Les nouveaux pilotes de la marketing intelligence
La “Business Intelligence” séduit de plus en plus de directions marketing. Ses outils apportent une visibilité sur les campagnes et une réactivité sans précédent face aux évolutions de marché. En quoi font-ils évoluer le métier du marketeur ?
Je m'abonneSommaire du dossier
- Fichiers clients et bases de données
- Vocabulaire de la base de données et de la gestion de fichiers clients
- Constituer une base de données
- Qualifier et enrichir sa base de données
- Analyser les données
- Les spécificités du B to B
- Gérer sa BDD
- Les métiers de la gestion de fichiers et BDD
- Juridique
- Bibliographie
À LIRE AUSSI
«A l'époque où il dominait le championnat de Formule 1, Ayrton Senna
possédait trois boutons sur son volant. Aujourd'hui, Michael Schumacher en a
quinze à portée de main. Les marketeurs eux aussi se voient ajouter de nouveaux
boutons pour les aider à prendre les bonnes décisions. La commodité d'accès à
l'information a progressé et ces outils contribuent à une meilleure utilisation
des stratégies multicanal », reconnaissait Jean-Paul Aimetti, président de
l'Adetem, lors de la clôture d'un séminaire organisé par Asterop, éditeur de
logiciels de géointelligence. Appuyer son intuition sur des données
objectives, comprendre quel est le décalage entre les prévisions et les
résultats d'une campagne. Tels sont les enjeux de la Business Intelligence (BI)
appliquée à la fonction marketing.
Aujourd'hui, les nouveaux outils apportent
une plus grande autonomie et une meilleure visibilité au marketeur. Désormais,
il peut résoudre seul une partie de ses analyses sans attendre le résultat des
requêtes d'un service études saturé. A la traduction littérale “l'intelligence
des affaires”, le marché français des logiciels a préféré le terme de
“décisionnel”. Plusieurs types d'éditeurs revendiquent leur appartenance à
cette famille (voir Panorama p. 90). Tout d'abord, par tradition, les
spécialistes du reporting - autrement dit de la production de tableaux de bord
-, maintenant rejoints par les concepteurs de modules de CRM analytique, mais
aussi les incontournables du data mining ou encore des experts de technologies
pointues qui facilitent l'accès et l'extraction de données d'origines diverses.
Chacun, dans la mouvance du CRM, a étendu son offre à partir de sa spécialité
d'origine pour couvrir un périmètre de plus en plus large. « Les outils de data
mining se démocratisent vers les non-statisticiens.
De leur côté, les éditeurs
de reporting offrent des modules spécialement conçus pour les fonctions
marketing. Et les offres CRM se donnent les moyens d'analyser et de mesurer
l'efficacité des campagnes lancées grâce à leur plate-forme logicielle »,
remarque Hervé Chapron, directeur Business Intelligence de Keyrus, société de
conseil et intégrateur de systèmes d'information.
Un même outil pour l'entreprise
Le choix de telles solutions s'opère en binôme
avec le service informatique. En règle générale, celui-ci délègue une personne
de son équipe ou s'adjoint les services d'un consultant. L'un ou l'autre aura
pour mission de traduire les besoins du marketeur en tenant compte des
contraintes techniques. La bonne intégration de ces outils sophistiqués au
système d'information existant est un gage de réussite du projet. « Nous avons
un système décisionnel maison. Nous intégrons chaque nouvel outil venu de
l'extérieur avec l'aide de la direction informatique. Cette intervention est
essentielle car l'accès à ce type d'outils se réalise au travers d'un portail
intranet », explique Claude Godard de la direction marketing de Groupama.
Cependant la décision d'achat peut venir de la direction générale lorsqu'il
s'agit, par exemple, de généraliser un outil de reporting à l'ensemble de
l'entreprise. « La tendance est à vouloir unifier tous les systèmes
décisionnels. Mais il faut trouver une juste mesure ; une approche département
par département peut sembler justifiée. Cela peut être le cas, par exemple, à
la direction marketing, si elle dispose déjà, ou préfère des outils d'analyse,
liés à une offre CRM et plus adaptés à son métier », nuance Benoît Contamine,
consultant Business Intelligence chez Valoris, société de conseil et de
services.
Les offres sont devenues suffisamment ergonomiques et conviviales
pour intéresser et séduire un plus large public dans les équipes marketing.
