Responsable de BDDM : une fonction à la croisée des chemins
Aujourd'hui, les profils, de responsable de base de données marketing, se scindent en deux grandes catégories. Ceux dont les tâches quotidiennes relèvent d'une vision de gestionnaire, avec pour impératif la maintenance et l'exploitation de la base de données. Et ceux dont on exige une vision prospective avec, derrière, la responsabilité du système d'information clients. Une fonction qui, de fait,les rapproche de plus en plus des directions CRM, quand elles existent.
Je m'abonneSommaire du dossier
- Fichiers clients et bases de données
- Vocabulaire de la base de données et de la gestion de fichiers clients
- Constituer une base de données
- Qualifier et enrichir sa base de données
- Analyser les données
- Les spécificités du B to B
- Gérer sa BDD
- Les métiers de la gestion de fichiers et BDD
- Juridique
- Bibliographie
Etrange métier que celui de responsable de base de données. Non pas qu'il
ait quelques côtés ésotériques. Ce sont bien plutôt des profils très cartésiens
qui ont concouru à sa reconnaissance : informaticiens, statisticiens, et autres
gourous du chiffre, du variable et de la logique mathématique, y ont largement
œuvré. Mais, ce métier évoluant, les entreprises elles-mêmes peinent à définir
cette fonction. Au point que, lorsqu'on les questionne, certains dirigeants ont
cette réponse mi-cynique, mi-sérieuse : « Cela existe, ce métier, au moins ? »
En fait, faute encore de normes précises, le responsable de bases de données ou
de fichiers reste une personnalité à tout le moins énigmatique, dont on mesure
mal les tâches exactes au quotidien. Sa fonction principale est-elle de gérer
simplement l'achat ou la location d'adresses ? Son métier consiste-t-il plutôt
à assurer le maintien et l'évolution du système d'information clients ? Et,
partant, se charger de l'exploitation ? Voire d'assumer une veille en matière
de marketing ? La réponse n'est pas aisée. « On mélange souvent, sous la même
fonction de “responsable de fichiers” - une appellation à mon sens vieillotte,
car elle ne rend plus compte de la complexité de leur travail - différentes
activités qui ne relèvent pas des mêmes approches », assure ainsi le consultant
Thierry Fages, gérant du cabinet de conseil en gestion de la relation client
One to One Management. Dans tous les cas, la réponse dépend, pour partie, de
critères subjectifs. Une anecdote pour l'illustrer : dans un des grands réseaux
bancaires français, le P-dg, il y a peu, s'étonnait de voir qu'au comité de
direction, un siège avait été octroyé au responsable de base de données ! Pour
lui, cette fonction, qu'il assimilait, sans doute, à de la simple gestion
informatique, ne méritait pas pareil honneur. Pour Thierry Fages, le métier de
responsable de fichiers manque encore d'une véritable reconnaissance. « Au
début, on a trouvé normal de confier aux informaticiens qui avaient développé
les bases, leur gestion ultérieure. Mais, très vite, cette structure s'est
étoffée de compétences supplémentaires. L'aspect hautement stratégique de la
connaissance clients demande désormais des compétences en matière de management
et de marketing. Je ne dis pas qu'un informaticien ne peut y prétendre. Je dis
simplement que tous n'ont pas la même capacité à s'approprier ces nouvelles
compétences. »
Profils atypiques
La diversité des
titres est l'un des symptômes les plus probants de cette difficulté à saisir la
réalité quotidienne de ce métier. Thierry Fages doute même que leur hiérarchie
sache exactement où commencent et où se terminent leurs interventions. Selon la
société (son secteur d'activité, son organisation, sa taille…), on rencontre
tantôt des directions CRM - dans lesquelles plusieurs collaborateurs peuvent
prétendre être responsables de base de données marketing, tant du point de vue
de la gestion informatique que des études à mettre en œuvre - ou bien alors des
responsables de fichiers auxquels on accole souvent une charge supplémentaire,
comme celles des statistiques ou des études. Cette diversité explique que les
profils soient également très variés. En fonction des orientations stratégiques
de l'entreprise où ils officient, le recrutement privilégie une expérience
acquise dans le marketing, les statistiques, l'informatique ou le commercial.
Bref, il s'agit de choisir entre un profil d'utilisateur - savoir ce que
l'entreprise escompte d'une base de données pour l'amélioration de son chiffre
d'affaires -, et un profil de gestionnaire - savoir comment la même entreprise
assure au quotidien la stabilité et l'enrichissement de sa base. Au sein du
groupe Cegos, spécialiste de la formation interentreprises, Marie-Christine
Gommy, responsable des bases de données marketing, a été recrutée pour sa
culture vépéciste. Son cursus universitaire, alliant une école de commerce à
une très bonne connaissance des méthodes statistiques, l'a également favorisée.
