Marque employeur vs marque commerciale... Une dichotomie ?
Par Julien Féré
Les entreprises ont coutume d'opposer marque employeur et marque commerciale. Pour des logiques d'organisation souvent - la marque employeur étant souvent le territoire régalien du corporate quand la marque commerciale est manipulée par le marketing -, mais aussi pour une question d'état d'esprit : on ne parle pas au nom de l'entreprise comme lorsque l'on parle au nom d'une offre ou d'un produit. Mais dans un monde où les barrières entre les communications sont de plus en plus poreuses, cette posture est-elle encore tenable? Doit-on toujours parler de communication interne et de communication externe ? Et quels sont les ponts possibles qui s'offrent aux entreprises et aux marques, sans qu'elles se dénaturent ?
Les " vrais gens " dans la publicité : le mythe d'une transparence du médium
Cela fait déjà de nombreuses années que la publicité met en scène des " vraies " personnes sur des supports destinés à la promotion d'une marque, de ses produits ou de ses services. Cette " ficelle " est éprouvée dans le cas de la communication " marque employeur ".
En effet, depuis de nombreuses années, le secteur de la communication " marque employeur " (recrutement, communication interne, mise en avant en externe des métiers et des filières) semble vouloir s'éloigner des codes de la réclame commerciale. Tout se passe comme si, lorsqu'il s'agit de ressources humaines, on cherchait à gommer les ressorts habituels de la promotion. Derrière cette logique globale, il y a sans doute la volonté de ne pas s'inscrire dans une adresse au consommateur, mais à des gens, sans filtre et comme si c'était plutôt un discours d'entreprise que de marque. La marque se met ainsi en retrait et permet une forme de rencontre (ou son illusion) entre l'entreprise et le candidat, l'employé ou la personne de la société civile.
Plus encore que dans la communication commerciale, la communication " marque employeur " est sensible car elle révèle la conception que l'entreprise a de ses employés et de son rapport avec eux. En s'effaçant, la marque crée une forme d'horizontalité, d'hommes (et de femmes) et qui parle à des hommes (et des femmes. C'est sans doute la raison pour laquelle ce type de communication
fait également la part belle aux minorités : multiculturalisme, parité des genres, mise en avant des différences (handicap, sexualité, etc.) sont autant de signes qui montrent la prise en compte de l'individu. Les codants développés par ce type de prise de parole s'éloignent souvent des discours commerciaux, et la cohérence de marque est préservée car les supports sont très différents : annonces de recrutements, salons, stands, portes ouvertes, il y a peu de chance qu'une publicité " marque employeur " se retrouve à côté d'une publicité marchande. Sauf dans le cadre de grandes campagnes qui visent au contraire à toucher les deux publics.
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La campagne " Venez comme vous êtes " de McDonald's
Cette saga publicitaire a fait le succès de l'enseigne qui met en scène en France, au travers d'exécutions créatives très différentes, le fait que l'ensemble de la société française se retrouve chez McDonald's. On voit souvent cette saga comme une communication tournée vers les consommateurs alors qu'elle peut en fait se lire à deux niveaux. " Venez comme vous êtes ", c'est un message adressé aux clients bien sûr : venez la semaine quand vous travaillez, le mercredi après-midi avec vos enfants, le week-end en famille. Mais c'est aussi un message adressé aux salariés et aux futurs employés : qui que vous soyez, vous pourriez avoir votre place dans notre organisation. D'une façon plus large, le talent de cette entreprise est de faire de chaque point de contact en communication un point de valorisation de l'emploi chez McDonalds. La publicité pour les horaires élargis, ou pour un nouveau sandwich met toujours en scène - comme un passage obligé - le lieu de vente et un (ou plusieurs) employé de façon bienveillante et souriante. Bien entendu, dans le cas de McDonald's, c'est un très grand enjeu car il s'agit d'une marque qui ancre sa légitimité sur le sol français (malgré son américanisme) par son empreinte économique (avec les filières de production, mais aussi les bassins d'emploi qu'elle crée). Par ailleurs, en raison du turn-over important des équipes, causé par sa taille et sa présence sur le territoire (et le niveau de qualification de ses emplois), elle a de gros besoins en termes de recrutement. Chaque point de contact est donc l'occasion de renforcer cette opération séduction, envers ses collaborateurs, et envers d'éventuels prospects intéressés pour rejoindre l'entreprise...
Cette méthode a également fait recette dans la communication commerciale, preuve d'une recherche de transparence et de proximité : montrer les éleveurs derrière le lait, le paysan derrière la boîte de conserve ou le pêcheur derrière le surimi. En effet, paradoxalement, la communication " marque employeur " a essayé de se différencier des publicités traditionnelles et de leurs ficelles marketing. Mais, ironie du sort, rattrapée par celle-ci, elle est aujourd'hui copiée par ceux qui veulent sortir des travers - avérés ou perçus - de la réclame et revendiquent une communication sans filtre...
