Aides interpelle les candidats à la présidentielle
"Seront-ils les candidats de la fin du Sida ?" Aides décrypte leurs programmes et sensibilise l'opinion dans la presse. Christian Andreo, directeur des actions nationales, de la communication, de la collecte et du plaidoyer, explique l'évolution du modèle de l'association.
Quelle est la particularité d’Aides ?
Nous nous définissons comme une association communautaire qui rassemble des personnes directement touchées par le VIH ou les hépatites, ou sensibilisées à cette cause. Les militants sont des salariés ou des bénévoles. Dès l’origine, Aides s’est appuyée sur l’engagement de la société civile, nous ne "recrutons" pas de professionnels de soins ou de psychologues. Nous concentrons notre action sur les publics les plus vulnérables – homosexuels, usagers de drogues, immigrants étrangers… Nous n’intervenons pas dans les écoles, pas plus que nous ne distribuons de préservatifs gratuits lors des manifestations étudiantes. Notre réseau de proximité – plus de 70 implantations en France métropolitaine et outre-mer – mène des actions de soutien aux personnes qui vivent avec le VIH : groupes de parole, permanences à l’hôpital, diffusion d’informations… Ce réseau fait de la prévention en direction des populations les plus exposées au virus.
Vous avez mis en place le dépistage démédicalisé du VIH voici un an…
Cette action illustre bien la démarche d’Aides. Nous avons travaillé avec l’Agence nationale de recherches sur le Sida et les hépatites virales pour mettre au point un dépistage du VIH qui, par un simple prélèvement d’une goutte de sang sur le doigt, donne un résultat rapide et fiable. Nous l’avons d’abord testé auprès de la population gay. Puis nous avons obtenu l’autorisation légale pour que ce dépistage puisse être réalisé par des acteurs non médicaux – tout volontaire formé peut pratiquer le test. Ensuite, nous avons répondu à l’appel à projet de la Direction générale de la santé pour faire financer une part de ce programme. Enfin, nous avons intégré ce dépistage dans nos actions de proximité partout en France, en ciblant des personnes éloignées des tests. Notre démarche est bien acceptée auprès de cette population. Aujourd’hui, nous visons 50 000 tests par an.
Aides a une action politique…
Le grand public sous-estime l’apport des associations de lutte contre le Sida dans les avancées obtenues sur le droit des malades et la démocratie sanitaire… Au début des années quatre-vingt, il existait une confrontation entre des médecins puissants et des malades en colère. Aujourd’hui, Aides est habilitée à représenter les usagers dans les organismes publics de santé comme les Corevih (coordinations régionales VIH). Nous sommes les porte-parole des personnes atteintes.
À l’occasion des élections présidentielles, nous avons interrogé les candidats sur notre socle de revendications. Nous ne sommes pas de grands naïfs, nous savons que le robinet à promesses est ouvert… Les hommes politiques sous-estiment, néanmoins, la capacité des Français à être attentifs à certaines questions sociétales comme la santé, en particulier, le reste à financer sur les soins et le coût des mutuelles. Nous pensons que les questions de société peuvent faire les élections.
Comment communiquez-vous dans les grands médias ?
Nous ne payons pas la création et nous n’achetons pas d’espaces. Notre budget annuel est limité à 160 000 euros, personnel compris. Nous avons un partenariat historique avec l’agence TBWA qui travaille avec nous à titre gracieux. Cela nous permet de créer des campagnes de grande qualité.
Cette communication cible le grand public : par exemple, "Si j’étais séropositif(ve)", diffusée à la télévision en 2006-2007, a mis en scène des personnalités et des sportifs. Nous avons donné la possibilité à Monsieur-tout-le-monde de placer sa photo et de créer sa propre affiche : des conseillers municipaux, des commerçants, des équipes sportives l’ont fait. Cette campagne a marqué une rupture dans notre communication. Nous avons tourné le dos au marketing de la peur : les personnes ne meurent plus du Sida aujourd’hui, il est important de tenir un discours de vérité à ce sujet. Nous souhaitions mettre l’accent sur la lutte contre les discriminations. Ce clip a très bien fonctionné et continue sa vie sur Internet.
Vous avez aussi une communication plus ciblée…
Nous créons des campagnes – brochures, guides – qui s’intègrent à nos actions de proximité. Nous diffusons aussi des films sur Internet comme "Zizi Graffiti", qui incite les personnes à mettre un préservatif. Nous utilisons beaucoup l’humour et un ton décalé pour interpeller les internautes. Nous avons conscience que nous ne changeons pas profondément le comportement de gens avec nos spots, mais ces clips servent fondamentalement à entretenir un bruit de fond sur le VIH et à dire que le virus est toujours présent. Nous misons beaucoup sur l’effet viral créé par les réseaux sociaux pour promouvoir ces films. Nous nous sommes rendu compte que c’est bien plus efficace que de placer des bannières... Nous avons donc développé, voici deux ans, notre présence sur Twitter et Facebook avec une page nationale et des pages locales qui ont un effet positif sur la mobilisation de nos actions de proximité.