« Je n'ai pas un profil informatique, raconte- t-elle. Dans mon équipe de sept
personnes, deux salariés ont ces compétences. Ils se retrouvent, un peu, les
“gardiens du temple”, puisqu'ils sont responsables de l'intégralité des
données. Je possède, moi, une vision d'utilisateur qui m'aide à être au service
du marketing et du commercial. A mon arrivée, il y a neuf ans, cette fonction
de responsable de fichiers n'apparaissait pas vraiment dans l'organigramme. Il
existait simplement un poste de responsable de l'exploitation du fichier
clients. Nous avons fait évoluer autant les outils que les modalités
d'exploitation. » Quant à Jean-François Salaün, responsable de la cellule de
marketing et base de données des éditions juridiques Lamy, il possède, à
l'origine, une formation de comptable. Ce qui ne le prédisposait guère, il en
convient lui-même, à occuper son poste actuel. « Mon parcours professionnel
explique pourquoi je me retrouve, aujourd'hui, aux commandes de cette cellule
de treize personnes. Ce qui, je crois, a séduit mon actuel employeur, c'est,
outre bien sûr mon expérience des bases de données, une connaissance des
métiers périphériques comme le télémarketing », affirme-t-il. Comme dans tous
les secteurs, les hasards de leurs carrières professionnelles ont pu les
entraîner vers cette fonction. Mais tous affirment leur passion pour un métier
qui fait, disent-ils en chœur, la part belle à la curiosité et à la réflexion.
Rigueur et sens du service
Plus encore qu'un profil,
les entreprises semblent rechercher des qualités humaines. Et en particulier le
sens de la rigueur. François Nédey, directeur du CRM chez Axa France, et qui
chapote une équipe d'une quarantaine de personnes, voit son métier comme à la
croisée des chemins. Son importance stratégique quant aux choix commerciaux et
marketing demande, selon lui, des aptitudes humaines avant même d'envisager un
niveau d'études ou une expérience professionnelle particuliers. « Il faut une
véritable ouverture d'esprit, pres-que de l'empathie, pour faire ce métier. Il
faut aussi un esprit très critique. Savoir toujours se remettre en cause. Et
surtout une posture de modestie. Dans une entreprise comme Axa, dont la force
repose sur son réseau de distribution, croire que l'on va arriver en affirmant
aux équipes commerciales “Je vais vous expliquer qui sont vos clients”est une
erreur fatale. Il faut garder une posture modeste et dire plutôt “Nous allons
vous apporter quelques éléments sur le profil de vos clients pour mieux les
connaître” », affirme-t-il. Une chose, au moins, est sûre. Toutes les
personnes interrogées s'accordent pour dire que ce poste est au service des
autres fonctions de l'entreprise. « Nous sommes au cœur des stratégies de
l'entreprise », fait ainsi valoir Jean-François Salaün. Dans ce cas, ce qui
distingue cette fonction, ce sont bien les synergies revendiquées entre son
pôle et les autres entités de la société. Ce que Marc Brutin, responsable
statistiques et fichiers du vépéciste, spécialiste des produits de beauté,
Daniel Jouvance (Groupe Yves rocher), résume en une formule toute simple : «
Nous sommes un élément d'aide à la décision. » Une posture d'humilité
revendiquée qui, peut être, ne favorise pas au sein de l'entreprise la pleine
reconnaissance de cette fonction. C'est, du moins, l'opinion de Thierry Fages
qui estime que trop peu d'entreprises ont une vraie conscience de son
importance stratégique. « Ce poste devrait, dans les petites et moyennes
entreprises, être au moins rattaché à la division marketing. Et, dans les
grands groupes, dépendre directement du comité de direction. Le responsable
base de données est le gardien du patrimoine client de l'entreprise. C'est un
poste qui relève idéalement d'un niveau hiérarchique élevé. Car, c'est de lui
que dépendent la fidélisation et la consolidation de la relation client. »
Lorsque, en plus, il s'agit du secteur de la vente à distance, cette fonction
revêt alors une importance cruciale. C'est le nerf de la guerre. « En vente à
distance, l'information, le capital, c'est l'adresse. Plus vos adresses sont
qualitatives, plus vous avez acquis d'informations pertinentes sur vos clients,
meilleures sont les offres que vous pouvez leur faire et, partant, meilleur est
votre chiffre d'affaires », remarque Marc Brutin. Pour Thierry Fages, cette «
sensibilité stratégique » est au cœur du métier de responsable de bases de
données. Mais cela suppose, aussi, des capacités de gestionnaire ou le sens du
management. « C'est un poste qui exige beaucoup de compétences. On doit
connaître suffisamment bien l'informatique, ne serait-ce que pour savoir ce
qu'il est possible de faire ou non. On doit aussi avoir un sens aigu de la
chaîne du marketing, qu'il s'agisse de comprendre le mécanisme de l'offre ou
qu'il s'agisse d'envisager le lancement d'un produit ou l'évolution d'une
gamme. Enfin, ce métier demande de bonnes notions de statistiques, pour savoir
comment élaborer un panel de consommateurs, quels variables mettre en place,
quelles études impulser… »
Les bases du métier
Faire
parler les chiffres ! Quoi de plus enthousiasmant, au final, que de tenter, à
partir de variables brutes, d'interpréter les profils de ses clients, leurs
comportements d'achat voire même de subodorer leurs éventuels désirs à venir.
