Les marques font leur show
L'époque est aux manifestations «live», aux mouvements de foule et aux expériences communautaires relayées sur les réseaux sociaux. Les marques, en quête de relation, s'emparent de plus en plus de cet outil. Démonstration au travers d'une sélection d'événements récents.
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Le 29 mai 2011, le champion du monde de rollers, Taïg Khris, a fait un saut de 12,50 mètres dans le vide depuis la Tour Eiffel pour battre le record mondial de saut en hauteur. Durant ce week-end, 200 000 personnes étaient au rendez-vous de ce Mega Jump organisé sur le Champ de Mars. Au total 1,3 million de spectateurs ont assisté à l'événement, diffusé en direct sur W9. Pour l'annonceur M6, cette opération a été un succès médiatique indéniable. D'autant qu'il a été repris sur les plateformes vidéos, commenté sur les blogs et primé par Le Raffut, prix de la communication événementielle décernée le 6 juillet dernier (lire l'encadré p. 26).
Cette opération éclaire une des facettes de la communication par l'événement qui prend une place croissante dans les dispositifs des marques. Comme si les entreprises misaient encore plus sur les relations humaines, à l'époque d'Internet et, jouaient le contact humain, versus les échanges par écrans interposés. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, l'événementiel s'est adapté à des contextes et des objectifs de communication très différents. A l'origine était la convention de forces de vente. C'est sur ce terrain que se sont créées les premières agences comme Market Place ou Extension - devenue Publicis Event. Simultanément, des spécialistes de l'organisation de fêtes étudiantes ont entrepris de faire de ces moments de détente leur métier. C'est l'origine de l'agence Délires, devenue Le Public Système (par mariage avec l'ex-agence Promo 2000). Depuis, la communication par l'événement a fait exploser le cadre. Elle s'applique aussi bien à la grande consommation qu'à la communication corporate du secteur banque/assurance. Elle nourrit des stratégies d'image, de relation clients, de distribution, de lancement de produits. Au même titre que la promotion ou le marketing direct, c'est l'un des leviers d'une stratégie marketing de marque ou d'institution.
Occuper de nouveaux espaces, au plus près des clients
Pour nourrir l'expérience de la marque, les annonceurs font preuve d'une grande inventivité. Ikea, par exemple, a innové en créant l'événement cet été... sur l'autoroute, espace jusqu'à présent ignoré. Durant la deuxième quinzaine de juillet, le leader mondial du meuble a implanté un hôtel éphémère sur l'aire de Beaune-Tilly (autoroute A6). Avec ses 28 chambres capsules, Ikea offrait un lit aux automobilistes pour une sieste réparatrice de 20 minutes. L'objectif: valoriser l'offre de l'enseigne en inscrivant la marque dans le registre du confort et de la sécurité. « Cette aire de la sieste, nous l'avons imaginée en nous appuyant sur la promesse publicitaire: Ikea améliore votre quotidien », commente Thierry Reboul de l'agence Ubi Bene. Le site a reçu 23 000 visiteurs. Mais la valeur de l'événement se mesure aussi et surtout à l'impact média qu'il produit. A la mi-août, Ikea comptabilisait quelque 150 retombées, tant en TV que presse, radio et sur le Web. « Je ne considère pas l'événement comme un média, analyse Stéphanie Jourdan, responsable de la com munication externe d'Ikea. C'est une expérience unique dans la relation entre la marque, ses produits et le public. Elle donne du contenu à notre promesse publicitaire et permet d 'aller au-devant d'un public qui n'est pas forcément client. A ce titre, les verbatim recueillis sur cette opération, nous permettent de nourrir notre réflexion sur la communication de l'enseigne. »
Barilla ne dit pas autre chose. La marque trace son sillon dans l'événementiel en veillant à nourrir son territoire de communication publicitaire et sa stratégie marketing. Elle développe actuellement la deuxième édition de sa «Casa Barilla», menée avec l'agence Idéactif. Il s'agit d'un espace itinérant qui propose des ateliers culinaires, une exposition de la gamme, une fresque historique de la marque, pasta parties et produits dérivés. Partie de Bordeaux le 9 septembre, la Casa Barilla poursuit sa route via Brest, Dunkerque, Paris (La Défense) et Besançon. Challenger de Panzani, avec 20 % de parts de marché, Barilla cultive ses racines italiennes. « L'événement sert à donner du contenu à notre positionnement publicitaire », commente Géraldine Fiacre, responsable marketing de Barilla qui consacre 20 % de son budget de communication à l'animation terrain. « Cela permet d'enrichir le contenu de la marque, de renforcer nos opérations de promotion et de dynamiser les opérations de trade marketing que nous menons avec les distributeurs. » La sélection des sites de la tournée est contrainte et choisi. Contraint car il faut trouver des espaces à fort trafic où implanter le barnum de 800 m2 de la Casa et choisi pour renforcer la présence de la marque sur des zones déterminées. « Nous allons à Brest cette année parce que la Bretagne est une zone sur laquelle notre part de marché est inférieure au national. Il y a un terrain à conquérir. La Casa Barilla s'inscrit dans cette perspective », conclut Géraldine Fiacre.
