Tribune, Kurt Salmon : "Investir de nouveaux espaces stratégiques pour redynamiser le marché de la vidéo" (partie 2/2)
Jusqu'à présent le marché français a beaucoup évolué en réponse à la pression concurrentielle - cristallisée quasiment intégralement autour de Netflix pendant des années. Ainsi des offres de SVoD sont-elles apparues, d'avantage par anticipation de l'arrivée de ce nouveau concurrent, que pour répondre aux nouveaux visages de la demande.
Une nouvelle façon d'envisager la demande, comme une combinaison d'une cible donnée et d'un usage particulier
A l'instar de la demande spécifique des enfants, il existe une demande particulière autour des jeunes, par exemple, qui regardent un télé-crochet musical sur TV (en live ou replay) et aimeraient bien pouvoir disposer de la vidéo du "passage" où leur chanteur favori a réalisé sa prestation. De la même façon que ce public est capable de dépenser en envois de SMS pour soutenir son candidat, il est en mesure d'acheter, sous réserve d'un prix adapté, ce "bout" d'émission. Et cette prestation ne sera généralement pas disponible sur YouTube, une des plateformes préférées des moins de 25 ans, pour des questions de droits - elle sera disponible au mieux en replay dans son intégralité (et non par séquence) et pendant quelques jours seulement.
De même, les afficionados de bricolage ou de cuisine qui suivent des émissions ou des télé-crochets dédiés à ces thématiques sont en demande de ce genre de services. Typiquement, aujourd'hui, une recette réalisée par un grand chef lors d'une émission culinaire sera disponible dans sa version écrite sur le site web de la chaîne ou dans sa version vidéo en replay, pendant quelques jours seulement, ce qui va à l'encontre de l'usage premier d'une recette : pouvoir y accéder, et en l'espèce accéder à son "tutoriel" vidéo, de façon espacée dans le temps quand on réalise un plat, et ce dans la cuisine. Et l'on pourrait citer encore de nombreux exemples, pour lesquels l'offre ne répond pas, ou pas spécifiquement, à la demande d'une cible et d'un usage.
Créer un nouveau modèle
Les acteurs traditionnels du marché de la vidéo en France ont des atouts clés à valoriser afin de répondre à cette demande... à condition de créer un nouveau modèle. De telles offres n'existent ni en France ni ailleurs. Elles requièrent deux éléments clés : d'une part un nouveau modèle, basé sur du téléchargement définitif - ou du " à la demande " plus souple - couplé à un "pricing" adapté, en d'autres termes des prix suffisamment attractifs pour stimuler la demande et pallier la tentation du piratage notamment. D'autre part, elles demandent également - s'agissant des émissions "de flux" notamment - de capitaliser sur la richesse de production des chaînes, avec d'inévitables questions de droits à traiter.
Enfin, si la règlementation n'est pas une condition sine qua non de la réussite du modèle, elle peut en revanche considérablement accélérer son adoption. Ainsi, aux Etats-Unis, le marché de l'achat définitif de vidéos (Blu-Ray et EST) a été largement soutenu par une évolution règlementaire de taille : une nouvelle fenêtre d'exclusivité de trois semaines pour l'EST, positionnée avant la fenêtre VoD. Cela couplé avec l'essor du standard "UltraViolet" explique la nouvelle dynamique du marché de l'EST, qui a connu un essor de 43% entre mars 2013 et mars 2014 selon GfK. En effet, UltraViolet est un nouveau standard numérique qui permet d'obtenir une version digitale d'un film ou d'une série achetée en DVD, Blu-ray ou VoD. Cette version peut ensuite être visionnée sur tous les appareils du foyer (jusqu'à 6 utilisateurs), en streaming et en téléchargement, et ce gratuitement. Ce standard a déjà séduit plus de 16 millions d'américains. En France le service a été lancé en toute discrétion fin 2013, avec trois grands studios (Warner, Paramount et Universal) mais sans accord avec des plateformes de VoD françaises, et comptait déjà 70 000 utilisateurs au premier semestre 2014[1] .
Plus généralement, il est intéressant de noter que les acteurs dits traditionnels ne sont pas en reste aux Etats-Unis : dans les pas de Verizon, le câblo-opérateur Comcast (par ailleurs actionnaire de chaînes de télévision) est entré sur le marché de l'EST en novembre dernier, contribuant aux très bons résultats du marché sur le début d'année 2014 (transactions en EST en augmentation de 68% au premier semestre 2014 selon NPD Group).
Pour les utilisateurs , l'EST apparaît comme une solution très attrayante en cela qu'elle répond au besoin de "propriété" de certaines cibles, au besoin de visionnage illimité pour d'autres et qu'en plus elle permet de capitaliser sur les supports physiques ou digitaux comme dans le cas d'UltraViolet. A cela s'ajoute un élément déterminant : l'EST permet de visionner le contenu hors ligne. Et l'on en perçoit bien l'intérêt lorsqu'il s'agit de divertir les enfants lors de voyages en voiture ou en train par exemple. Ou bien, si l'on reprend le "tutoriel" vidéo d'une recette réalisée par un chef, il peut être intéressant d'y accéder depuis sa tablette si l'on veut la reproduire dans une maison de campagne qui ne disposerait pas d'accès internet par exemple. De manière globale, l'offre pourrait vraiment rencontrer la demande autour de formats réinventés (ex. : "captures" d'émissions, formats courts..), sur des modèles qui s'y prêtent comme l'EST pour les exemples précités, avec un prix nécessairement attractif. A cet égard, l'entrée de nouveaux acteurs sur ce marché pourrait favoriser des niveaux de prix plus accessibles pour les consommateurs, et ainsi le développement du secteur.
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En effet, pour les acteurs traditionnels (FAI, chaînes, ...) du marché français de la vidéo au sens large, c'est une opportunité majeure d'investir un nouvel espace stratégique tout en valorisant leurs atouts clés. En effet, même s'il n'est que très peu mis en avant, le modèle EST se développe en France (Orange, FilmoTV ou d'autres commencent à muscler leurs offres). Ainsi, de nouvelles offres reposant sur un contenu (ex. émission) et un modèle (ex. EST) à même de rencontrer une cible (ex. adolescents) et un usage (ex. visionner une prestation d'un artiste et en disposer par la suite) représentent une réelle opportunité stratégique de valoriser des contenus - notamment "locaux" et produits par les chaînes - qui ne l'étaient pas jusqu'à présent sur les fenêtres "à la demande".
Ces initiatives, par la mise en place de modèles plus agiles, ne bouleverseront sans doute pas le marché mais pourraient bien le redynamiser tout en tirant profit de cette "exception française" qui est la nôtre.
(1) ZDNet 07/07/2013
Retrouver ici la première partie de cette tribune de Kurt Salmon sur emarketing.fr
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