Affichage parisien, data, contextualisation... JCDecaux (re)part en conquête
Après l'annulation du contrat liant Paris à sa filiale Somupi, JCDecaux travaille sur le nouvel appel d'offres et entend prouver son agilité. Rencontre avec Isabelle Schlumberger, directeur général commerce, marketing et développement, et Alban Duron, directeur marketing.
Je m'abonne- Le Conseil d'État a confirmé, le 5 février, l'annulation, par le tribunal administratif, du contrat provisoire passé avec la mairie de Paris concernant 1.630 panneaux d'affichage exploités par une filiale de JCDecaux, Somupi. Concrètement, quel est l'impact, pour vous, de cette décision de justice?
Isabelle Schlumberger : Il est significatif, le tribunal administratif et le Conseil d'État ayant successivement annulé le contrat gagné pour 5 ans, puis le contrat provisoire prévu pour 20 mois. Depuis le 1er janvier, l'ensemble du mobilier parisien Somubi portait une affiche grise, le recours au Conseil d'État n'étant pas suspensif. Aujourd'hui, nous travaillons sur le nouvel appel d'offres, lancé fin 2017, par la ville et qui se clôt le 26 mars.
Nous regrettons vivement cette situation qui prive les institutions publiques d'un canal de communication qu'elles utilisent depuis les années 1970s. Or, ces 250.000 affiches permettent, chaque année, d'informer sur les démarches citoyennes, la prévention ou encore les manifestations culturelles. Et je ne parle pas des conséquences financières ! [Le manque à gagner est estimé pour la ville à 40 M€, ndlr].
De notre côté, nous avons lancé, en 48h, une offre marketing sur Paris repensée d'abord transitoire et aujourd'hui définitive sur 2018, et qui capitalise sur nos 2000 faces abribus, et MediaKiosk, nos 380 kiosques à journaux. Et nous garantissons des performances identiques en termes de GRP, de couverture et de répétition.
- JCDecaux a entrepris, il y a un peu plus d'un an, une profonde réorganisation en 2 directions transverses directement rattachées à Jean-Charles Decaux, et 4 directions générales, dont celle que vous dirigez, la direction générale Commerce, Marketing et Développement. Quels sont les premiers résultats ?
I. S. : Il s'agissait, en qui me concerne, de rapprocher le marketing du commerce. Une stratégie qui nous a fait gagner en proximité, en efficacité dans nos relations clients, et en dynamisme. Surtout que grâce à cet alignement de toutes les forces de la maison, nous fixons, plus rapidement, les grandes lignes stratégiques et nous les exécutons. Même si nous faisions déjà bien, cette réorganisation nous a permis de faire encore mieux !
Le second bénéfice a été la création des cellules trading. Jusqu'ici, la direction commerciale nationale n'était organisée qu'en secteur d'activité, sans entrée par les agences media. Tout en gardant cette spécificité, nos responsables de pôle par agence media représentent une entrée unique. Après 53 ans, c'est un vrai changement ! Mais cette configuration nous offre le meilleur des deux mondes: une relation directe avec les agences, et une très grande proximité avec les annonceurs entretenue par une très grande expertise, si ce n'est une passion, sectorielle.
- Dans le cadre de cette réorganisation, avez-vous recruté de nouveaux profils? Ou avez-vous préféré formé en interne?
I. S. : Notre politique a toujours été celle de la promotion, d'autant plus que les 500 salariés des équipes commerciales locales, nationales, airport ou advertising ont des profils très variés. Ceci dit, nous avons enrichi notre expertise d'un directeur études et data management, Cyril Hucorne, auparavant, directeur data product management d'Experian.
Alban Duron : Du creative technologist au data scientist, nous avons aujourd'hui, 30 métiers différents, au sein de la seule direction marketing commerce. Et ce qui est incroyable, c'est que cette mutation s'est faite en 5 ans !
- Quelles sont les grandes lignes stratégiques de JCDecaux ?
I. S. : Nous avions un enjeu : que notre offre gagne en simplicité, en souplesse et en lisibilité à la fois pour les annonceurs et les agences. À cette fin, nous avons beaucoup travaillé sur la visualisation de cette dernière. Mon brief était que son infographie tienne sur un tapis de souris. Aujourd'hui, nos clients aperçoivent, en un coup d'oeil, l'ensemble des points de contact potentiels, autour de 4 grands univers.
A.D. : En partant des objectifs, nous avons en effet construit des parcours contextuels. Un exercice qui a permis, certes, la simplification des dispositifs, mais aussi de pousser leur personnalisation. Car l'objectif est de monter des clusters ad hoc définis avec un annonceur, voire de créer, pour lui, des solutions sur-mesure.
I. S. : Au-delà de notre cellule JCDecaux Live, créée il y a 15 ans, et destinée aux opérations spéciales, nous offrons la personnalisation des parcours, ainsi que la contextualisation des messages au bon endroit et au bon moment. Nous recherchons, pour nos clients, les points de contact les plus performants soit via l'affiche, soit via le digital qui nous permet de franchir un pas gigantesque en termes de "moment marketing".