L'accès à l'Intranet et les écrans façon navigateurs internet facilitent la
diffusion des données. Les leaders du reporting annoncent de nouvelles versions
avec une représentation géographique des données et les offres data mining
s'équipent de moteurs industrialisant des modèles statistiques. Enfin, la
technologie ETL (Extraction Transfert Loading) est présente dans la plupart des
offres, soit directement intégrée à la plate-forme proposée, soit en
partenariat avec les produits d'éditeurs spécialisés. Cette technologie
facilite l'accès à des données présentes dans plusieurs types de bases de
données et de datamarts.
Pourtant, pas de bons outils sans bons ouvriers ! En
effet, pour puiser en moins de trois clics dans la mine d'or des informations
clients numérisées, encore faut-il que le marketeur ait défini ses besoins. «
Plus que sur des critères de choix d'outils, les projets échouent non à cause
de la technique, mais en raison de problèmes d'organisation. Le marketing
travaille à sa façon, le commercial aussi. Ils doivent apprendre à formaliser
leur processus de travail et accepter d'agir de façon différente », commente
Françoise Fogelman-Soulié, directeur associé de Business et Décision.
Des applications immédiates
Les directions marketing
n'auraient-elles plus d'autre alternative que celle d'adopter ces nouvelles
technologies, à commencer par celle qui semble pouvoir leur rendre le plus de
services : la Business Intelligence ? « Tout concourt à ce que le marketing
pilote mieux ses données. En interne, il doit de plus en plus justifier ses
budgets sur des chiffres incontestables, assure Charles Parat, directeur
conseil BI chez Micropole Univers, prestataire qui a réalisé plusieurs
centaines de projets décisionnels. La direction générale lui demande des
comptes et les autres services veulent des ratios précis. En externe, les
clients n'acceptent plus d'être sollicités pour rien ou par de multiples canaux
qui ne communiquent pas ensemble. »
S'ajoutent d'autres facteurs qui poussent
le marketing à accepter de suivre une démarche plus rationnelle : des mises en
marché très fréquentes, des produits au cycle de vie de plus en plus court, des
clients très exigeants, des concurrents pugnaces, etc. L'une des applications
la plus immédiate pour le marketeur est la mesure de la performance de ses
cam-pagnes marketing : lancement de pro-duits, offres promotionnelles,
catalogue, marketing direct... Ainsi, selon certaines études, les sociétés qui
utilisent une solution de BI obtiendraient de meilleurs taux de retour et les
actions marketing atteindraient en moyenne 75 % de leurs objectifs contre 50 %
habituellement. « L'empirisme et l'intuition ne suffisent plus. Avec ces
outils, on confirme ses impressions et on justifie mieux ses investissements,
note Renaud Smagghe de Pierre Audoin Consultants.
Plus prosaïquement, la
Business Intelligence supprime les campagnes qui donnent de piètres résultats
pour allouer les budgets vers d'autres leviers marketing. Et elle permet aussi
de répondre à des questions directes telles que le coût de prospection d'un
client. Au-delà des critères de rentabilité pure et du simple “tripotage” de
données, il s'agira pour le service marketing de développer une meilleure
approche de la gestion de la relation client (CRM analytique). « Ces outils
permettent une plus grande efficacité des actions marketing.
Ainsi, avec un
composant géomarketing associé à son outil de BI, Ikea a diminué le nombre de
ses catalogues distribués en boîtes aux lettres, simplement en ciblant mieux
ses clients, raconte Philippe Nieuwbourg, président directeur général de
Nieuwbourg Group et spécialiste du décisionnel. Mais beaucoup d'entreprises
considèrent encore le CRM analytique comme la dernière roue du carrosse de la
relation client. Dommage : les résultats y sont plus immédiats. »
Formaliser les “processus métier”
La Business
Intelligence aide les marketeurs à se donner des règles, à partager leurs
chiffres avec le reste de l'entreprise et leurs partenaires, comme les
instituts de sondages, déjà équipés de ces outils. Cela s'accompagne d'un
profond changement de culture pour le marketeur. « La BI change beaucoup la
façon de travailler : segmentation plus fine de la clientèle, marketing
d'événements, etc. Autant les DAF et le contrôle de gestion ont l'habitude de
descendre dans l'information jusqu'à des niveaux très fins, autant les
directions marketing ont besoin de résultats “prédigérés” », note Charles
Parat. La composante “process métier” est forte. « Ce type d'outils apporte
aux services opérationnels une manière de travailler plus rationnelle, basée
sur des indicateurs sûrs et précis, partagés par tous, confirme Franck
Lheureux, responsable commercial Europe de Soft Solutions, concepteur de
solutions décisionnelles spécifiques au marché de la grande distribution. Sans
tout bouleverser, la Business Intelligence apporte un meilleur partage de
l'information et une visibilité réelle sur tous les aspects d'un projet pour
une enseigne : construction d'assortiments, stratégie prix, construction d'une
offre promotionnelle, category management, suivi des négociations d'achat.»
