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La télévision publique doit trouver son identité

L'annonce de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques a suscité de vifs débats. Une telle mesure provoquerait un bouleversement sans précédent du Paf. Un «big bang» même, selon Marie-Laure Sauty de Chalon qui analyse, pour Marketing Magazine, cette révolution.

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Marketing Le président Nicolas Sarkozy a annoncé réfléchir à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques. Si France Télévisions n'a plus le droit à la publicité, comment seront financées ses chaînes?

Marie-Laure Sauty de Chalon: C'est encore très flou. Il existe, pour l'heure, deux écoles (interview réalisée en février, NDLR) . D'une part, les partisans de la redevance (116 euros en France vs 180 euros en Europe, NDLR) et, d'autre part, les défenseurs de la dotation budgétaire (de l'impôt qui est proportionnel aux revenus) . La taxe sur la publicité sur les chaînes privées semble, en outre, être assez conséquente pour compenser les 800 millions d'euros de recettes publicitaires publiques. Des taxes nouvelles sont également avancées. Mais ces dernières restent imprécises, à l'instar d'une taxe sur les chaînes privées.

On parle également d'une taxe sur les nouveaux médias...

Effectivement, mais il est fort possible que les acteurs concernés résistent beaucoup sur cette question. Est-il logique de taxer, par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile pour financer les chaînes de télévision publique? Cela me semble assez difficile. De plus, il est peu probable que cet impôt parvienne à combler la totalité du manque à gagner.

Comment procéder alors?

Deux solutions s'imposent d'office. Soit l'on réduit les dépenses en faisant un gros plan de restructuration. Telle est la stratégie des chaînes de la BBC qui procèdent actuellement à des licenciements massifs afin d'investir dans de nouveaux programmes. Soit le fonctionnement doit naturellement s'adapter à une baisse des recettes. Cette dernière solution est plutôt bancale, car un diffuseur travaille à long terme. Tous les équilibres économiques sont donc à repenser.

Comment, dans ces conditions, continuer à créer des programmes de qualité et intéresser tous les publics?

Il n'y aura plus d'objectifs de publicité, mais des objectifs d'audience. Les programmes vont donc forcément changer si les chaînes publiques veulent capter le plus grand nombre.

Mais faudra-t-il diffuser des séries américaines afin de toucher les jeunes au moment où les chaînes privées passeront de la pub? Dans ces conditions, France Télévisions gênerait les chaînes privées en augmentant son audience.

D'autres solutions existent, telles que se concentrer sur de nouveaux programmes qualitatifs pour séduire les plus de 50 ans. Pour réunir une audience plus grande mais ciblée, les choix de programmation seront, quelle que soit la stratégie, extrêmement complexes.

Dans tous les cas, les annonceurs vont être confrontés à une baisse de leur audience évidente?

Si cette décision aboutit, ce sera une mauvaise nouvelle car les annonceurs seront privés d'audience de qualité, notamment sur les CSP+, cible sur laquelle le service public est bien implanté. Quant aux «seniors», il faut savoir que la télévision surpondère les personnes âgées. Une personne de plus de 50 ans sur deux regarde les chaînes du service public. Sur une population française composée de 60% de personnes de moins de 50 ans, France Télévisions ne touche que 35% de moins de 50 ans. Ce qui veut dire qu'elle séduit plus de 65% de plus de 50 ans... Ce qui est loin d'être négligeable.

Marie-Laure Sauty de Chalon, CEO d'Aegis Media France et présidente de Carat

@ (c) Marc Bertrand

Marie-Laure Sauty de Chalon, CEO d'Aegis Media France et présidente de Carat

Les chaînes de service public n'ont pas su faire assez comprendre aux politiques et au grand public leur différence

Les chaînes de service public n'ont pas su faire assez comprendre aux politiques et au grand public leur différence

Combien d'écrans publicitaires en moins cette suppression représente-t-elle?

Sur le plan publicitaire, l'application de la mesure aux trois chaînes (France 2, France 3 et France 5, NDLR) reviendrait à se priver de 20% de l'offre, soit plus de 31000 écrans toutes cibles confondues. Donc, près d'un quart de l'offre GRP ménagères de moins de 50 ans et près de la moitié de l'offre GRP sur les 50 ans et plus. Pour les annonceurs, il sera plus compliqué d'être efficace en télévision, car la force de ce média est de toucher en deux jours 30 millions de personnes. Il faudra trouver une nouvelle puissance instantanée.

La publicité devrait donc coûter beaucoup plus cher en télévision...

Le taux de remplissage des chaînes privées atteint déjà 90%. Ce qui risque, effectivement, d'induire un renchérissement du média TV accentué par la taxe sur les autres chaînes et les médias digitaux. A titre d'exemple, en 2000 (date de la première phase de la loi Trautmann qui limite le nombre de minutes de publicité sur les chaînes publiques, NDLR), le tarif moyen de la publicité TV avait augmenté de 9,3% par rapport à 1999, dont + 8% sur TF1 et 11,6% sur M6. En 2007, ce coût a augmenté de 3%. La réforme annoncée pourrait conduire à une hausse plutôt comprise entre 15 et 18%. Nous sommes donc très inquiets. D'autant qu'il y a beaucoup de PME présentes sur France Télévisions qui, grâce à ce média, réussissaient à toucher des publics plus âgés ou CSP+.

Comment les annonceurs pourront-ils compenser cette absence de publicité sur le service public?

Il ne faut pas oublier que d'autres télévisions se développent, celles de la TNT, du câble et du satellite. Ce sont elles qui vont d'ailleurs récupérer la plus grosse part du marché. A titre d'exemples, Gulli est devenue en deux ans la 4e chaîne sur les enfants de 4-10 ans, W9 la 6e chaîne sur les 15-24 ans, TMC la 8e sur l'ensemble des 4 ans et plus ainsi que la majorité des cibles adultes. Sur les 800 millions d'euros de recettes publicitaires, nous avons évalué à 300 millions la somme qui serait gagnée par les chaînes de complément du Paf.

