leurs appels d'offres. En effet, on ne peut pas à la fois diviser les rémunérations des agences par deux sans s'attendre à ce qu'elles cherchent d'autres sources de marge. Aujourd'hui, les annonceurs exigent de la déontologie de la part des agences mais sans pour autant leur en donner les moyens financiers et sans non plus exercer leur droit de regard sur les transactions. Car les annonceurs s'engagent dans une relation avec les agences en connaissance de cause : leurs prestataires sont annoncés dans leurs conditions de vente, c'est donc aux annonceurs d'être clairs dès l'élaboration du brief en annonçant avec quels acteurs ils ne souhaitent pas travailler, sinon ils laissent la porte ouverte aux abus. De plus, lorsqu'on propose une transparence totale sur les process, on parait suspicieux !
Quelle est la réglementation actuellement en vigueur sur le marché publicitaire français, et en particulier sur le digital ?
La Loi Sapin promulguée en 1993 réglemente les procédures d'achats d'espaces publicitaires en imposant une certaine transparence vis-à-vis des conditions tarifaires. Cependant cette loi ne réglemente que les relations avec les intermédiaires, les mandataires, et pas les relations entre annonceurs et agences. De plus, la loi n'a jamais été cadrée pour le digital. Même si en janvier 2015, un amendement a été déposé à la loi Macron pour étendre la loi Sapin à tout l'environnement digital. Si tous les acteurs attendent ce décret, il ne réglera pas tous les problèmes car le marché va trop vite.
En réalité, il n'y a pas vraiment de problème juridique mais déontologique. Le problème auquel le marché est confronté, c'est de faire respecter les règles établies. C'est pourquoi il y a beaucoup d'autorégulation. L'IAB produit par exemple des guidelines et des recommandations à destination des acteurs du digital, mais c'est un organe organisationnel et non répressif. Demain, Internet sera le premier marché d'investissement publicitaire donc il doit se responsabiliser de lui-même. Les investissements des annonceurs sont une manne de l'économie, on ne peut pas se permettre ce genre de scandale !
Comment mieux réguler le marché ?
Il faut une régulation de l'ensemble de la chaîne de valeur publicitaire. Pour cela, il faut passer par l'éducation, et cette éducation se fait auprès des agences, des intermédiaires. Ce qui est compliqué parce que les annonceurs doivent apprendre à établir un brief... auprès de ceux à qui ils soumettent ce même brief.
Cette éducation ne peut donc être faite que par des organes totalement indépendants. A l'IAB France, nous ne pouvons pas occuper ce rôle, car nous ne sommes pas là pour taper sur nos propres membres, mais pour expliquer les best practices. De manière générale, toutes les associations qui sont partisanes de l'un des domaines d'activation tendraient à faire du lobbying. Quant au gouvernement, il se cantonne à son rôle de législateur via la Loi Sapin, trouver un consens n'est déjà pas une chose aisée. Il aura toujours un train de retard sur le digital. La solution, c'est une inter-association de l'ensemble des acteurs du marché (IAB, ARPP, Udecam, SRI, UDA). C'est cette inter-association qui réglera les litiges et aura un rôle répressif.
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