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[Tribune] Les consommateurs ont-ils vraiment besoin d'éthique ?

Pour que le marketing regagne la confiance des consommateurs, il devient primordial d'accorder une véritable place à l'éthique. François Gravet, directeur de l'Institut de développement économique éthique, propose de mettre en application une véritable politique éthique au sein de l'entreprise.

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[Tribune] Les consommateurs ont-ils vraiment besoin d'éthique ?

Quels hypocrites, ces consommateurs! Ils pleurnichent que l'on les entourloupe, que l'on leur fait prendre des vessies pour des lanternes, que tout ça, au fond, ce n'est que du marketing (un mot devenu, en quelques années, l'insulte suprême, au point même de qualifier l'attitude d'hommes politiques) mais dès qu'il s'agit de payer le juste prix d'un produit ou d'un service qui les respecte: il n'y a plus personne, ou presque! Et même quand le tarif n'est pas plus élevé, ils ne sont pas nombreux à changer leurs habitudes de consommation. Finalement, ils n'auraient peut-être que ce qu'ils méritent...

Emarketing.fr relevait ainsi, il y a quelques mois, les enseignements tirés de l'étude LinkValue par KR Media sur plus de 1400 Français: dans leur discours, ceux-ci s'affirment très attachés aux valeurs liées à l'éthique. Ainsi, près de 60% d'entre eux "font attention à ne pas acheter de marques produites par des entreprises dont ils réprouvent le comportement", "privilégient les marques dont ils partagent les valeurs" et ajustent leurs achats à leurs convictions (62%). Mais seuls 5% privilégient les marques qui ont une véritable éthique et 4% seulement se disent prêts à dépenser plus pour des produits respectueux de l'environnement.

L'éthique n'est pas un premium de marque

D'ailleurs, qui a dit qu'une pratique éthique du marketing induisait des prix de vente plus élevés? Je crois qu'un nouveau mode de développement économique, fondé sur des pratiques éthiques, est possible, pérenne et surtout plus efficace, y compris pour nos actionnaires.

Certains me diront que toutes les entreprises du CAC ont déjà une charte éthique, que les plus importantes ont même un compliance & ethic officer en leur sein. Que tout cela ne sert qu'à se couvrir et à figurer dans un rapport RSE. Que l'on ne va pas recommencer la mascarade des années quatre-vingt-dix avec la démarche Qualité. À ceux-là, je répondrai qu'ils ont raison! D'ailleurs, ces mêmes chartes éthiques n'ont pas empêché certaines de ces entreprises d'être condamnées à des centaines de millions d'euros d'amendes pour ententes commerciales ou clauses abusives.

Mais tout d'abord, il est essentiel de définir ce que l'on entend par éthique. Ce mot est en effet tellement inintelligible que chacun en a sa propre définition et y met ses propres limites. Éthique se confond avec moral, équitable, écologique, responsable, durable... Dans l'armoire à bons sentiments, ces adjectifs sont utilisés sans vraie distinction et selon l'inspiration. Étymologiquement, rien ne distingue véritablement l'éthique de la morale: l'un vient du grec, l'autre du latin et les deux font références aux moeurs. Paul Ricoeur, dans son ouvrage Soi-même comme un autre (1990 - Seuil), propose cependant une nuance entre ces deux termes, selon que l'on met l'accent sur ce qui est estimé bon (l'éthique) ou sur ce qui s'impose comme obligatoire (la morale). L'éthique peut alors se comprendre comme la visée d'une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes.

Il n'existe pas de "charte éthique"

L'éthique ne prend ainsi sens que dans sa pratique. L'usage des termes "charte éthique" est, par conséquent, impropre. Ces chartes sont en fait "morales". C'est probablement la connotation religieuse ou paternaliste de cet adjectif et l'inspiration des Codes of ethics américains qui est à l'origine de cette confusion sémantique. Or c'est, selon moi, l'une des causes profondes des comportements qui sont communément, et parfois justement, reprochés aux entreprises: nous nous sommes définis un cadre moral et tant que nous restons dans ce cadre, tout serait permis...

Ce n'est au contraire qu'à travers nos actions quotidiennes que nous pourrons démontrer véritablement notre engagement éthique et gagner ainsi la confiance de nos clients, clé de ce modèle économique. Rédiger des conditions générales de vente de façon lisible et compréhensible par tous, mettre en place une politique de prix transparente et équitable, informer ses clients de l'impact environnemental de ses produits, communiquer sans tromper: des exemples concrets sont déjà mis en oeuvre dans certaines entreprises. Les avantages compétitifs sont prouvés. La motivation de leurs salariés et l'engagement de leurs clients en sont améliorés.

Vers des contrats clairs et lisibles

Prenons l'exemple des contrats: éléments fondateurs d'une relation commerciale, ils sont pourtant à la source de la plupart des plaintes des clients et donc, très justement, font l'objet de toute l'attention des associations de consommateurs et des autorités de la concurrence. Au-delà des clauses illégales, abusives ou léonines que nos conditions générales de vente peuvent contenir, l'une des principales raisons d'incompréhension vient peut-être du fait que ces documents ne sont jamais lus! Bien trop sérieuses pour être confiées aux marketeurs, ces CGV sont rédigées par des juristes, pour des juristes. Est-ce alors par vengeance mesquine si elles se retrouvent à la fin d'une jolie brochure quadri, en police 6, noir et blanc, sur 4 colonnes et 2 pages maxi?

L'impression d'entourloupe que ces contrats produisent, ne serait-ce que visuellement, est pourtant indiscutable. Les rendre clairs, lisibles et compréhensibles n'est certes pas une mince affaire: il faut commencer par les lire, les comprendre, puis les traduire en français, recomposer le texte pour éviter les références circulaires que les juristes adorent et enfin l'envoyer sans pouffer de rire à l'agence. Entre-temps, vos équipes auront épinglé votre portrait dans le couloir de la mort (car ce sont elles qui ont dû lire...).

Mais le résultat vaut ces sacrifices. D'abord, vous vous apercevrez que certains articles sont obsolètes ou ne servent à rien (les juristes sont parfois taquins) et vous prendrez conscience de potentielles innovations contractuelles. Mais c'est une fois sur le terrain que la plus-value apparaîtra vraiment car vos commerciaux pourront enfin appuyer leur démonstration sur ce document. Montrer ces CGV lors de la négociation et insister sur le fait qu'elles soient lisibles et compréhensibles inspire confiance.

L'éthique n'est ni une intention, ni un cosmétique. Un nouveau modèle de développement économique, fondé sur des pratiques éthiques du marketing, est en train d'apparaître et porte en lui l'espoir d'une confiance regagnée entre les consommateurs et les marques.

Ancien directeur marketing de Butagaz, François Gravet a fondé l'agence de conseil en stratégie marketing brand&performances et anime en parallèle l'Institut du développement économique éthique, association loi 1901, dont l'objet est de promouvoir les pratiques éthiques en entreprise.


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