Géraldine Fiacre (Barilla):
« L'événement sert à donner du contenu à notre positionnement publicitaire. »
Obtenir des retombées médiatiques
Fondamental pour la relation physique qu'il établit entre la marque et ses publics, l'événement est souvent jugé sur son impact média. Dans ce registre, Le Tour de France occupe une place à part. Evénement majeur du calendrier sportif, il est aussi devenu un rendez-vous majeur pour la communication des marques de grande consommation. Sa caravane publicitaire constitue un événement dans l'événement (lire notre 3 questions à Hubert Genieys de Nestlé Waters). Elle joue le rôle de kermesse itinérante durant trois semaines d'été. « Il n'y a pas d'équivalent pour toucher 12 à 15 millions de personnes en direct », assure Arnaud Peyroles, président de l'agence Idéactif. Une agence particulièrement active sur le Tour depuis plusieurs années. Sur l'édition 2011, elle assurait la présence de 50 véhicules dans la caravane pour des marques comme Saint-Michel, Teisseire, Ricoré, Vittel ou Banette. Ce show commercial des marques n'est pas qu'une kermesse. Il sert aussi la relation avec les distributeurs par les opérations de promotion mises en place dans les points de vente. A ce titre, le Tour de France représente souvent la plus grosse opération de l'année en marketing terrain pour les marques qui s'y associent. L'approche événementielle d'Electrolux est d'un autre ordre. Elle s'inscrit sur du long terme et repose sur un partenariat avec une institution culturelle. La marque a besoin d'affirmer son identité depuis sa séparation d'avec Arthur Martin.
Elle a besoin d'exposer son offre produit dans l'univers de la cuisine qui représente les deux tiers de son chiffre d'affaires. « Le brief que nous avons soumis à l'agence reposait sur la création d 'une expérience qui valorise notre offre auprès des cuisinistes, indique Stéphanie Botte, responsable marketing d'Electrolux France. L'opération Electrolux Art Home, imaginée par l'agence Vaudoo, repose sur un partenariat avec le Palais de Tokyo. Ce dernier était en recherche de financements pour ses travaux. Electrolux a donc participé à ce financement. En échange de quoi, la marque a pu installer un atelier culinaire baptisé Nomiya sur le toit de l'établissement. Electrolux tenait quotidiennement, midi et soir, une table d'hôte de 12 personnes pour laquelle la cuisine était faite en direct par le chef Gilles Stassart.
Prévue sur un an, l'opération a été prolongée d'autant pour s'achever en mai 2011. Pour Stéphanie Botte, « c'était une occasion unique de mettre en scène nos produits dans un cadre très valorisant ». Electrolux, qui ne souhaite pas révéler le coût de l'opération, assure toutefois l'avoir amorti par les recettes des déjeuners et dîners servis aux 60 000 visiteurs de son Art Home. « Nous avons par ailleurs évalué à 3 millions d'euros l'équivalent tarif média de la couverture presse de l'opération », indique Stéphanie Botte.
Il arrive que l'événement serve également une stratégie de ressources humaines C'est ce qu'a testé Leroy Merlin avec sa «Semaine de l'emploi», menée en avril dernier avec l'agence On the Moon, sur les 26 magasins de l'enseigne en Ile-de-France. « C'est la région la plus complexe en matière de recrutement, indique Murielle Schulz, directrice des ressources humaines. C'est là que nos besoins sont les plus importants et où le turnover est le plus fort. » Soucieuse de tisser un lien direct entre directeurs de magasins et candidats à l'emploi, l'enseigne a donc adapté la bonne vieille formule «portes ouvertes» à sa stratégie de recrutement. Avec un plan média en amont qui ciblait les zones de chalandise des points de vente, l'enseigne a collecté 1 200 CV en quatre jours qui ont débouché sur 200 entretiens en direct avec les directeurs de magasins. A la fin juin, quelque 60 contrats d'embauche avaient été signés. « Par ailleurs, conclut Murielle Schulz, l'événement a l'avantage d'humaniser l'enseigne. Ce que ne fait pas une campagne de recrutement traditionnelle. »
L'événementiel a son prix
Pour la première année, l'événementiel grand public possède un prix: le Raffut, créée par le Club des Créateurs d'événements, regroupant 15 agences françaises. Thierry Reboul, patron de l'agence Ubi Bene, entouré de quelques confrères du secteur de la communication événementielle, voulait démontrer la capacité de mobilisation d'une profession et faire la fête autour des meilleures opérations de communication grand public. Et accessoirement, élire la meilleure opération de l'année parmi les huit finalistes, après une phase de présélection sur la quarantaine de prétendants au titre. Le verdict final, rendu le 6 juillet, a couronné l'agence Double 2, qui a imaginé pour M6 Mobile le «Mega Jump».