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Cette exigence, elle est rendue possible depuis le déploiement de SmartBrics, un outil lancé en Angleterre et implanté en France il y a 18 mois. Nous l'avons d'abord réservé aux univers aéroportuaires et depuis le 9 novembre, lancé sur tous nos actifs papier et digitaux urbains. L'objectif? Construire, à partir de l'ensemble de nos actifs en France, des solutions sur-mesure. Il s'agit là de smart planning pour toucher les audiences souhaitées.
- Comment fonctionne SmartBrics ?
I. S. : Cet outil comprend un moteur de recherche très puissant relié à nos 170000 objets à vendre hebdomadairement. Un tour de force accompli grâce à la création du geo-data hub, développé par Alban Duron et Cyril Ucorne. Nourrissent ce hub 12 partenaires, dont Affimétrie, spécialiste de la mesure d'audience, Kantar, Nielsen, Parabellum, ou encore Experian Marketing Services avec qui nous travaillons depuis 3 ans, et qui dispose d'une segmentation de 26 millions de ménages français. Soit, au total, 600 millions de lignes activables. L'autre bénéfice, c'est de pouvoir "onboarder" les data des annonceurs, ce qui intéresse beaucoup les Telco, et ce que nous faisons déjà pour les concessionnaires auto.
C'est SmartBrics qui nous a permis de faire de telles avancées en termes de personnalisation. Auparavant, nous faisions tout à la main !
Outre la simplification de notre offre, et sa personnalisation, nous offrons dorénavant à nos clients la contextualisation. Or, c'est une exigence de plus en plus prégnante. Car aujourd'hui, il s'agit du corollaire à la pertinence du message : il doit être le bon, et arrivé au bon moment, au bon endroit et à la bonne personne. Et pour ce faire, nous bénéficions de notre Smart Content. Et ceci vaut tant pour le digital que le papier. Je pense notamment à une campagne Coca-Cola, déployée il y a 3 ans et coconstruite avec la marque. Les affiches étaient personnalisées aux prénoms que nous avions identifiés comme les plus donnés dans les villes. Elles variaient donc d'un endroit à l'autre. Au total, nous avons créé 380 visuels différents et le dispositif a été remarquable par sa performance. Car l'affichage est un média extraordinaire pour installer les dispositifs adéquats et contextuels. Il offre la puissance d'un média national avec la personnalisation d'un media local. Or, ces dispositifs, la télévision ou la presse nationale ont encore beaucoup de mal à mettre en place. D'autant plus que selon une étude menée sur 39 pays par Kantar Millward Brown, l'affichage est le média publicitaire le mieux perçu par les 16-34 ans. Or, le corollaire, c'est que cette cible exige des messages contextualisés, pertinents, et au haut niveau publicitaire.
- Parmi vos outils pour apporter de la souplesse, avez-vous prévu d'ouvrir vos inventaires directement annonceurs ou à leurs agences média ?
I. S. : Non, car nous sommes l'un des derniers médias à porter l'exclusivité sectorielle. Or, c'est un principe très prisé par nos annonceurs que nous souhaitons conserver, et qui nous empêche, inévitablement, de déléguer la gestion de nos actifs.
Ceci dit, avec certaines agences, nous travaillons de manière automatisée et rapide : elles déposent leur brief dans SmartBrics, et nous sortons un certain nombre de solutions. Cet outil, associé aux data achetées, correspond à des millions d'investissement.
- Quels sont vos objectifs pour rentabiliser ces investissements ?
I.S. : Sur les environnements aéroportuaires, le nombre de campagnes personnalisées et contextualisées a explosé. Smart Content gère en automatique le contenu créatif et, en fonction du jour de la semaine, de la destination des vols, de la langue et de la météo. Hello Bank! l'a fait avec plus de 70 messages personnalisés pour les clients à destination de la navette, donc plutôt sur une cible domestique. Idem pour la Société Générale qui a imaginé un compte à rebours jusqu'au temps d'embarquement pour encourager les voyageurs à télécharger leur application.
Des réseaux sur-mesure désormais ouverts à tous nos clients, quelle que soit la taille de leurs structures. SmartBrics nous a ouvert un champ des possibles avec des plus petits annonceurs, à destination desquels nous avons ouvert EasyWay, une plateforme pour les dispositifs vendus à l'unité en longue conservation, donc plutôt sur 6 mois ou 1 an. Le fonctionnement est très simple : vous rentrez votre localisation, déterminez votre zone de chalandises, les actifs JCDecaux présents sur cette portion du territoire, que vous pouvez personnaliser avec votre création, et, après avoir obtenu une indication de tarif, vous procédez à la réservation, en moins de 24 heures.
- La perte des Vélib a-t-elle entraîné un manque à gagner ?
I. S. : Nous sommes tristes d'avoir perdu leur exploitation car il s'agissait du plus gros système de transports individuel public que l'on détenait dans le monde, et de très loin ! Nous étions très fiers de l'avoir inventé, développé pendant 10 ans, et ce avec des taux de plus de 90 % de satisfaction, selon une étude de novembre 2016. Ceci dit, il s'agissait d'une activité à faible taux de marge.
Vous vous attendiez à la perte de ce contrat?
I. S. : Quand vous présentez des appels d'offres, vous n'en connaissez jamais l'issue, même si nous avons la chance de gagner plus de 85% des appels d'offres auxquels on participe.