[#MarketingA20ans] Georges Lewi : "Les marques sont nos mythologies contemporaines"
En devenant sur Internet leur propre média, les marques véhiculent plus que jamais un récit mythique, comme un nouveau refuge identitaire.
Je m'abonneEn 20 ans, malgré et, sans doute, paradoxalement grâce à Internet, les marques se sont imposées comme nos mythologies contemporaines, vidant ainsi la société de ce principe narratif, qu'elles incarnent dorénavant.
Une marque est un repère mental sur un marché.
Qu'est-ce qu'une marque, qu'est-ce qu'un mythe, pour que nous puissions porter de telles affirmations iconoclastes ? Une marque est un repère mental sur un marché (quel produit, quel service, à quel prix et à quel niveau de qualité ?). En tant que repère mental, c'est une "part de cerveau", un espace qui illustre une valeur, une position, un point de vue.
Une marque est le récit du combat d'un produit ou d'un service pour faciliter la vie du consommateur. Un mythe est un récit qui exprime une position de l'homme face à son entourage, une façon de comprendre le monde et sa situation personnelle ou collective. Le mythe narre le récit du combat d'un individu ou d'un groupe pour vivre et se positionner dans une situation définie. Lorsque nous observons les peintures des grottes de Lascaux, le récit des combats est indéniable. C'est celui du dedans, nos ancêtres sapiens, contre le dehors, les animaux sauvages. Le peintre poète d'alors a dessiné ce combat victorieux, ce jour-là... ou in illo tempore, en souvenir d'une période heureuse difficile à reproduire. Les consommateurs pensent que le récit d'un mythe a quelque chose de vrai, comme ils croient au récit fondateur des marques. Qui est allé vérifier l'épisode du garage de MM. Hewlett et Packard ?
Brand content et récit mythique
Avant le développement du numérique, les consommateurs croyaient ce qu'ils voyaient : la réalité des points de vente, leur look, les codes sensoriels utilisés. Les marques racontaient déjà le monde à la manière des mythes et l'on pouvait opposer L'Oréal, le chantre de la science, à Yves Rocher, le défendeur de la nature. Le "mythème" (l'opposition binaire frontale) de la culture (assimilée à la science) contre la nature s'était déjà imposé. Tout comme celui des good boys de Coca-Cola contre celui des bad boys, celui de Red Bull. Mais désormais, les marques deviennent leur propre média et la source des contenus. Elles nous racontent notre histoire de A à Z. Red Bull est à la fois message ("avoir des aiiiles"), contenu par le film des exploits en live des héros, et média, grâce à la diffusion de ces exploits.
Les marques, un refuge identitaire
Depuis toujours, l'être humain a eu besoin des mythes pour trouver sa place dans la société. En fait, peu d'oppositions binaires fondamentales structurent notre position humaine et quasi géographique : dedans (entre soi)/dehors (ouverture), haut (montagne)/bas (plaine), cru (sauvage)/cuit (civilisé), dominant/dominé, vivant/mort, artiste/artisan... C'est pourquoi, avec ce que nous nommons le "brand content", les marques ont su rapidement surfer sur ces quelques positionnements de nos cerveaux.
Chacun, selon sa position personnelle, sera plutôt "calme" (marketing territorial de l'île de Ré) ou "fureur" (Saint-Tropez), universitaire (Wikipédia) ou ouvert à tous (Google), créant du lien (réseau Facebook) ou créant des barrières par des messages cryptés (Telegram). Plus que jamais, les marques offrent un refuge identitaire autour d'une histoire mythique, un récit qui se situe bien au-delà des croyances consuméristes.
L'auteur
Mythologue, écrivain, Georges Lewi est également consultant et conférencier, spécialiste des marques et du storytelling. Il a signé une quinzaine d'ouvrages, dont La Fabrique de l'ennemi (éditions Vuibert, 2014) ou le roman Fabrique-nous un dieu (éditions François Bourin, 2016).
Blog : mythologicorp.com
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