Des animations ciblées par communautés
Sur le marché des équipementiers sportifs, Puma joue le décalage en matière d'événementiel. Plutôt que l'affrontement avec le tandem Adidas-Nike sur le terrain strictement sportif, Puma chasse la nuit. C'est ainsi que la marque a créé ses «Athlètes de la nuit». L'opération vise à séduire une population de 18-25 ans, généralement étudiante, plus «accros» à la fête qu'au spectacle des stars du sport. Pour Johann Bondu, directeur marketing de Puma, « cette initiative s'inscrit dans le positionnement lifestyle que Puma développe depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Aux produits techniques qui concernent les sportifs, s'ajoutent les produits mode qui s'adressent à une cible jeune, sportive ou non. » C'est dans cette perspective que la marque anime son Puma Social Club dont les «Athlètes de la nuit» constituent l'événement-phare. Il s'est déroulé au printemps 2011, sous la forme d'une tournée de cinq soirées en régions et cinq autres à Paris. Au programme, baby-foot, fléchettes, consoles Nintendo et karaoké. L'intérêt de l'affaire tient moins dans l'événement en live que dans les traces qu'il laisse sur Facebook et autres réseaux sociaux. Très fiers de leurs exploits nocturnes, les athlètes ne se privent pas de les enregistrer et d'alimenter leurs blogs. « L'option karaoké a laissé des traces mémorables sur les blogs. L'événement nous intéresse autant pour ce qu'il délivre en live que pour les contenus qu'il génère sur le Web », s'amuse Johann Bondu. Le directeur marketing assure que les 500 000 euros investis dans l'opération ont été compensés par les retombées générées.
Les réseaux sociaux relayent et font partager les événements
Les piles Duracell ont, elles aussi, relayé leur stratégie publicitaire - incarnée par le fameux lapin [par des opérations mêlant manifestation live et médias sociaux. Un cocktail marketing qui fonctionne très bien. En 2008, pour ses 35 ans, la marque, conseillée par l'agence Passage Piéton, avait créé «La maison du lapin». Un loft dans lequel 35 bloggeurs ont été enfermés durant 35 heures sous l'oeil de quatre caméras filmant leurs exploits. L'agence était à nouveau aux manettes en avril dernier pour organiser une chasse au lapin. L'opération illustre les passerelles entre le réel et le virtuel. Les 100 lapins en peluche disséminés dans Paris étaient porteurs d'un code Facekbook. Les chasseurs étaient invités à se connecter pour découvrir le lot qu'ils avaient gagné.
Ils étaient également invités à poursuivre leur chasse pour trouver le lapin géant en chocolat réel caché dans Paris. Avec le Web, l'événementiel est entré dans une nouvelle ère. La communication par l'événement peut devenir, dans certains cas, 1 00 % virtuelle et interactive. Dans ce registre, l'agence Buzzman a montré la voie en septembre 2010 avec l'opération «A Man shoots a bear» pour Tipp-Ex, devenu un cas d'école. Mais au-delà de ce cas de figure, le show trouve un relais efficace dans les réseaux sociaux qui servent à annoncer le programme puis à partager l'expérience. Pour Frédéric Bedin, directeur général de Public Systeme Hopscotch: « On aura toujours besoin de réunir des publics dans le monde réel. Réseaux sociaux et interactivité du Web sont plus des accélérateurs que des concurrents de l'événement en live. »
«L'événement est alternativement un média et un contenu »
3 questions à Hubert Genieys, corporate communication and sponsorship, Nestlé Waters.
MM: Avec Vittel, Nestlé Waters est un animateur permanent sur la caravane du Tour de France. Quelle est la place de cet événement dans votre plan de communication?
Hubert Genieys: Le Tour de France est un événement central pour la marque. Il est situé au coeur de l'été, à une période de forte consommation d 'eau. C'est une bonne plateforme de communication. Grâce à cet événement, nous pouvons développer un temps fort commercial qui permet d'animer nos produits dans les points de vente et augmenter notre part de marché.
MM: L'événement est-il un média ou un contenu qui nourrit des médias?
H.G.: Les deux. C'est un média quand il permet à des marques d'accéder à un public captif de 10 à 12 millions de personnes présentes au bord des routes pendant trois semaines, dans l'exemple du Tour de France. Il nourrit les médias lorsqu'il permet d'alimenter des programmes avec des contenus générateurs d'audience qui contribuent à l'augmentation de nos parts de marché.
MM: Le développement des réseaux sociaux a-t-il impacté la conduite de votre communication par l'événement?
H.G.: Bien sûr. De plus en plus de fans «consomment» l'événement via les réseaux sociaux. Parallèlement l'événementiel est beaucoup plus libre d'offrir aux marques des expériences interactives fortes sur la Toile. Il appartient toutefois à la marque de trouver, dans le cadre de son partenariat sur l'événement, un territoire d'expression dédié, qui soit en lien étroit avec son positionnement et les attentes des internautes.