La PQR à l'heure du défi numérique
«Quel avenir pour la presse quotidienne régionale?» s'interrogeait, à la fin de l'année 2006 Eurostaf dans une étude qui ne laissait rien présager de bon. La société de conseil y listait un certain nombre de points noirs: perte de parts de marché publicitaire face aux gratuits érosion continue de son lectorat concurrence d'autres médias en plein essor, etc. «Ces difficultés sont néanmoins de nature à provoquer une remise en question profonde permettant à ce secteur de réinventer avec succès son modèle économique», tempérait toutefois Eurostaf. Et c'est tant mieux, car plus de deux ans après, la PQR a non seulement montré qu'elle était toujours bien vivante, mais qu'elle pouvait même se permettre d'en remontrer à d'autres médias. Selon la dernière livraison de l'étude d'audience Epiq en 2008, elle s'est offert le luxe de convaincre 1,019 million de personnes supplémentaires de lire chaque jour au moins l'un de ses titres, portant son audience à 17,74 millions de lecteurs. Les 60 titres qui la composent obtiennent des taux de pénétration à faire rêver plus d'un quotidien national. 58% des Bretons de plus de 15 ans, 51% des Alsaciens ou encore 46% des Auvergnats se plongent chaque jour dans les colonnes d'au moins un titre de leur région. Et dans un pays que l'on présente souvent comme encore trop centralisé, on note que le premier quotidien est toujours régional. Avec 2,27 millions de lecteurs, Ouest-France a vu sa diffusion augmenter l'an dernier de 2 017 exemplaires (+ 0,3%). Le poids lourd dirigé par François-Régis Hutin se classe aussi à la première place des quotidiens du dimanche avec 344 505 exemplaires (+ 3,7%), devant L'Equipe. Comme le note Michèle Pollier, directrice adjointe des études d'Ipsos Media CT, «la PQR tire sa force de la proximité qu'elle a su développer auprès de ses lecteurs en leur proposant une information locale et microlocale, mais également en étant présente dans leur vie de tous les jours via une grande diversité de services. On est toujours aussi surpris de la force qu'ont gardée les marques de presse dans leur région dès lors qu'elles ont été suffisamment entretenues. C'est un formidable atout.»
Ce travail de proximité passe par un certain nombre de canaux, à commencer par une politique de distribution destinée à fidéliser au maximum le lectorat. La PQR s'est notamment fait le chantre du portage au domicile des abonnés, qui peuvent ainsi commencer à lire leur journal avant 7 h 30. «Cette activité structurée porte chaque jour sur plus de 2,3 millions d'exemplaires et ce, sur tout le territoire, explique Jean-Pierre Raffoux, responsable études au sein de la commission de la vente du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR). Le portage représente aujourd'hui 44,66% de la diffusion payée de la PQR, soit désormais plus que la vente au numéro (42,98%).» Certains sont même très au-dessus de cette moyenne. «Le portage représente 75% de nos ventes, confirme Edouard Coudurier, p-dg du Télégramme. Ce service coûte cher mais il répond à une préoccupation permanente d'instaurer toujours plus de proximité avec le lectorat. Nous l'avons toujours eue car avoir face à nous un gros concurrent [Ouest-France, NDLR] nous oblige à être très proches du terrain de manière générale.»
Densification du réseau
Les éditeurs s'attachent aussi à être présents dans les différents lieux de vie de leur lectorat en jouant la carte de la densification du réseau. Aux 55 000 points de vente de toutes catégories est ainsi venu s'ajouter un nouveau réseau, la distribution automatique, «un canal de distribution fortement répandu outre-Manche et outre-Atlantique, mais inexistant en France», constate Jean-Pierre Raffoux.
L'expérience a débuté en 2007: neuf titres ont testé un dispositif de 80 automates installés dans des hôpitaux, cliniques, centres administratifs, par kings, supérettes, gares SNCF... Ce premier I lancement s'étant révélé satisfaisant tant sur le plan technique que commercial, 17 autres titres ont suivi le mouvement l'an dernier en installant une centaine de distributeurs «dans des lieux de trafic ou sur des sites où le contexte d'attente peut se prêter à l'achat du journal», précise Jean-Pierre Raffoux.
