Etudes : comment dépasser le simple focus group ? Le cas Bonduelle
Pour redéfinir son offre, Bonduelle Food Service s'est tourné il y a trois ans vers l'agence Insight Culture, qui utilise l'anthropologie, soit l'observation sur le long terme, au service des études. Une approche qui est à l'origine d'une nouvelle segmentation.
"Il faut sortir de la logique du marketing de la com', pour revenir au marketing de base : fabriquer ce que veulent les consommateurs. Mais pas dans n'importe quelles conditions : je ne parle pas d'un panel de consommateurs, souvent payés et pris par la main, que l'on amène dans ses locaux pleins de logo, et à qui on fait dire ce que l'on veut entendre " , expliquait dans Marketing n°219, Nicolas Chabanne, co-fondateur de C'est Qui le Patron ?!, quand nous lui demandions d'expliquer la défiance qui sépare aujourd'hui les marques des consommateurs. Et si notre grand témoin voulait mettre en avant l'intérêt du sondage direct des consommateurs via les solutions digitales DIY - qui révolutionnent le monde des études -, d'autres innovations viennent répondre à ces problématiques. En témoigne l'initiative de Bonduelle Food Service, la branche BtoB de la marque, qui a décidé, il y a trois ans, de revoir en profondeur son offre en collaboration avec l'agence Insight Culture. Ici, l'innovation n'a rien de technologique : les techniques employées existent même depuis des décennies, puisqu'il s'agit des méthodes de base de l'anthropologie !
"Après l'étude des cultures étrangères, puis des sous-cultures occidentales (punk, hippies, etc.), les anthropologues ont dû se renouveler... En ce sens, l'étude des organisations et des consommateurs est un nouveau terrain ", explique Jeanne Carré, managing director d'Insight Culture. " L'anthropologie s'inspire de la psychanalyse freudienne, qui consiste à observer et à s'imprégner du sujet avant de le questionner. On intéresse au comment avant le pourquoi, de façon inductive, là où une étude marketing classique va soumettre des hypothèses à un focus group. Avoir des hypothèses et chercher à les confirmer ou les infirmer permet d'être plus rapide, quand un anthropologue se retrouve souvent avec une masse énorme d'informations à traiter ! C'est ce que nous appelons la "mélasse" ! ", s'amuse Jeanne Carré. Une approche d'autant plus complexe que " plus l'on en sait, moins on a de certitudes. "
Une étude anthropologique / client centric
Or des certitudes, les équipes de Bonduelle Food Service en avaient. Ses commerciaux s'étaient habitués à attaquer leur marché selon une segmentation "technologique" : les légumes frais, les légumes vapeur et les légumes en conserve. Or l'entreprise fait face à un enjeu stratégique : " Le marché est en stagnation, il n'y a plus d'innovation et la valeur ajoutée "technologique" des produits est en décroissance. Nous nous sommes demandés comment augmenter la consommation globale de légumes, qui sont encore souvent secondaires pour les chefs ", détaille Anne-Sophie Fontaine, en charge de la communication et de la RSE de Bonduelle. L'entreprise a décidé de remettre à plat sa stratégie et ce qu'elle pensait savoir de son secteur, pour adopter une approche "chef centric" grâce à l'anthropologie. Jeanne Carré et ses équipes ont ainsi mené pas moins de 120 entretiens, qui ont duré entre 5 et 7 heures ! " Nous avons observé les chefs à l'oeuvre en cuisine, de la mise en place, c'est-à-dire la coupe et la préparation des légumes, qui se fait la veille ou tôt le matin, jusqu'au dressage du plat, et même au-delà pour étudier la gestion des restes. "
Partant de cet amas d'informations, Insight Culture a pu finalement définir une nouvelle segmentation de l'offre de Bonduelle Food Service. " Nous ne nous attendions pas à ce que ces résultats changent à ce point notre organisation. Nous ne partons désormais plus du produit, mais de l'usage qui en est fait par le chef selon son style (cuisine traditionnelle / bistrot, cuisine étrangère, cuisine gastronomique, etc.) Nous en sommes arrivés à une nouvelle segmentation ", explique Anne-Sophie Fontaine. Décorer, apporter une nouvelle saveur ou devenir la base d'un plat vegan : les légumes sont présentés comme des solutions aux chefs, et Bonduelle, qui ne travaille pas en direct avec eux mais passe par des intermédiaires, devient une marque prescriptrice dont le business model se rapproche du "légume as a service". " Cette approche a permis à nos commerciaux d'améliorer leurs relations avec les intermédiaires et de leur fournir des arguments plus impactants sur les salons. Les légumes ont été classés par "rôles", une notion issue de la sociologie, et répertoriés grâce à un nuancier. Ce support est repris par les intermédiaires quand ils démarchent les chefs, même nos concurrents s'en sont inspirés ", témoigne Anne-Sophie Fontaine .
Cette collaboration a aussi permis à la marque de définir une nouvelle signature : "Les légumes qui envoient", en référence au champ lexical des chefs, et de redesigner ses différents assets. Quant aux résultats, difficiles à mesurer lors du lancement de l'étude faute d'en connaître les résultats, ils sont aujourd'hui clairs : depuis la mise en place de la nouvelle segmentation, les ventes annuelles de Bonduelle Food Service ont augmenté de 4 %, permettant ainsi à la marque d'inverser la tendance. Désormais, l'approche anthropologique est intégrée lors de la formation des commerciaux, qui, à terme, pourraient devenir eux-mêmes des observateurs capables de faire remonter des insights puissants du terrain.
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Mais toutes les études anthropologiques ne nécessitent pas autant d'entretiens sur des durées aussi longues, comme l'explique Jeanne Carré: " Nous avons été missionnés par la marque Mademoiselle Desserts, qui fournit les cuisines centrales et les hypermarchés. Eux-aussi voulaient devenir user-centric, et voulaient que nous observions le rôle du sucré pour mieux adapter leur offre. Pour leur marque de desserts Oh Oui !, nous devions trouver un moyen de développer la consommation du sucré. Nous avons utilisé WhatsApp pour observer la façon dont 40 personnes consommaient du "snacking" pendant deux semaines. Ils n'avaient qu'à nous envoyer en photo ce qu'ils mangeaient et pourquoi ils avaient choisi ce produit. " Des entretiens individuels ont ensuite été menés. In fine, l'étude a permis à Mademoiselle Desserts de segmenter différemment ses pâtisseries en point de vente, mais leur a aussi donné des dizaines d'idées de produits, basés sur des moments de consommation particuliers.
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