[Tribune] Mode: après la crise, comment renouer avec l'expérience client?
Dans le secteur de la mode, la qualité des expériences en ligne est devenue cruciale avec la crise actuelle. Cela implique des changements stratégiques et des investissements technologiques de la part des enseignes. Une tribune de Daria Plotkina, chercheuse à l'EM Strasbourg Business School.
Je m'abonneLe confinement a pris fin mais l'expérience des clients dans les boutiques de mode, à nouveau ouvertes, se révèle très pauvre. Acceptés au compte-goutte, masques sur le nez, mains désinfectées, ils doivent circuler en file et faire confiance aux vendeuses sommées de mettre en quarantaine les habits essayés pour éviter la contamination. Un vrai défi pour les petites boutiques aux stocks modestes, une catastrophe pour les magasins dédiés aux touristes étrangers et une situation qui risque de durer. Dans un tel contexte, les marques qui ont investi dans la qualité de l'expérience client en ligne sont les seules à tirer leur épingle du jeu. Déjà, avant le confinement, les ventes de prêt à porter via les smartphones étaient le seul segment en croissance d'un marché globalement morose. Le mouvement va s'accentuer, entraînant un changement profond des règles du jeu.
Nos recherches ont montré notamment que le recours à des mannequins systématiquement très jeunes et filiformes, devient une pratique contreproductive avec le développement de la vente via mobiles. Les clientes en ligne veulent pouvoir se projeter dans les habits qu'elles regardent sur leur petit écran et apprécient donc de les voir porter par des modèles qui leur ressemblent. Nous avons établi ainsi que les marques qui faisaient appel à des mannequins de morphologies, de poids, d'ethnies, voire d'âges diversifiés, obtenaient aujourd'hui plus d'adhésion avec davantage d'intentions d'achat que les marques concurrentes*. Les marques de luxe ont saisi la tendance et commencent aussi à jouer l'inclusivité en faisant défiler sur les podiums quelques mannequins "atypiques" dont les comptes Instagram ont montré la capacité de séduction.
Mode et technologies
Mais c'est le recours aux technologies avancées qui va désormais faire la différence. Les Fashion Weeks, programmées en juin à Londres, puis en juillet à Paris et Milan, auront finalement lieu par écrans interposés. Pas de people, autour des podiums, pas de nuées de photographes, pas d'ambiance survoltée. Pour la première fois, il s'agira de susciter admiration et désir chez les consommateurs grâce à des défilés auxquels personne n'assistera. On peut imaginer que les marques de luxe sauront rendre l'expérience en ligne exceptionnelle, en donnant des accès privilégiés à certains pour faire rêver tous les autres, et en multipliant les effets spéciaux. Plusieurs d'entre elles ont déjà appris à impressionner grâce à leurs applications innovantes. Hermès fait vivre à ses clients des expériences en réalité augmentée quasi oniriques. Hugo Boss leur propose des shows personnalisés sur grand écran. Des enseignes de prêt à porter ont aussi su investir. Zara réussit à donner à voir dans ses boutiques, via les smartphones, des mannequins qui virevoltent entre les rayons. Une marque comme Asos permet même à ses clients de faire défiler des modèles à l'endroit où ils braquent leur smartphone, dans leur salon par exemple ou leur chambre à coucher... Des opérations séduction faites pour divertir, qui permettent à ces enseignes pionnières de gagner du terrain et de la proximité avec les consommateurs**.
La révolution très attendue, cependant, est celle de l'essayage virtuel des vêtements, grâce à des miroirs magiques truffés de capteurs capables de renvoyer aux clients l'image de leurs corps vêtus des habits sur lesquels ils ont simplement cliqué. Les premières tentatives ne datent pas d'hier, mais les résultats ont longtemps été décevants. Images trop raides, artificielles, qui ne remplaçaient pas de manière satisfaisante un essayage classique. La réalité augmentée est plus performante lorsqu'elle se centre sur des zones du corps restreintes, comme le visage. Pas étonnant si le secteur des cosmétiques a pu montrer la voie. L'Oréal, par exemple, propose de manière désormais banalisée à ses clientes de tester des rouges à lèvres, en cliquant sur les coloris présentés sur leur mobile, pour voir l'effet de telle ou telle nuance sur leur visage. Youtube, Pinterest ou Amazon s'apprêtent à lancer ce même type de services. Des opticiens permettent aussi aux consommateurs d'essayer des lunettes face à l'écran, en cliquant sur le modèle de leur choix qui s'affiche immédiatement sur leur nez. Pour le secteur de la mode, dans ce contexte de crise sanitaire qui rend les déplacements difficiles et les essayages en cabine anxiogènes, ce type de technologie est devenu hautement désirable. D'ici quelques années, gageons qu'on essaiera une robe ou un pantalon juste en se plaçant devant un écran. Et, avant d'acheter, on enverra son image sur les réseaux sociaux pour quêter l'approbation d'une mère ou de milliers d'amis. Amazon a breveté récemment un miroir magique qui rendrait possible ces essayages à distance.
*"Me or just like me? The role of virtual try-on and physical appearance in apparel M-retailing", Daria Plotkina, Hélène Saurel, Journal of Retailing and Consumer Services, 2019
** "The effect of virtual reality mobile applications on shopping experience", Daria Plotkina, John Dinsmore, Academy of Marketing Science annual congress, 2019
À lire aussi :
- Pourquoi le luxe doit passer à l'omnicanal