Cette stratégie de fidélisation est bien évidemment destinée à aider la PQR à stabiliser une diffusion qui ne se redresse toujours pas, avec un repli de 1,33% en moyenne. Seules exceptions: Ouest-France, Le Télégramme, La Montagne ainsi que les deux titres qui se sont partagés les Etoiles de l'OJD, Nord Littoral (+ 1,35%) et la Dordogne Libre (+ 392 exemplaires en 2008). Lors de la 19e édition de l'«Observatoire de la presse», en mars dernier, Stéphane Bodier, président de l'OJD (Office de justification de la diffusion), évoquait ainsi une pudique «stabilité à la baisse» de la diffusion. «Si la PQR a d'indéniables atouts, elle n'échappe cependant pas à la lame de fond soulevée par la facilité de consommation d'information qu'offre Internet», confirme Michèle Pollier. Mais plutôt que de se faire laminer, la PQR a choisi d'en faire une vague porteuse d'une nouvelle proximité avec son public.
«Ouest-France est le bon élève d'une classe très studieuse»
Entretien Directeur général délégué de Sipa/ Ouest-France, Philippe Toulemonde détaille la stratégie web et les dernières initiatives du plus grand groupe de presse régionale.
Comme évolue votre stratégie de développement sur le Web?
Philippe Toulemonde: En fait, nous poursuivons un plan d'action entamé il y a déjà longtemps car l'Ille-et-Vilaine était déjà une région pilote en matière de télématique à l'époque du Minitel. Notre réflexion part du principe que la marque Ouest-France doit apporter un service de communication et d'information de proximité aux citoyens de l'Ouest, quel que soit le média utilisé. Nous avons, dès le départ, considéré que nos 550 journalistes constituaient une rédaction bimédia. En février, Ouest-France Multimédia a reçu 11,30 millions de visites et 4,5 millions de visiteurs uniques. A côté des sites compagnons, il y a les sites de petites annonces et de contenus comme le portail Maville.com qui vise un déploiement sur l'ensemble du territoire. Il est réalisé avec six autres groupes de PQR, La Voix du Nord, Sud-Ouest, Midi Libre, Nice Matin, La Nouvelle République du Centre Ouest et La Montagne. Il couvre plus de 70 villes et l'ambition est d'en couvrir 200.
Quel est le modèle économique de cette stratégie?
C'est un domaine dans lequel nous n'avons pas de certitudes. Il faut entreprendre, expérimenter, se déployer si ça fonctionne. Et ne pas hésiter à se retirer dans le cas contraire. Mais on voit bien que le seul marché publicitaire ne suffit pas à financer le développement de contenus. C'est pourquoi nous avons opté pour le modèle payant. A peine 10% des articles consultés sont gratuits, le reste est payant.
Comment se répartit le marché publicitaire?
Nos médias sont à la fois sur les marchés de la publicité nationale et de la publicité locale, et n'ont bien évidemment pas affaire aux mêmes concurrents. C'est vrai pour le papier, c'est aussi vrai pour le Web, entre le marché local, l'ex-Web 66 qu'est PresseRégionale.fr mais aussi le réseau Maville.com qui vient à son tour se positionner sur le marché. Mais nos titres ont toujours été obligés de s'adapter. Il y a 40 ans par exemple, il n'y avait pas de prospectus et aujourd'hui plus de 50%des dépenses des annonceurs locaux passent par là. Nous nous sommes également adaptés à la concurrence brutale née de l'ouverture de la TV à la distribution. Aujourd'hui, nous subissons la crise des petites annonces emploi et immobilier. Elles représentent près de 40% du chiffre d'affaires de Ouest-France.
La PQr souffre toujours d'une chute de diffusion: comment redresser la barre?
Nous dépensons beaucoup d'argent pour écouter les lecteurs et recruter des abonnés. Ouest-France est le bon élève d'une classe très studieuse. La PQR s'est en effet beaucoup remuée pour conquérir de nouveaux lecteurs. Et avec près de 18 millions de lecteurs d'un numéro moyen, elle est portée par une excellente audience. C'est le fruit d'un travail sur la proximité, une valeur non pas synonyme d'enfermement mais d'ouverture. Et qui n'a jamais été aussi moderne.
Philippe Toulemonde (Sipa/ Ouest-France):
«Dès le départ, nous avons considéré que nos 550 journalistes constituaient une rédaction bimédia.»
Jean-Pierre raffoux (SPQR):
«Le portage représente aujourd'hui 44,66% de la diffusion payée de la PQR, soit désormais plus que la vente au numéro.»
