Pourquoi le journalisme n'aura jamais de "dilemme social"
C'est un plaidoyer en faveur de la presse que signe, en exclusivité, Adam Singolda. Le fondateur et CEO de la plateforme publicitaire Taboola met en garde : seul le contenu publié par des éditeurs participe à la protection de la démocratie, contrairement à celui partagé sur les réseaux sociaux.
Je m'abonneLe coeur du problème abordé dans le récent documentaire Netflix "Derrière nos écrans de fumée" repose sur un message fondamental: la collecte excessive de données personnelles a donné aux réseaux sociaux le pouvoir de manipuler nos comportements, nos humeurs et même certaines de nos valeurs fondamentales. C'est tout aussi addictif que la nicotine: une fois essayé, cela rend les gens dépendants.
En regardant de plus près, on remarque alors que ce pouvoir s'est construit autour d'un objectif commun à l'ensemble des réseaux sociaux: nous faire passer de plus en plus de temps sur leurs plateformes. Et ce, grâce à des algorithmes néfastes, des designs addictifs et des tactiques sophistiquées de FOMO, Fear Of Missing Out ou la peur de rater quelque chose.
À noter que Facebook a publiquement contesté ces affirmations, en précisant que sa stratégie est axée sur la valeur des contenus et non sur la dépendance à ceux-ci, et que le documentaire s'appuierait sur les commentaires d'anciens employés qui ont quitté l'entreprise depuis de nombreuses années. Une vision donc faussée de la situation actuelle.
On peut d'ailleurs constater que sur Internet, certains se battent contre les réseaux sociaux, à l'égard des sites d'actualités qui souhaitent obtenir la même attention pérenne des internautes. La seule différence est que le journalisme n'aura jamais "un dilemme social". Lorsque vous visitez les sites du Figaro ou du Point, personne ne connaît votre identité. Les sites d'actualités ne peuvent voir aucune information personnelle à votre sujet. Ils ne connaissent pas votre nom, votre âge, votre sexe, vos amis, vos passions, ce qui signifie qu'il n'y a aucune identité à manipuler.
Conscience et démocratie
Que nous aimions ou non les points de vues qui nous sont suggérés sur les sites d'actualités, ils sont écrits et proposés par des humains, sans contrôle gouvernemental et sans contrôle de machines. Contrairement aux réseaux sociaux, où le flux optimise automatiquement les contenus, dans le but de capter davantage notre attention, et finalement, notre conscience.
L'objectif d'une équipe éditoriale n'est pas seulement de créer et suggérer du contenu sans le contrôle de tiers, mais aussi de filtrer les interférences. L'équipe est qualifiée pour prendre des décisions sur les informations à prioriser pour la situation économique du pays, du monde du sport, des divertissements, du commerce, etc.
Les équipes de rédaction sont le lien entre l'information et le peuple, et la démocratie est un système basé sur le principe du pouvoir "du peuple, par le peuple, pour le peuple". Proposer aux citoyens un éventail d'opinions et les éduquer sur ces opinions, est la clé de notre avenir. C'est pourquoi Internet est important: il soutient notre droit fondamental d'être éduqué, de préserver notre conscience et d'éviter d'être manipulé.
Des calories vides néfastes
Le journalisme, par définition, possède le concept de sérendipité ancré en lui. Vous observerez de nouvelles idées et lirez des points de vues différents sur les sites d'actualités, alors que les réseaux sociaux sont essentiellement des machines alimentées par l'IA et conçues pour être des éternelles répétitions.
Tout média aimerait que les internautes s'attardent une minute supplémentaire sur leurs sites, afin de les inciter à lire plus, à interagir ou même à s'inscrire à leur newsletter. Lorsque vous accordez plus d'intérêt à des sites d'actualités, et si vous passez plus de temps sur des sites tels que La Dépêche ou Ouest France, cela sera toujours un moment significatif. Vous apprendrez probablement quelque chose que vous ne saviez pas encore, ou un nouveau point de vue sur un sujet qui vous tient à coeur. Les réseaux sociaux se nourrissent du besoin d'approbation sociale de chacun et du besoin d'interagir afin d'influencer vos actions. Cela n'existe pas sur les sites d'actualités.
Consommer du contenu sur les réseaux sociaux équivaut à consommer des "calories vides", alors que le temps passé à consommer du contenu fondé sur l'éthique du journalisme s'apparente à un repas bien équilibré. Ce n'est pas facile de choisir de manger du brocoli à la place des aliments sucrés, mais nous savons tous ce qui est mieux pour notre santé. Un conseil, choisissez le brocoli.
Il n'y a pas de dilemme. Il est important d'admettre lorsque nous avons perdu le contrôle, et comme le chante Nelly, le rappeur américain, dans sa chanson "Dilemma" (Dilemme) :"No matter what I do (Peu importe ce que je fais), All I think about is you (Je ne pense qu'à toi)"
Nous sommes accros, et nous ne pouvons plus nous passer des réseaux sociaux.
Pendant que le monde traverse l'une des crises les plus importantes de tous les temps, une question essentielle émerge des entreprises et individus "Faisons-nous tout ce qui est dans notre pouvoir pour rendre le monde meilleur? Que pourrions-nous faire différemment?"
Le chemin que nous avons choisi nous mènera à la guerre civile et à des individus déprimés, à moins que nous fassions quelque chose... Le journalisme et Internet sont essentiels à la démocratie, à notre éducation et à la paix. Nous avons besoin d'actualités locales et internationales, de sites spécifiques à des secteurs et passions, et il faut qu'Internet reste fort. Parce qu'il le faut, je reste positif à l'idée qu'Internet prospérera car nous saurons l'apprécier à la juste valeur de ce qu'il nous offre.
C'est également le meilleur moment pour réfléchir à "notre temps", c'est-à-dire la façon dont nous le passons, à l'importance d'Internet, mené par des humains et non par des machines.
Je n'ai aucun dilemme, je vote pour Internet et le journalisme.
Adam Singolda est le fondateur et CEO de la plateforme publicitaire Taboola.