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[Tribune] L'ère de la télévision personnalisée

Programmes, horaires, et bientôt publicité ? La télévision, dernier survivant de l'époque du mass-media, serait en passe de succomber elle aussi à l'enjeu de la personnalisation. Frédéric Dumény, vice-président d'Ooyala, détaille l'évolution actuelle du petit écran : la publicité adressée.

Publié par Mégane Gensous le | Mis à jour le
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[Tribune] L'ère de la télévision personnalisée

Un message centralisé, émis à une heure donnée et pour l'ensemble de la population : voilà sur qui repose le modèle publicitaire traditionnel de la télévision. La grande majorité des revenus de ce média est encore générée de cette façon : une marque achète une durée d'exposition à un moment donné. Si sa "cible" se trouve devant la télévision à ce moment-là, tant mieux pour elle, l'objectif est atteint ; dans le cas contraire, le message est vu par des populations qui ne sont pas celles auxquelles la publicité était spécifiquement destinée et le retour sur investissement sera forcément moindre voire nul pour l'entreprise qui a payé pour son espace publicitaire. Ce modèle est aujourd'hui menacé. Les télévisions, comme nombre d'autres industries avant elles, voient le digital remettre en cause les fondamentaux de leur modèle économique. Pourtant, à la différence de la musique, de l'hébergement touristique ou des médias de presse écrite, les chaînes de télévision ont eu le temps d'anticiper ce phénomène, de s'y préparer et même d'en sortir gagnantes.

S'adapter aux nouvelles attentes des utilisateurs

A l'heure de la consommation multi-terminaux et de l'hyperconnexion, l'utilisateur d'un service digital ne veut pas dépendre d'un choix limité de programmes et n'envisage pas non plus de se voir imposer un moment précis pour y accéder. C'est bien l'expérience personnalisée qui l'emporte aujourd'hui. Les chaînes de télévision ont donc créé des offres alternatives destinées à ces audiences digitales, comme le replay ou le "timeshifting", qui correspond à l'enregistrement d'un programme vidéo sur un support de stockage numérique, en vue d'être visionné plus tard ou avec un léger différé.

Les modèles économiques qui s'appliquent à ces nouvelles pratiques sont les mêmes que pour l'internet : la publicité y est ciblée et adaptée à chaque individu. De sorte qu'un utilisateur qui regarde une émission en replay en même temps que son voisin ne se verra pas diffuser les mêmes publicités. Cette personnalisation est au coeur des nouveaux modèles de la télévision, y compris celui de la télévision linéaire (ou télévision " classique "). Aujourd'hui, on entend beaucoup parler de publicité programmatique à la télévision. Que cela signifie-t-il concrètement ? Dans un monde totalement fluide, cela voudrait dire que lors du visionnage d'un programme en direct à la télévision, les publicités diffèrent selon le type de spectateur devant chaque poste. Cela revient à apporter à l'environnement linéaire la même précision que celle de la télévision digitale.

Surmonter les freins à la publicité personnalisée

Les avantages de la publicité adressée ? Par définition, elle permettrait de réduire le "media waste", autrement dit le temps gâché à diffuser des publicités à une audience qui n'est pas dans la cible. Par extension, cette logique bénéficierait aussi aux annonceurs qui optimiseraient ainsi leurs achats média, aux régies des chaînes télévisées qui exploiteraient au mieux leurs audiences, et pour le public qui ne verrait que des publicités qui l'intéressent. Cette optimisation opérée par les chaînes et les marques réduirait par la même occasion la pression publicitaire sur les téléspectateurs. Plus généralement, ces pratiques se révèlent également bénéfiques en ce qui concerne la diversité des programmes diffusés à la télévision. Jusqu'à présent, les chaînes avaient tout intérêt à proposer des programmes très segmentant afin d'avoir l'audience la plus homogène possible. Si la publicité devient ciblée, cette contrainte disparaît et les programmes sont potentiellement plus variés.

A côté de ces avantages certains, il existe également des freins à cette évolution, de trois ordres différents : légaux, techniques et commerciaux. Le cadre juridique français est en effet assez contraignant : afin de protéger la presse régionale, les diffuseurs télé ne sont pas entièrement libres de modifier la publicité en fonction de la géographie. Ce point semble néanmoins en passe d'évoluer. Les contraintes techniques, en revanche, sont fortes : la diffusion de la télévision n'est pas un flux internet personnalisable à l'envie. La diffusion hertzienne couvre des zones géographiques plus ou moins larges, et la diffusion sur les boîtiers ADSL et fibre ne permet pas de ciblage allant au-delà du quartier (Noeud de Raccordement d'Abonnés ou NRA) : l'enrichissement des programmes et des modèles de diffusion grâce aux données sociodémographiques existantes reste donc compliqué. Au final, c'est le marché, troisième pilier de cet équilibre, qui apparaît comme le plus enclin à modifier ses habitudes, dans la mesure où le retour sur investissement est au rendez-vous, même si les anciennes habitudes restent fortes. SFR a récemment annoncé l'expérimentation de la publicité géo-localisée sur sa chaîne BFM Paris à l'été 2017. De son côté, France Télévisions avait annoncé une mesure équivalente à l'automne, en même temps qu'Orange.

La segmentation par zones géographiques constitue donc le premier niveau de télévision personnalisée mis en oeuvre par le secteur en France. C'est ce qui se passe déjà aux Etats-Unis, depuis quelques années, à l'aide des informations géographiques auxquelles s'ajoutent également des données sociodémographiques. Pour schématiser, on détermine les attributs et caractéristiques de chaque tranche CSP pour permettre aux annonceurs de s'adresser à ces audiences spécifiques. Les données, et la manière dont elles permettent d'enrichir les plans media TV, représentent le grand défi actuel, en particulier dans l'ère du Big Data. Des sociétés se sont spécialisées dans l'analyse des données pour l'enrichissement des plans média des chaînes de TV américaines et allemandes, permettant ainsi aux annonceurs de concevoir des plants TV/digital plus cohérents.

Ajustement du planning d'un côté, et précision de la distribution selon le critère géographique de l'autre : voici les deux horizons de la publicité TV personnalisée. Les choses évoluent et s'améliorent ; encore faut-il que cela se fasse assez rapidement pour s'aligner sur le rythme de basculement des audiences du linéaire vers le digital. Aujourd'hui, la compétition ne se joue plus selon une dichotomie entre acteurs historiques et nouveaux entrants, ni entre sociétés multimilliardaires et startups, mais bien entre les plus rapides et les plus lents. Il ne tient qu'aux chaînes de télévision d'être rapides à présent !

L'auteur

Frédéric Dumény est vice-président stratégie et business développement d'Ooyala, fournisseur d'outil d'audience vidéo

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