La Normandie entre en résistance contre la crise
Le 7 avril, Paris-Normandie, Havre-Presse, Havre-Libre et le Progrès de Fécamp clamaient d'une même voix: «A bas la crise» dans un numéro spécial qui, pour l'occasion, était distribué gratuitement. Les quotidiens normands du Groupe Hersant Média y faisaient le point sur les initiatives régionales de lutte contre la crise et les bons plans à proposer aux lecteurs. Cette journée était le point d'orgue d'une opération entamée en février par Paris-Normandie qui a créé une rubrique hebdomadaire «A bas la crise» et un site dédié (Abaslacrise.com). Les Normands ont pu ainsi découvrir une formule du quotidien basée sur une interactivité entre le papier et le Web. Cette initiative est aussi l'occasion pour le titre de mener des opérations de proximité, en organisant chaque mois une sorte de club de la presse grand public à Rouen ou de déplacer journalistes et commerciaux dans les centres commerciaux de la région. «Cette dernière idée nous a été donnée par La Provence qui déplace régulièrement sa rédaction sur le terrain», explique Michel Lepinay, patron de Paris-Normandie.
Stratégie globale et individuelle
Cette stratégie se décline à deux niveaux, global et individuel. Le lancement en décembre dernier par le Syndicat de la presse quotidienne régionale du nouveau portail Presse regionale.fr entre dans le premier cas de figure. On y trouve un accès direct à l'ensemble des sites de la presse régionale, aux Unes des quotidiens et aux offres commerciales web et papier. Au SPQR, on tient d'ailleurs à souligner que «Presserégionale.fr représente, et de loin, la première «brand info» du classement périodique Nielsen//NetRatings. Il enregistrait, fin 2008, la première place du classement avec 8,6 millions de visiteurs uniques, devant les «brand» Figaro, Orange News, Yahoo! News et Le Monde».
Le mouvement numérique s'accélère également à l'intérieur des groupes de presse qui mettent en oeuvre de nouveaux chantiers. C'est le cas de Sipa/ Ouest-France, «qui a doublé son audience entre février 2008 et février 2009», annonce Daniel Floc'h, rédacteur en chef adjoint et chargé de mission auprès de la présidence du groupe. Le quotidien expérimente actuellement la mise en ligne des pages locales en commençant par cinq villes, Fougères, Rennes, Redon, Saint-Malo et Vitré. «Ce n'est pas une simple mise en bouche, mais un vrai complément du papier, explique Daniel Floc'h. Nous ne sommes pas nombreux à avoir fait ce choix, nous y allons lentement mais sûrement. Cela participe de notre positionnement d'entreprise de services qui va de la commune au monde.» Dans la nouvelle version de Letelegramme.com lancée au début de l'année, on retrouve le même parti pris de mettre en ligne des informations locales, régionales, nationales et internationales. Le groupe Télégramme, dont la diffusion du quotidien papier progresse régulièrement, n'en mise pas moins fortement sur la complémentarité du Web. La précédente version de son site internet accueillait déjà plus de 1,2 million de visiteurs par mois. La nouvelle se veut une vraie plateforme d'échanges et de dialogues et offre une large place à la vidéo. L'importance donnée à l'image est encore renforcée par l'accord qu'ont conclu les quotidiens régionaux avec l'AFP et le prestataire Kewego pour lancer une plateforme de vidéos sur leurs sites, accord qui devrait être opérationnel au cours du premier semestre d'après Bruno Ricard, directeur marketing du SPQR. L'idée est de proposer à l'internaute une interface où l'on retrouve 20 à 30 vidéos de l'AFP sur l'actualité nationale ou internationale, mais aussi les images locales rapportées par les journalistes et les correspondants de la PQR.
Mutualisation des moyens
«La PQR a quelque chose d'unique: sa capacité à sortir de la vidéo locale alors qu'on ne trouve quasiment que du référencement thématique», expliquait, à la signature de l'accord en octobre dernier, Olivier Heckmann, directeur général de Kewego. Un système de syndication permet aux 30 sites concernés de s'enrichir les uns les autres en images d'actualité. Il participe aussi à la mutualisation des moyens numériques que les groupes essayent de réaliser en leur sein. Un pari loin d'être gagné, car tous les titres n'avancent pas à la même vitesse. C'est notamment le grand chantier du moment chez Hersant Média, coordonné par le patron de Paris-Normandie, Michel Lepinay. «Tous nos journaux ont des sites, mais nous allons mettre en place un outil central unique en mutualisant les moyens et les expériences, explique-t-il. Nous en sommes au stade de la sélection des systèmes pour démarrer cette nouvelle version à l'automne. Elle portera sur les zones Provence-Côte d'Azur, Champagne-Ardenne et Normandie.» La Provence, dont l'expérience numérique est la plus ancienne, part avec une longueur d'avance mais, comme le précise Michel Lepinay, pas question de proposer un modèle unique: «En revanche, l'enjeu est de préparer les outils nécessaires au modèle économique.»