En prise directe avec le marché
Toutes les entreprises
ne sont pas égales devant la Business Intelligence : certains secteurs ont pris
une longueur d'avance. En particulier, ceux qui fonctionnent au travers d'un
large réseau de distribution ou de vente indirecte, avec des programmes de
fidélisation avancés : opérateurs télécoms, banquiers et assureurs,
laboratoires pharmaceutiques. Et, plus récemment, la grande distribution,
depuis la mise en place des cartes privatives qui facilitent la remontée
d'information. D'ailleurs les secteurs en pointe sont précurseurs dans
l'utilisation du temps réel, le nouveau défi de la Business Intelligence
orientée marketing.
Ainsi, des composants de CRM analytique viennent se greffer
sur les canaux directs de relation client comme les centres d'appels. Par
exemple : quand un client appelle, une fenêtre s'ouvre sur l'écran du
téléconseiller lui indiquant que cette personne envoie beaucoup de SMS et qu'il
faut lui proposer un forfait spécial. La montée en gamme se fait naturellement,
grâce au travail d'analyse en continu du dossier client. On l'aura compris, la
Business Intelligence tire le marketing vers le haut en lui apportant des
indicateurs de performance précieux et un pilotage plus fin de son activité. Si
la démocratisation de ces outils au sein des entreprises est enclenchée, il
reste encore des étapes à franchir, en particulier pour aider les compétences
internes à passer leur brevet de “pilote” de données.
Intersport : de la Business à la Geo Intelligence
« Pour l'implantation d'un nouveau point de vente, nous confrontons l'intuition du commercial, les prévisions du responsable du développement et l'analyse du financier, avec les données objectives du logiciel d'Asterop », explique Joël Armary, directeur général d'Intersport, réseau de distributeurs indépendants d'articles de sport. Les logiciels de géomarketing, offres spécifiques du monde du décisionnel, ont vocation à croiser des informations issues d'études extérieures avec les données propres à l'entreprise en les présentant sur l'écran sous forme de cartes géographiques. Parmi eux, Asterop rend l'analyse de données et le bilan de campagne accessibles à des non-spécialistes. Et Joël Armary d'ajouter : « Nous mettons à la disposition des patrons de magasin, une palette de fonctions modélisées pour les aider, par exemple, à relayer le marketing des marques dans leur magasin et à réagir aux offres de leurs concurrents locaux. »
Spécialiste de la BI au sein du cabinet Pierre Audoin Consultants, Renaud Smagghe décrypte les tendances du décisionnel pour le marketing : « Une tendance forte à l'analyse par métier »
Quelles sont les évolutions actuelles du marché de la Business Intelligence ? Renaud Smagghe : Chez les éditeurs, on assiste à une concentration du marché. Cela correspond aussi à l'ouverture de ces outils dans l'entreprise. Avant réservés à une poignée de décideurs, statisticiens et hommes d'études, ils sont aujourd'hui de plus en plus utilisés par les directions opérationnelles avec une tendance forte à l'analyse par métier : finances/gestion, RH et marketing/vente. La BI se démocratise : nous passons de quelques utilisateurs à plusieurs centaines voire plusieurs dizaines de milliers quand l'outil s'ouvre aux partenaires et clients de l'entreprise. Qui décide du choix de ce type de logiciels ? R. S. : Auparavant chaque service choisissait son logiciel suivant ses besoins, avec l'aval technique de l'Informatique. Résultat : trop d'outils décisionnels cohabitaient.
Devenus plus stratégiques pour l'entreprise, l'heure est désormais à la centralisation des achats. Aussi pour des raisons de compatibilité entre solutions et de réduction des coûts associés (formation…). La direction marketing perd en liberté de choix, mais gagne en qualité d'information puisque son système dialogue avec les autres directions opérationnelles et les applications existantes (ERP, CRM…). Les outils de la BI sont-ils plus faciles à utiliser ? R. S. : Leur mise en place est devenue plus simple. C'est surtout au niveau de la diffusion des résultats que les progrès ont été faits. Un responsable marketing peut s'inscrire et recevoir chaque semaine, par mail ou via un fichier PDF, les rapports d'analyse qu'il souhaite. Et même être alerté dans le cas où l'un des ratios qu'il a définis dépasse un certain seuil.