Mais, si tous avouent un penchant pour cet exercice de quasi-démiurge, chaque
responsable de fichiers tient, au préalable, à rappeler que l'essentiel de ce
métier repose sur une base de données fiable et propre. « 80 % de mon métier
consiste à vérifier la construction des données. 20 % seulement de mon temps
est consacré aux études. La constitution d'une base de données efficace n'est
peut-être pas la partie la plus intéressante, mais c'est ce qui assure la
viabilité de toutes nos opérations ultérieures », avance Marc Brutin. On
pourrait croire Axa France, dont la gestation du projet CRM remonte déjà à deux
années, à l'abri de tels soucis. Mais une base recèle toujours des surprises.
Et parfois, en véritables archéologues, les responsables de fichiers sont dans
l'obligation de s'en aller creuser la donnée. Ce que François Nédey dénomme «
la sédimentation de l'adresse ». L'origine d'une adresse, l'historique d'un
client, étant parfois bien difficile à saisir derrière des chiffres, clairs
seulement en apparence. « L'histoire du métier de l'assurance, et d'Axa en
particulier, explique par exemple pourquoi on peut avoir un certain nombre de
clients qui, apparemment, sont listés comme entrés chez nous à une date
toujours identique. En fait, lorsque l'on creuse un peu, on s'aperçoit qu'il
s'agit là de la date d'une fusion. Les informaticiens de l'époque ont juste
utilisé la date de la fusion pour tous. » Une anecdote qui lui permet de tirer
une leçon simple mais essentielle : « Il ne faut jamais penser que le chiffre
dans une variable est, a priori, un bon chiffre. »
Des fonctions qui varient selon l'entreprise
La définition des tâches qui sont
imparties aux responsables de BDDM est donc fonction du niveau de développement
de la base de données voire, dans certains cas, de la mise en place du CRM dans
leur entreprise. Tout comme Jean-François Salaün, Marie-Christine Gommy
travaille à optimiser les bases de données. L'enrichissement des adresses des
clients ou des prospects, par l'acquisition de nouvelles adresses chez des
brokers, et ensuite leur validation via des opérations de télémarketing, font
partie de ce qu'elle supervise au quotidien. Mais, pour Marie-Christine Gommy,
vient se greffer une difficulté supplémentaire : la Cegos, pour l'heure, ne
possède pas encore de base unique. « Quand je suis arrivée, nous vivions de la
croissance naturelle du marché de la formation. On était, en quelque sorte, des
preneurs de commandes. Nous n'avions pas à aller chercher le client. Mais le
marché a atteint sa maturité. Et il nous a fallu être plus percutant, aller
chercher le client hors de chez nous. Nos différents services possédaient leurs
propres bases. En 2004, nous passerons à une base unique. Notre projet, c'est
d'étendre la surface des données disponibles et de construire un référentiel. »
Chez Axa France, le projet CRM est déjà en place. Et sa généralisation au
réseau de l'assureur en train d'être finalisée. Autant dire que François Nédey
et ses collègues, en charge plus spécifiquement de la gestion et du maintien
des bases de données, travaillent désormais sur l'analyse et les perspectives
stratégiques. Là encore, toutefois, ces responsables se montrent très prudents.
« L'interprétation, d'accord, bien sûr. Mais encore faut-il déterminer des
variables pertinentes ! », avance ainsi Marc Brutin, qui se montre à tout le
moins suspicieux vis-à-vis des développements supposés merveilleux du CRM. «
Dans nos bases, nous possédons une richesse phénoménale. Le tout est de savoir
les exploiter. Il faut s'assurer que nous avons bien toutes les variables dans
nos fichiers pour envoyer le bon message aux bons clients. Si l'on se trompe
sur ces variables, on aura beau avoir les meilleurs outils du monde, cela ne
vaudra rien », poursuit-il. Les services commerciaux ou marketing sont
terriblement friands de leurs prédictions. Ils les rassurent sur la supposée
réussite d'une campagne de marketing ou le lancement d'un produit. « Les
statistiques ne sont qu'un moyen, avance Marc Brutin. Nous intervenons en tant
que soutien. Une étude est là pour répondre à une question commerciale de
manière efficace. La grande question, chez nous, c'est de pouvoir prédire quel
sera le comportement d'achat de nos clientes d'ici à deux ans. Pour nous, cette
requête se traduit par une question : quels sont les critères discriminants à
mettre en place pour obtenir la réponse ? » C'est pourquoi, sans doute, ce
métier a besoin de se nourrir des compétences des autres, d'être, au final,
dans leur réalité. Ce qui, bien souvent, amène les professionnels de ce secteur
à se penser comme des prestataires internes au service des autres pôles du
groupe, ou de l'entreprise. « La confrontation avec le terrain est permanente.