Cette communication est complémentaire de vos actions de proximité…
Nous travaillons à partir des besoins repérés par nos bénévoles. Notre démarche consiste à partir du terrain pour faire évoluer le ciblage et notre mode d’intervention. La cellule d’innovation et de recherche, Mire, se saisit des idées des militants pour assurer l’ingénierie telle que le dépistage démédicalisé du VIH. Par exemple, nos volontaires sont présents sur les aires d’autoroute fréquentées par les homosexuels le soir, tiennent des permanences dans des saunas gays, où les habitués peuvent parler de leurs pratiques sexuelles et recevoir des conseils. Nous menons également beaucoup d’actions dans les commerces africains où nous faisons des démonstrations de préservatifs…
Nous n’acceptons pas de bénévolat ponctuel, car nous sommes attachés au volontariat d’engagement. Les personnes restent plusieurs années à Aides. Les bénévoles viennent spontanément à nous : il s’agit le plus souvent de personnes rencontrées sur nos actions, des jeunes qui sont passés par le marketing de rue, des individus touchés directement ou indirectement par le virus. Chaque personne est reçue en entretien. Le processus d’intégration passe par une formation. Nous souhaitons que chacun y trouve une satisfaction. Notre président, Bruno Spire, parle souvent de "plaisir dans la militance". On vient chez Aides autant pour soi que pour les autres...
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Comment financez-vous vos actions ?
Nous avons très tôt bénéficié de financements publics, qui ont rapidement atteint 80 % de notre budget. Au début des années deux mille, les subventions ont commencé à baisser, coïncidant avec l’arrivée de traitements efficaces. Nous avons donc dû revoir notre modèle. À partir de 2003-2004, nous avons investi fortement dans la collecte de rue. Les collecteurs ne sont pas des salariés d’Aides, mais d’un prestataire, et ont un salaire fixe. Ils peuvent uniquement faire signer des autorisations de prélèvement bancaire, et ne peuvent prendre d’espèces ou de chèques. Nous avons ainsi 140 000 donateurs par prélèvement mensuel, pour un don moyen de huit à dix euros par mois. À cela s’ajoutent 20 000 donateurs ponctuels. Aujourd’hui, les fonds privés représentent 50 % de notre budget annuel, soit 20 millions d’euros.
Les personnes chargées de la collecte de rue sont recrutées via des structures comme ONG Conseil et Direct Sud. Puis nous les formons : elles représentent Aides et participent à la sensibilisation du grand public sur les questions du Sida. Ces personnes doivent tenir un discours conforme au nôtre et être capables de répondre aux questions des gens par une information fiable. Nous travaillons avec le syndicat professionnel, France Générosités, pour coordonner notre action avec les associations qui font de la collecte de rue et travailler sur les bonnes pratiques.
Quel est le profil des donateurs ?
Ce sont plutôt des jeunes entre 18 et 30 ans, des citoyens engagés qui font un effort pour nous soutenir, car souvent, ils ne sont pas encore installés dans la vie active. Les donateurs ne versent pas seulement de l’argent, ils soutiennent nos idées, se mobilisent avec nous… Nous sommes une association militante, nous prenons des positions publiques et politiques : il est important que ceux qui donnent nous ressemblent. Nous avons créé des supports spécifiques pour ces donateurs : "Entr’aides", un journal trimestriel, envoyé par e-mail ou courrier, ainsi qu’une newsletter.
Vous cherchez à diversifier vos sources de financement…
Nous faisons de la veille sur les appels à projets et les orientations des fondations. Nous développons les dons, legs et libéralités, mais aussi les partenariats avec les entreprises comme le produit partage : des sociétés comme Kanellia, spécialiste de produits de beauté pour les personnes afro-caribéennes, nous reverse une partie de ses ventes.
Nous cherchons également à étendre le mécénat. Mac, la marque américaine de cosmétiques, engagée depuis longtemps dans la lutte contre le Sida, fait partie des contributeurs. Comme Aides a une identité forte, les partenaires nous contactent directement. Nous mettons en avant les entreprises qui le souhaitent sur notre site. Mais nous ne créons pas de projets sur opportunité de financement.
Nous commençons à travailler sur le micro don, sous forme d’abandon de la virgule sur les factures et les salaires. Dans des grands groupes, cela peut représenter des sommes importantes. Nous travaillons aussi avec le crédit coopératif, pour mettre en place un produit éthique et solidaire pour les associations. Actuellement, ces actions en direction des entreprises représentent moins de 1 million d’euros de collecte.
Fondation : 1984
Budget annuel 2011 : 40 millions d’euros (50 % public, 50 % privé)
Nombre de salariés : 430
Nombre de bénévoles : 1 000 environ
Implantation : +70 villes en France métropolitaine et outre-mer
Nombre de donateurs : 140 000 par prélèvement mensuel ; 20 000 ponctuel
Nom de fans sur Facebook : 12 400 (mars 2012)
Nombre de followers sur Twitter : 31 700 (mars 2012)
Sites web principaux : Aides.org, Seronet.org
PARCOURS
Après une licence d’Histoire, Christian Andreo intègre Aides, en 1996, comme objecteur de conscience en soutien de l’action volontaire à Marseille. Il se forme en santé publique communautaire à la faculté de Nancy. À partir de 1998, Christian Andreo coordonne l’antenne de la cité phocéenne, avant d’être en charge des projets de délégation régionale Rhône-Alpes Méditerranée. En 2008, il prend la direction des actions nationales à Paris. Aujourd’hui, à 39 ans, Christian Andreo est également à la tête de la communication, de la collecte et des plaidoyers (lobbying). Parallèlement, il suit un executive master à Sciences Po en Sociologie de l’association et action dirigeante.
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