Il en va dans ce domaine pour la PQR comme pour l'ensemble de la presse. «Certes Web se développe très bien avec des ressources relativement limitées, mais on a encore du mal à bien le monétiser, indique Bruno Ricard. L'essentiel du chiffre d'affaires émane des petites annonces car la publicité, les displays sont encore loin d'être l'eldorado.» Dans ce cadre, l'offre PresseRégionale.fr, commercialisée par Manchette Publicité avec les régies de PQR Com > Quotidiens et Quotidiens Associés, a très bien tiré son épingle du jeu. Selon le SPQR, l'ex-Web 66 a, en effet, enregistré une progression du chiffre d'affaires net éditeurs de 46% (3,9 millions d'euros) sur 2008. Et le début d'année a évolué sur le même trend, en signant une progression de 34% en janvier. Cette bonne santé fait écho à celle qui a dopé l'offre papier PQR 66 l'an dernier. Le SPQR la crédite, en effet, de 129,2 millions d'euros de chiffre d'affaires net éditeurs, soit un bond de 41%. Et le premier trimestre 2009 a continué sur la même tendance positive. Pourtant, entre le lancement des gratuits et l'ouverture de la publicité TV à la distribution en 2007, la PQR a rencontré de lourds écueils. Elle a d'ailleurs trébuché en 2007 sous le coup du transfert de 30 MEuros d'investissements publicitaires de la distribution de la PQR à la TV (source: France Pub). «Mais le média avait bien anticipé cet événement, souligne Sophie Renaud, directrice presse chez Carat. Les titres ont boosté l'éditorial, en créant des suppléments, en modernisant la mise en page, le format. Et sur le plan commercial, les régies ont ouvert de nouvelles offres Access pour rebondir sur des événements, des moments-clés.» Ces offres sont commercialisées par Com > Quotidiens et Quotidiens Associés dans le cadre du PQR 66. «Elles pèsent plus de 70% du volume du PQR 66. Le marché a bien adhéré à ces offres très marketées, proposées en tarifs nets et nous continuons à en développer de nouvelles», précise Carine Devos, directrice générale de Com > Quotidiens. L'offre «Access Grande Conso» a notamment permis à la PQR de marquer des points en direction des annonceurs, comme Ferrero, vainqueur cette année du prix Impact 66 dans sa catégorie. «Nous bénéficions aussi du retour de la grande distribution qui, après nous avoir quittés en 2007, revient vers des médias de trafic, se félicite Stéphane Delaporte, directeur général de la régie Quotidiens Associés. Car peu de médias arrivent à croiser la puissance et la proximité comme le font les quotidiens régionaux.» L'an dernier, le chiffre d'affaires du PQR 66 était concentré autour de trois secteurs, l'automobile (32 %), les grandes surfaces alimentaires (19%) et la banque-assurance (12%). Trois secteurs en ligne de mire cette année mais qui, entre problématiques de déstockage et de réassurance, devraient continuer à miser sur des médias dits «chauds». C'est tout du moins le pronostic que veulent faire les régies.
Stéphane Delaporte (Quotidiens Associés):
«Peu de médias arrivent à croiser la puissance et la proximité comme le font les quotidiens régionaux.»
Edouard Coudurier (Le télégramme):
«La TV sera à la fois une vitrine et une nouvelle brique du développement multimédia du Télégramme.»
La PQR s'aventure à la TV
C'est un projet a priori hasardeux dans lequel se lancera Le Télégramme en novembre prochain. Le groupe breton annonce, en effet, son intention de lancer sa chaîne locale sur la TNT. Baptisée Bretagne Ouest TV, «elle couvrira le coeur de notre zone, le Finistère, et sera à la fois une vitrine et une nouvelle brique de notre développement multimédia», explique Edouard Coudurier, p-dg du Télégramme. Composée de six journalistes, la rédaction TV travaillera en synergie avec la rédaction papier et web, qui l'alimentera notamment en vidéos. Pour ce lancement, Le Télégramme a constitué un tour de table dans lequel il détient pour le moment 51 % du capital, Ouest-France dispose de 5 %, le Crédit mutuel et le Crédit agricole respectivement 7,5 %, et le Club des entreprises 20 %. «Nous sommes bien accompagnés, mais il est vrai que l'équation économique n'est pas résolue», reconnaît Edouard Coudurier.
Elle ne l'est en fait véritablement pour aucune des chaînes locales existantes. Chez le grand concurrent Ouest-France, opérateur dans Nantes 7 et Angers 7, Philippe Toulemonde, délégué général du groupe Sipa/Ouest-France affirme que «le modèle économique est très difficile». Mais ce manque de perspectives n'a pas non plus empêché le groupe La Voix du Nord de se mettre sur les rangs dès la mi-avril en lançant Wéo, la chaîne de TNT régionale qui couvre l'ensemble du Nord-Pas-de-Calais.