Pour élaborer la valeur client - ce que, en interne, nous nommons “l'indice
client” -, il faut se référer à l'expérience du réseau. Le travail sur les
données recèle beaucoup de pièges en soi. Il faut d'une certaine façon
redécouvrir l'eau tiède et ne pas donner à l'analyse pure une trop grande
importance », justifie François Nédey. Marie-Christine Gommy en est persuadée.
Sa fonction est aussi de participer à la création, à l'évolution de l'offre. Ce
qui place son intervention aussi bien en amont qu'en aval des décisions
marketing et de l'élaboration de l'offres commerciale : « Les services
marketing ont besoin de chiffres et d'analyses pour réfléchir à la création de
nouveaux produits ou au renouvellement de certaines offres. » Quant à Marc
Brutin, il est également en contact avec les sites industriels de fabrication,
puisqu'il réalise des prévisions de ventes et détermine ainsi la production.
Pour Thierry Fages, le CRM est une évolution logique du métier. Que le
responsable de BDDM soit, comme chez Axa France, intégré à un pôle CRM dont il
dépend désormais, ou qu'il prenne lui-même les commandes de ce pôle lorsque son
entreprise se décide à sauter le pas. « Le but est de transformer la
connaissance client en une vraie valeur pour notre réseau », note François
Nédey. Pour autant, les responsables de fichiers affirment n'avoir guère
besoin de formations complémentaires pour se tenir au courant des dernières
évolutions technologiques. Sans doute parce que, désormais dégagés des
problématiques purement technologiques, leur formation initiale ainsi que leur
expérience professionnelle semblent leur suffire. Mais ils se disent, en
revanche, demandeurs de rencontres avec d'autres confrères. Et recherchent les
séminaires de travail. « L'échange est au cœur de notre métier », fait ainsi
valoir François Nédey. Même si leur activité est souvent stratégique pour
l'entreprise, ils sont conscients de la nécessité de protéger leur savoir-faire
de la concurrence. « Au final, quel que soit le secteur, nous faisons tous le
même métier », ajoute Jean-François Salaün. Quant à leur évolution personnelle
au sein de leur entreprise ou du secteur, le sujet est un rien tabou. Leur
métier, qu'ils considèrent souvent comme une passion, les happant trop au
quotidien pour qu'ils songent, officiellement du moins, à leur carrière. Mais
François Nédey le reconnaît lui-même : « La culture de la rigueur, du contrôle
des données, le goût du pilotage sont autant de qualités qui peuvent aider à
évoluer vers un poste de direction générale. »
Les relations avec les prestataires
Ce sont, bien souvent, d'autres salariés qui, sous la houlette du responsable de base de données marketing, se chargent de réaliser ces tâches. « C'est un travail quotidien de fourmi », assure Jean-François Salaün. D'autant qu'aux Editions Lamy, des opérations de télémarketing sont menées en permanence par des prestataires extérieurs pour vérifier les adresses des particuliers ou les Siret des entreprises, pour enrichir la base des fonctions professionnelles de ses abonnés ou de ses prospects. « Mon travail consiste principalement à manager les prestataires extérieurs avec qui nous travaillons, et vérifier la qualité des adresses louées, poursuit Jean-François Salaün. Mes fonctions consistent aussi à assurer la liaison avec les équipes informatiques dont une partie du temps est consacrée justement à intégrer les nouvelles données dans notre base et à la valider. On pourrait croire qu'il s'agit-là d'une goutte d'eau dans l'océan. Mais aujourd'hui, un numéro de téléphone bien renseigné, c'est peut-être une vente demain. » Son emploi du temps s'avère bien chargé. La fusion, l'année passée, de la base de données de Liaisons Sociales avec celle des Editions Lamy a alourdi sa charge professionnelle. « On a fait un gros travail de rapprochement entre les deux bases. Lorsque l'on identifiait un groupe de populations communes, nous les fusionnions. Nous avons choisi d'acheter le logiciel de déduplication des adresses AIMS pour mieux les nettoyer. »