[#MarketingA20ans] Mercedes Erra: "Nous sommes dans l'âge d'or de la persuasion"
Quelle époque vivons-nous? Il me semble que nous sommes à un moment de l'histoire humaine où la communication est montée d'un cran en termes d'emprise sur le monde. Le fait que les communicants - mot que je n'aime guère, car il semble désigner une race à part, peu fréquentable, alors que tout être est communicant - soient vivement décriés en est d'ailleurs un symptôme. On ne s'attacherait pas à les pourfendre si leur influence sur le monde n'était pas réelle. Faut-il le déplorer? Je ne crois pas. Que serait un monde de faible communication, un monde où nous ne chercherions pas à nous persuader les uns les autres de quelque chose? Ennui, tristesse et, même, angoisse. Il me semble que le commerce entre les hommes, au sens conversationnel autant que marchand, est toujours passé par là, de Palmyre à Palo Alto.
Parce que l'homme n'est pas autosuffisant, que sa vie dépend de beaucoup d'autres, il aura toujours des besoins pour lesquels d'autres auront des solutions, marchandes ou non, et qui exigeront qu'il interagisse, qu'il communique d'une manière ou d'une autre.
Croissance et force de persuasion sont liées
Nous ne pouvons pas asséner notre propre vérité sans tenir compte de celle des autres.
Dans ce tableau, la persuasion s'est toujours invitée. Et que dire d'Internet, où chaque individu découvre son propre pouvoir: mise en scène massive de soi, "selfisation", partage, peoplisation, divulgation d'opinions, indignation et réactions diverses, la communication et sa petite soeur, la persuasion, sont à l'oeuvre. Nous avons basculé et c'est probablement irréversible. Mieux vaut alors s'y faire.
Se dire que le développement passe par là, par exemple. Il existe en effet un rapport immédiat entre la croissance et la force de persuasion des acteurs économiques. C'est pourquoi, en France, nos entreprises ont tellement besoin de communiquer. Beaucoup sont championnes, et faute de le dire avec force, se privent d'une dynamique vertueuse.
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Toute entreprise démarre d'ailleurs à partir d'une logique de persuasion, d'emblée nécessaire pour rallier les quelques partenaires qui vont s'emballer pour votre projet et y contribuer par leur énergie, leurs moyens, leur talent. Les start-uppers du monde entier le savent bien. Dans ce monde où la communication est prégnante et le bruit permanent, la persuasion devient un art exigeant. En la matière, je crois d'abord à l'écoute. Comment persuader quelqu'un sans l'écouter, savoir où il en est ? C'est une forme d'empathie, de compréhension, qui doit s'exercer. Nous ne pouvons pas asséner notre propre vérité sans tenir compte de celle des autres.
Cohérence du discours
Cela m'a toujours guidée en publicité. Contrairement à ce que l'on entend volontiers sur son pouvoir censément manipulatoire, l'adage populaire prévaut là comme ailleurs : on ne mène pas à boire un âne qui n'a pas soif. Alors mieux vaut savoir où se nichent les désirs et aspirations de ses publics.
Je crois ensuite au sens : tout discours, corporate ou produit, est porteur de sens, et même si les canaux sont multiples, la cohérence doit prévaloir. Plus les expressions sont liquides, plus le sens doit être solide. C'est l'exigence qui pèse sur la ligne éditoriale des marques comme sur celle des hommes politiques. Cela veut dire choisir, prendre un angle, renoncer. En bref, cela requiert surtout du courage. Verra-t-on cette belle valeur ressurgir au coeur du business dans les 20 prochaines années ?
L'auteur
Mercedes Erra est fondatrice de BETC, agence française de publicité, et présidente exécutive de Havas Worldwide. Diplômée de HEC et de la Sorbonne, elle enseigne en troisième cycle (DESS de marketing et communication des entreprises) à l'université de Paris 2 (Assas). Elle est souvent consultée sur des sujets de connaissance du consommateur et de stratégie des marques.
Suivez-la sur Twitter @ErraMercedes
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