DossierLes précurseurs du retail ouvrent la voie au commerce connecté
1 - Le magasin au centre du dispositif cross canal
Face à la concurrence des sites marchands, les enseignes réagissent : elles proposent un parcours client omnicanal fluide et enrichi.
Nous sommes en 2015 : Zappos, le site américain de vente de chaussures fondé en 1999 inaugure son premier flagship à Las Vegas. " Avec un positionnement proche de celui de Colette, sans stock, un choix de références réduit, et un système entièrement digitalisé (pas de caisse, paiement sur mobile, écran tactile, vitrine interactive), explique Dominique Piotet, président de Rebellion Lab, spécialisé dans le conseil en stratégie digitale. Mais surtout, ce point de vente bénéficiera de toute l'expertise possible en matière de CRM, qui ira jusqu'à la reconnaissance faciale. Autrement dit, le client, en pénétrant dans le magasin, sera typologisé (âge, sexe...). De plus, s'il s'est enregistré sur la page Facebook de Zappos, le vendeur pourra récupérer sa photo, donc l'identifier. Et aboutir à une relation client unique. " Voilà le futur... tout proche. En attendant, les paris sont lancés. Sites marchands contre brick and mortar, lesquels sortiront vainqueurs ?
" Le match a démarré à l'avantage des premiers, note Vincent Mayet, coCEO d'Havas 360. Considérés comme de sérieux concurrents par les enseignes et les marques, en dérégulant les prix, les opérations promotionnelles et la manière de communiquer, les Amazon, PriceMinister, Vente-privee et consorts ont connu un succès immédiat. L'innovation était totale. Les dogmes du commerce traditionnel étaient tombés un à un. " Dépendantes de leur schéma d'organisation, les enseignes ont mis du temps à réagir. Mais depuis, elles se sont rattrapées.
" Elles développent désormais une offre plus globale et plus compétitive, faisant tomber les meilleurs arguments des pure players : les prix sont suivis en live sur le Web et répercutés à la baisse instantanément dans les magasins. L'offre s'est élargie jusqu'à la vente de produits d'occasion que l'on voit poindre sur les sites des grandes enseignes d'électroménager, par exemple. La disponibilité des produits est totale. La relation client est désormais omnicanal ", affirme-t-il.
Le shopping devient social
Et les enseignes vont même jusqu'à converser avec leurs clients, notamment via les réseaux sociaux. Une innovation majeure. À ce petit jeu-là, Sephora sort grand vainqueur, toutes catégories confondues. Aujourd'hui, un client qui aime une marque n'hésite pas à devenir ambassadeur et à faire la promotion des articles auprès de ses amis, notamment sur les réseaux sociaux.
Bienvenue dans l'ère du social shopping, si chère au leader de la beauté. " Cela permet une conversation continuelle sur la beauté, les produits, les conseils maquillage ", commente Elizabeth Anglès d'Auriac, directrice marketing de Sephora. L'enseigne détient plus de 45 communautés dans le monde et plus de 9,4 millions de fans sur Facebook. De fait, les réseaux sociaux constituent à la fois une source d'inspiration, un service client, une étude de marché, un lieu d'échange d'idées et un lab de créativité. " Ce qui nous a notamment permis de détecter les besoins et de réagir en fonction. Ainsi, des échanges avec nos clients sur les cadeaux achetés chez Sephora ont contribué au développement de la Gift Factory, nos fameux bars à cadeaux ", poursuit-elle.
On le voit, la connaissance client apportée via les réseaux sociaux mais aussi par l'étude des comportements en magasin ouvre la voie de la personnalisation. " Par exemple, avec le consentement du client, les accords parfaits de fond de teint proposés par notre nouvelle application Color Profile en magasin seront les teintes proposées en marketing direct ", précise-t-elle. Cette nouveauté complète le dispositif plus que performant du conseil sur mesure permis par MySephora. " C'est un formidable outil de conseil personnalisé fondé sur la connaissance client ", confirme Elizabeth Anglès d'Auriac. Concrètement, les équipes en magasin peuvent accéder aux commandes antérieures d'un client pour mieux le conseiller lors de sa visite en boutique.
Des lieux de vie et non plus des lieux de vente
Mais au-delà de ces prouesses techniques, les magasins se transforment. Le commerce pur et dur disparaît au profit de la notion de service, de facilitateur d'achats, de fournisseur de solutions. " Les distributeurs doivent supprimer tout ce qui pourrait gêner l'individu dans son plaisir de consommer. Apple a très bien compris cela : les vendeurs peuvent encaisser les clients sans les faire passer à la caisse centrale ", argumente Bruno Auret, directeur de l'agence Raymond Interactive (groupe Saguez). La notion de service devient primordiale. Par exemple, dans le prêt-à-porter on ne parlera plus de vente mais de mise à disposition de vêtements... pour changer de look, par exemple. Cela implique un nouveau business model et donc, un bond considérable pour les distributeurs. " À terme, j'imagine que les chaînes disposeront de réseaux plus petits mais uniquement composés de magasins expérientiels ", avance Bruno Auret.
Le changement dans la mode se révèle particulièrement frappant. Nombre de boutiques se muent en effet en "appartements". À l'image de Desigual, précurseur en la matière, qui a créé son format Dshop. " C'est un moyen pour nous de présenter tout notre univers, précise Borja Castresana, le directeur marketing de l'enseigne espagnole. Des produits pour le bain, pour la maison, pour faire du sport, même un parfum d'ici la fin de l'année. " Une démarche d'autant plus originale que l'enseigne mère, connue pour ses vêtements colorés, s'est développée à une vitesse phénoménale : son chiffre d'affaires a été multiplié par 90 en dix ans à peine ! Bien plus petite que Zara, la nouvelle marque hippie fashion est pourtant plus distribuée aujourd'hui dans le monde que la redoutable marque-phare d'Inditex. Et sa vitesse d'exécution s'applique aussi à Dshop. " Nous ouvrirons une centaine de Dshop en 2014 ", assure Borja Castresana.
Autre idée, celle d'Uniqlo, qui a imaginé un concept Biclo au Japon. Quèsaco ? Il s'agit d'un magasin sur quatre étages qui présente les collections de la marque ainsi que celles de Bic Camera, l'équivalent de Darty local ; ce qui donne des fers à repasser au rayon des chemises, des machines à café en face des jeans, des réfrigérateurs au rayon tee-shirts... " Mais la démarche a du sens, comme l'explique Berndt Hauptkorn, CEO d'Uniqlo Europe. Au Japon, l'enseigne dispose de plus de 1 000 magasins. Son réseau arrive à saturation. Donc pour continuer de surprendre le consommateur, la marque a eu l'idée de combiner deux univers marchands. " Un exemple unique au monde.
On le voit, l'innovation finalement prend de multiples visages. Et les distributeurs traditionnels qui ont su transformer leur modèle conservent encore quelque 90 % du commerce.
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