Parcours

Marie-Laure Sauty de Chalon est diplômée de l'IEP de Paris et titulaire d'une maîtrise de droit public.
Depuis le 1er janvier 2006: CEO d'Aegis Media France. Elle est présidente de Carat France et membre du comité exécutif d'Aegis Media Europe, administrateur de Médiamétrie. du CESP et du CRTM.
2003-2006: présidente de la Grande Régie qui réunit Le Monde Publicité, Publicat et Régie Obs.
2002: part à New York pour occuper la fonction de CEO de Consodata North America.
Février 2000: nommée directrice générale adjointe et membre du comité de direction de Carat.
1997: rejoint le groupe Carat à la direction générale de Carat Prospective et de Carat Interactive.
1993: devient membre du comité de direction, puis dga de France Télévisions Publicité.
1990: dg de La Régie.
1988: rejoint Général Média (régie publicitaire du Nouvel Observateur, VSD, Actuel, Challenges, La Tribune...) comme directrice de la publicité de La Tribune et de L'Expansion.
1985: chef de publicité des suppléments économiques du Nouvel Observateur, puis de Libération et Régie Presse (groupe Publicis).

On va donc assister à une réorganisation des stratégies médias pour les annonceurs?

Chez Carat, nous avons défini cette révolution comme le «big bang». Une page se tourne. Il n'y a pas eu de mesure aussi importante depuis 1968 lorsque la publicité est apparue à la télévision. Il n'y aura clairement aucun point positif pour les annonceurs. Les marques pourront compter sur l'accroissement des chaînes thématiques ciblées et le développement d'autres chaînes de télévision. Mais elles devront davantage penser au hors-médias, à la presse, à la radio, à l'Internet ainsi qu'au parrainage.

La disparition de la publicité va-t-elle justement entraîner davantage de parrainage?

Oui, car le parrainage est un moyen très précieux de donner des valeurs, du contenu à un engagement de marque. Les partenaires historiques des chaînes de France Télévisions vont être avantagés car ils ont une priorité de reconduction. Nous travaillons dès à présent sur toutes les nouvelles intégrations possibles dès cette année. Le placement de produit, le bartering et toutes les nouvelles idées d'émissions permettront de réduire le coût des programmes qui, lui, ne cesse de progresser.

On parle actuellement de réduction de l'affichage. Dans ce contexte, où les marques pourront-elles annoncer?

Il est vrai que l'affichage est amené à se réduire. Toutefois, ce média est de plus en plus créatif. Certes, il y a moins de panneaux dédiés, mais il y a tellement plus de choses que l'on peut trouver dans la rue. Que ce soit avec l'échantillon, les bâches, le street marketing, les dessins sur le trottoir, les possibilités de visibilité sont plus larges.

Ce«big bang»va-t-il amènera repenser les équilibres médias?

Complètement. De plus en plus de solutions vont être imaginées. Mais, de toute façon, la tentation d'aller vers les nouveaux médias est forte aujourd'hui. Le sondage que nous avons réalisé sur le sujet auprès de 87 annonceurs - qui représentent 2,8 milliards d'euros d'investissement en 2007 -, pourrait le laisser penser. 79% des sondés affirment vouloir chercher des innovations en termes de placements de produits, de production de contenus...

Et qu'en sera-t-il des annonceurs régionaux?

Des reports ne se feront pas, en effet. Notamment de la part des annonceurs régionaux qui communiquent exclusivement sur France 3 pour toucher des cibles très précises. Mais la presse quotidienne régionale devrait progresser.

Se produira-t-il une fracture entre médias privés et publics, sachant que Radio France est aussi concernée par la suppression delà publicité?

Ce n'est pas ce que l'on ressent chez Carat pour l'instant. Cependant, une chose est sûre: le service public cherche sa voie. Nous constatons, en effet, que ses chaînes ont davantage de difficultés à définir leur différence et leur positionnement. Et la vraie différence du service public de demain se fera quand ce dernier aura trouvé son identité. Sa spécificité existe certes aujourd'hui, mais elle n'est pas suffisamment perçue. Pourtant, quand France 3, par exemple, avec la série Les Oubliées, réalise l'une de ses meilleures audiences, c'estj us tement grâce à un sujet très exigeant abordé avec un traitement précis de documentaire. Ce que n'oserait pas faire une chaîne privée.

Alors pourquoi cette différence n'est-elle pas satisfaisante?

Peut-être parce que les chaînes de service public n'ont pas su la faire assez comprendre aux politiques et au grand public. Il y a alors un travail de communication et de marketing à entreprendre. Ce qu'a, d'ailleurs, très bien fait la BBC. L'urgence est également maintenant de travailler sur les véritables attentes de qualité ainsi que sur la notion de responsabilité de la télévision. Toutes les chaînes, qu'elles soient privées ou publiques, doivent aussi se pencher sur des sujets de société tels que la nutrition ou l'obésité, par exemple. Cela afin de définir leur rôle ainsi que leur responsabilité sur ces grandes problématiques sociétales. Peut-être n'avons-nous pas tenu compte de l'importance de ce média. Peut-être aussi, qu'à l'occasion de ce changement, nous mesurons tous combien il est compliqué. Et surtout combien de clivages existent entre la perception des hommes politiques sur la télévision et la perception du marché en général.

C'est un grand débat...

C'est un débat qui fait ressortir de grandes questions sur les attentes qui restent encore, hélas, sans réponse.

AVA ESCHWEGE

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