Pricing : quatre experts expriment leur point de vue
Gaëlle le Floch, strategic insight director de Kantar WorldPanel: " Les Français valorisent plus la qualité que le prix "
Loin d'être le seul critère de choix, le prix ne joue pas nécessairement un rôle discriminant selon les cibles et les catégories de produits, révèle l'étude de Kantar WorldPanel sur les types de consommateurs en matière alimentaire. "Les Français ne recherchent pas uniquement les meilleurs prix. S'ils y sont sensibles, ils valorisent davantage la qualité", analyse Gaëlle le Floch, strategic insight director de Kantar WorldPanel. Si 46% des foyers français considèrent le prix comme le critère de choix le plus important, ils sont plus nombreux (47,4%) à se déclarer prêts à payer plus cher pour des produits de qualité (+ 1 point versus 2013).
L'énorme succès des dosettes de café montre que le prix ne fait pas tout. En parallèle, la dimension citoyenne est importante, même si celle-ci a changé de perspective. "Le centre de gravité s'est déplacé de la planète à la région. On parle davantage de soutien aux producteurs locaux, de made in France, de lutte contre le gaspillage", continue Gaëlle le Floch. Plutôt que de parler de prix bas, Intermarché a misé sur cette stratégie pour regagner des parts de marché avec sa campagne multiprimée sur "Les fruits et légumes moches". Une nouvelle marque, "Les Gueules Cassées", vient même d'être créée. Un camembert, par exemple, un peu moche mais toujours bon, est 30% moins cher.
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Philippe Moati, cofondateur de l'Observatoire société et consommation (ObSoCo) : " Le produit le moins cher n'est pas toujours le moins coûteux "
En quoi "l'obsolescence programmée" affecte-t-elle l'évolution des prix ?
Il y a plusieurs manières de faire de l'obsolescence programmée. La plus noble est la fuite en avant vers l'innovation, une innovation au compte-gouttes, mais une innovation tout de même, qui crée un désir d'achat (ou de location, comme pour les smartphones) chez le consommateur. L'autre versant de ce phénomène est lié à la mise en vente de produits au cycle de vie volontairement raccourci et qui, très rapidement, ne fonctionnent plus. Si l'on combine tous les facteurs évoqués, cela amène les gens à aller vers le moins cher pour réaliser une économie immédiate, que l'on met en rapport avec un surcroît de qualité mais que l'on découvrira plus tard.
Comment orienter le public vers une consommation plus responsable ?
Les gens sont souvent prêts à acheter plus cher, s'ils sont sûrs que la qualité est meilleure. Par ailleurs, je pense que cela passe par un allongement de la durée légale de garantie des biens durables à dix ans. Actuellement, tous les biens qui ne se consomment pas en un seul acte sont garantis deux ans, ce qui n'empêche pas certains commerçants de dire à leurs clients que la garantie ne dure qu'un an. Récemment, le Sénat a proposé que la durée légale de garantie soit portée à cinq ans, mais cela a suscité une telle levée de boucliers de la part des industriels que le projet n'a pas abouti.
Dans la même logique, comment lutter contre les "coûts cachés" et contribuer, par là même, à objectiver les prix?
Ce qui est déterminant, ce n'est pas d'acheter le produit le moins cher, mais le moins coûteux. Deux notions qui ne sont pas synonymes. On peut craindre que, parfois, le moins cher se révèle être le plus coûteux. Il y a donc matière à réfléchir sur la manière dont on objective le coût d'usage à côté du prix. Un amendement, à l'initiative des écologistes, a été déposé et adopté dans le cadre de la loi Hamon. Ainsi à partir du 1er janvier 2015, l'expérimentation d'un double affichage devrait être en place : d'un côté, le prix de vente, de l'autre, ce que la loi désigne comme étant le prix d'usage. Mais cette mesure qui, faute de moyens, n'est toujours pas entrée en application, doit faire face à une opposition farouche des industriels et des enseignes. Cela permettrait pourtant d'objectiver un certain nombre de coûts cachés et, pour le consommateur, d'optimiser son achat sur la base d'informations plus pertinentes.
