La force du "Why": faire des mythes une réalité
2020 s'annonce comme l'année du "purpose" pour les marques. Cet extrait du "Bûcher des vérités", écrit par Xavier Desmaison et Guillaume Jubin chez Hermann, présente les enjeux du "why" pour séduire ou créer le besoin du public, cultiver son image disruptive ou simplement créer une marque mythique.
Je m'abonneL'essentiel, c'est qu'il [Elon Musk. Voir l'extrait précédent] s'appuie sur la force du "pourquoi", une stratégie de communication qui s'avère redoutable pour séduire le public et consolider sa proposition de valeur. Mise en lumière par le consultant Simon Sinek, qui l'a baptisée "golden circle" (cercle d'or) de l'innovation, cette technique d'argumentation repose sur une doctrine simple: les gens n'achètent pas ce que vous faites (le "what"), ni comment vous le faites (le "how"), mais ce pourquoi vous le faites (le "why"). Ainsi, "Nike ne se contente pas de vendre des articles de sport mais promet au consommateur de se dépasser et d'éprouver le plaisir de la compétition; Walt Disney ne propose pas seulement des dessins animés et des parcs d'attractions mais promet de rendre les gens heureux; McKinsey n'offre pas seulement des prestations de conseil mais promet aux entreprises et aux gouvernements de bâtir leur réussite 16". Pour durer et devenir un leader de son secteur, une entreprise a besoin d'un core purpose - une raison d'être inatteignable qui reflète les motivations idéalistes des collaborateurs à participer au travail de l'entreprise (dans les années 1990, Walt Disney avait par exemple pour mission de rendre les gens heureux) et d'un Big hairy audacious goal (BHAG) 17, idées formulées dès les années 1990 par les universitaires James C. Collins et Jerry I. Porras. Ce dernier but, pari risqué mais atteignable, est un catalyseur clair et mobilisateur de l'esprit d'équipe d'une organisation. Au début du xxe siècle, la Ford Motor Company avait comme but ambitieux de démocratiser l'automobile, tandis que dans les années 1940, Stanford University souhaitait devenir le Harvard de la côte Ouest.
L'organisation doit se doter d'un "coeur idéologique" à partir duquel elle déclinera ses produits, ses services, ses messages et son fonctionnement interne. Elle doit créer un substrat inconscient qui dépasse ses simples activités et confine à la légende. Par exemple, Apple ne vend sans doute pas les Smartphones avec le meilleur rapport qualité/ prix et il n'est pas certain que sa technologie soit tellement supérieure à celle de ses principaux concurrents; l'expert de la disruption, Clayton M. Christensen, avait même prophétisé en 2007 et en 2012 que ce produit n'avait aucun avenir 18... Cependant, les consommateurs qui choisissent la marque à la pomme sont intimement convaincus qu'ils ont accès à une expérience hors du commun et qu'ils intègrent une communauté de privilégiés, délivrés des pesanteurs de la complexité technologique par l'ergonomie et le génie des produits Apple. Il suffit que 15 à 20% des acheteurs potentiels de Smartphones et d'ordinateurs adhèrent à cette croyance pour que la multinationale de feu Steve Jobs prospère. Une nouvelle fois, on notera qu'il est inutile de vouloir toucher 50% voire 100% des personnes: avec des produits très clivants (ne serait-ce que par leur positionnement haut de gamme), on peut capt(iv)er un public suffisant pour fonder un empire et donner naissance à une marque iconique. De ce point de vue, le Think different est-il un précepte à risque ou la meilleure voie à suivre afin de se démarquer ?
Pour gagner la "guerre des récits 19" dans un environnement où la concurrence entre discours n'a jamais été aussi forte, il est capital de forger des mythes en ciselant des récits et des messages qui émergent du maelstrom informationnel. C'est un travail de fond auquel devraient s'atteler toutes les entreprises et toutes les formations politiques. Il ne faut jamais oublier, comme l'écrit Yuval Noah Harari, que les mythes sont la "glue" de nos sociétés et la condition de leur pérennité: "La fiction n'est pas mauvaise. Elle est vitale. Sans histoires communément acceptées à propos de choses comme la monnaie, les États ou les sociétés, aucune société humaine ne saurait fonctionner. Impossible de jouer au football à moins que tout le monde ne croie aux mêmes règles artificielles; impossible de profiter des avantages des marchés et des tribunaux sans faux-semblants du même genre 20". Et impossible de vendre des téléphones portables plus de 1 000 euros sans une forme de rêve irrationnel derrière l'achat du produit... Le marketing de "l'empowerment", qui promet de réveiller le héros qui sommeille en chaque citoyen ordinaire, a bien intégré cette dimension.
Les auteurs
Cet extrait est issu de l'ouvrage "Bûcher des vérités", écrit par Xavier Desmaison et Guillaume Jubin chez Hermann. Xavier Desmaison est président d'Antidox, groupe de conseil en stratégie de communication. Il préside par ailleurs Civic Fab, une association dédiée à la lutte contre la "fake news" sur internet. Guillaume Jubin est associé fondateur du cabinet de conseil Wemean.