Et si le ver était dans le fruit ?

L'article qu'emarketing a récemment consacré à Nicolas Chabanne et à ses "Gueules Cassées" devrait être pour nous, marketers, à la fois une source d'inspiration et... d'expiation! D'un point de vue strictement professionnel, je ne peux que me réjouir de la nouvelle démonstration opérationnelle de la puissance marketing d'une mascotte. Cette pomme édentée est graphiquement une réussite et respecte tous les codes du succès: couleurs primaires, sympathie, sourire...

Soyons néanmoins réalistes. Le succès de cette initiative, que je vous invite par ailleurs à soutenir, tient également pour beaucoup à la campagne impressionnante menée par M6 l'année dernière sur le gaspillage alimentaire. Mais aussi à la grande distribution, qui s'achète ainsi une bonne conscience tout en retenant dans ses rayons une partie de la population qui malheureusement souffre de plus en plus économiquement et qui profite ainsi de remises de 30 à 50%.

Il est probable également que l'action militante et responsable reçoive un écho de plus en plus favorable chez les consommateurs. Restons calmes, l'eau polluée continuera longtemps de couler sous les ponts avant que les clients ne nous imposent vraiment des pratiques éthiques. Je ne sais pas, d'ailleurs, quelle peut être l'élasticité-prix de ces produits ainsi labellisés. La victoire viendra lorsqu'ils seront vendus au même prix que les autres, un jour.

À quand un prix uniforme pour les beaux et les moches ?

Car c'est bien là que le bât blesse. Si on réfléchit bien, comment pourrait-on définir un individu qui achète un produit 30% plus cher sans gain de qualité, simplement parce que l'emballage est plus joli? Les taquins me répondront "un acheteur Apple" et c'est vrai que tout possesseur d'iMac s'est dit que la qualité de l'emballage valait bien le prix de la machine, même si tout ne rentrait pas dans la poubelle jaune !

Plus sérieusement, qui expose ses tomates dans un salon pour n'exiger que des calibres bien uniformément rouges par sélection génétique? Qui donc épluche ses patates en gants blancs pour refuser d'acheter des bintj (prononcez ("binche") pour sa purée, tout ça parce qu'il y a encore de la terre dessus? Pourquoi nos enfants n'imaginent-ils pas manger une banane tachetée alors que l'intérieur est encore impeccable et que le fruit n'en est que meilleur?

C'est là que sonne l'heure de l'expiation. La faute, chers collègues, nous incombe. Nous qui n'avons d'obsession que l'"expérience client" et qui sublimons le déballage - pardon, la séquence découverte d'un produit- avec un packaging extrêmement qualitatif, noir mat de préférence avec des pliures alambiquées... Nous qui avons réussi à décréter que le beau était lisse, sans aspérité et pantone, et qu'il n'y a pas d'autre beau que notre beau... Nous qui n'avons même réussi le tour de force de faire croire que le beau, et lui seul, est bon!

Si je laisse certains y voir la catharsis d'un marketing sorti de l'adolescence et qui découvre l'écoresponsabilité, je crois que notre responsabilité est quand même en partie engagée dans cette affaire et que nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur les conséquences de nos pratiques et nos concepts sociétaux. Libre alors à chacun de nous d'adopter ou non des pratiques plus éthiques, c'est-à-dire des pratiques dont la finalité est le bien.

Biographie:

François Gravet est président de brand&performances, société de conseil en stratégie marketing et secrétaure général de l'Institut de l'éthique, association Loi de 1901, dont l'objectif est de promouvoir les pratiques éthiques dans l'entreprise.