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Julie Chambonnet, consultante spécialisée en consommation, chez Kurt Salmon : "Les vendeurs continuent de miser sur des promotions"
L'arrêt des soldes flottants et la remise en place de soldes fixes, désormais longs de six semaines, n'auront pas d'effet positif sur la consommation. Au phénomène que représentaient les soldes, s'est substituée une fatigue du consommateur: "Si vous dépensez votre budget de novembre à janvier au gré des promotions et des ventes privées, vous arrivez au moment des soldes en bout de course", analyse Julie Chambonnet, consultante chez Kurt Salmon. Perdus et prêts à tout pour retrouver un chiffre d'affaires correct, les commerçants développent des tactiques court-termistes. Ils continuent de miser sur des promotions (opérations éclair, ventes privées mais facilement accessibles pour qui sait trouver l'information sur le Net...), qui court-circuitent les soldes.
Une schizophrénie que le Black Friday et le Boxing Day, imposés en grande pompe cette année par de grandes enseignes (Fnac, Darty, Habitat...), illustrent à merveille. "Le Black Friday permet aux enseignes d'étaler leurs ventes de Noël et, in fine, de générer du chiffre d'affaires en novembre", continue Julie Chambonnet. Si ces opérations participent à l'augmentation de la pression commerciale, au final, " elles parasitent le système et la perception des clients ".
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Lire aussi : Alimentaire : Un Français sur deux est plus attentif aux prix depuis la crise sanitaire
Delphine Dauge, directrice de Brandimage : "Le prix préempte le discours de la marque"
Comment parler prix aujourd'hui?
Avec la crise, les marques parlent cash ! On observe de plus en plus une décomplexion assumée à parler argent. Les marques préemptent le prix comme un élément de leur discours. La "low-costisation" de l'économie, la manie de recourir aux comparateurs de prix et à Internet en général, a installé une société de la transparence tous azimuts. Parler prix, ou le suggérer, n'est plus un tabou. Autant gagner du temps et entrer directement dans le vif du sujet. Les compagnies aériennes, Easy Jet, notamment, et les opérateurs de téléphonie mobile, ont bouleversé les codes prix. La typographie, le graphisme et les couleurs de la marque sont repris pour parler prix. Ce que réussissent très bien Ikea, H&M ou Free, par exemple.
Doit-on alors afficher obligatoirement des chiffres dans sa communication de marque?
Tout dépend de sa catégorie et de son positionnement. On peut parler prix sans utiliser de chiffres. Le Club Méditerranée, par exemple, met l'accent sur les offres spéciales et sur la promotion. Cela donne "Séjours à moitié prix pour la deuxième personne", par exemple. On utilise toujours beaucoup la thématique de l'urgence et de la rareté, liée à des temps forts commerciaux, comme la campagne "Dernier jour" (Eurostar). La sémantique du don fonctionne toujours très bien avec les "offres spéciales", "on vous en donne plus", etc.
Parler prix, c'est souvent évoquer la... guerre. Êtes-vous d'accord?
Je parlerais davantage d'acte militant que de guerre. La guerre est surtout celle de l'industrie et des distributeurs. Pour le consommateur, les marques adoptent de plus en plus une posture militante. Elles affirment ainsi être aux côtés de ceux qui paient. E.Leclerc, par exemple, reprend des visuels de Mai 68 en disant "la hausse des prix oppresse votre pouvoir d'achat". Priceminister, pour sa part, invite à devenir "malin en étant radin". Acheter au mieux ou au plus juste correspond aux aspirations des Français. Le discours évolue donc vers plus de pédagogie, notamment en déconstruisant le prix. Ce que fait Système U, par exemple.
La qualité, le levier pour sortir de la guerre des prix
Dossier : Mais où est passé le juste prix?
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