Ces publicités " réalisées sans trucage " posent des problèmes juridiques. Tout d'abord, la question du casting est un élément fondamental : comment trouver la personne qui va représenter fidèlement son entreprise à l'extérieur, et créer de l'adhésion en interne autour de cette figure ? Les publicités Carglass, par exemple, mettent en scène des collaborateurs suite à un concours interne, et le casting est renouvelé tous les ans. Ensuite, des problèmes de droit à l'image : pour être mis en scène, le collaborateur va au-delà des dispositions qui le lient à l'entreprise. Pour abandonner son droit à l'image - et sur base du volontariat - il peut donc bénéficier d'une rémunération qui va évoluer en fonction des conditions d'exploitation de la publicité ainsi produite (durée, types de médias, etc.). Par ailleurs, l'exploitation de l'image d'un salarié à des fins publicitaires engage l'entreprise : comment réagir si ce collaborateur n'a pas par la suite une conduite exemplaire? Ou que sa médiatisation soudaine met la lumière sur des faits de sa vie passée - casier judiciaire ou autre... Cela veut dire que derrière le caractère fortuit et " sans filtre " se cache en fait une vraie stratégie de gestion de la mise en lumière et starification de l'interne. D'autant que cette mise en lumière ne vaut que tant que celui-ci fait partie de l'entreprise : s'il la quitte alors que la publicité est toujours médiatisée, cela risque de poser un problème d'image.
On le voit, la mise en scène de l'interne dans la communication externe, qui est une technique très largement répandue dans la communication " marque employeur " et qui gagne de plus en plus la communication commerciale pose derrière ses visuels " simples, " épurés ", " transparents " des questions éthiques et pratiques qu'il faut poser en amont de ce type d'exécutions créatives. En revanche, cette mise en scène a également un double effet positif sur les publics : en interne, de la fierté, puisqu'un salarié mis en scène se voit magnifié au travers du dispositif; en externe, de la réassurance, avec une forme de dévoilement de la chaîne de production, tout en permettant de faire oublier ce qui fait peur (le cadre de l'usine ou la production de masse).
À l'origine, la marque désigne une origine et une appartenance. Elle s'exprime donc au travers d'une personne - le propriétaire
Si on remonte l'histoire, on s'aperçoit que cette pratique est en fait à la genèse même de la publicité. En effet, la marque (au sens premier et avec sa traduction anglaise empruntée à un mot français : " le brandon ") désigne une forme d'appartenance. Ce fameux brandon était apposé sur le bétail, et le signe distinctif apposé au fer rouge permettait de tracer une appartenance (et par extension une qualité affiliée à cette appartenance. Au départ, une marque, c'est donc un nom, voire deux ou trois initiales qui évoquent un nom : Louis Vuitton (LV), Monique Ranou (la marque distributeur charcuterie de la chaîne Intermarché) ou les éditions Gallimard par exemple.
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Quand le créateur est une figure tutélaire de la marque et du discours publicitaire
Souvent, l'iconographie publicitaire met en scène le " propriétaire " ou le " créateur " et cette technique est parfois reprise. Ainsi, les pâtes fraîches Rana mettent toujours en scène le fondateur et c'est un gage d'origine (italienne) et de qualité (la tradition). Alain Affelou est également mis en scène au travers de publicités qui oscillent entre autodérision et figure d'autorité de l'opticien en blouse blanche. Sur un ton humoristique, c'est aussi le cas de marques comme KFC (qui en a fait d'ailleurs un territoire de communication, avec le fameux colonel). Pour les marques qui n'ont pas (ou plus) de créateurs, la mise en scène peut se faire de façon plus métaphorique : Bonne Maman met en scène une " mère " mythique et universelle, qui vit au travers de sa nappe à carreaux; M. Marie était le " fondateur " métaphorique de la marque Marie pendant de longues année...
Alors bien sûr, l'entreprise horizontale est passée par là et le fondateur (ou le dirigeant) n'est plus forcément la figure de réassurance. De plus, de nombreuses marques ont été créées par les géants de l'agroalimentaire (Activia, KitKat, etc.) ou de l'industrie (Twingo, etc.) comme des " fabrications " marketing qui ne renvoyaient pas forcément à des humains. Certaines ont créé des figures de substitution (M. Propre) ou des mascottes (Miel Pops), mais elles manquent toute cruellement d'incarnation dans un monde où voir la personne derrière le produit crée de la réassurance. Comme si, après des années d'industrialisation et de mondialisation, la mise en avant de l'artisan et du produit imparfait, non aseptisé, était un gage de qualité. On choisit désormais de montrer des femmes et
des hommes en situation de " faire " : artisans, producteurs, opérationnels, une chaîne humaine qui donne de la valeur (et de la sécurité) au produit de sortie. Lactel met en avant ses éleveurs et se positionne non plus comme une marque émettrice, mais comme une coopérative. Tout se passe comme si les marques avaient voulu monopoliser la relation avec le consommateur et qu'elles l'étaient rendus compte qu'elles avaient besoin de recréer un lien perdu, de combler une distance. Après des années de paraboles publicitaires, elles reviennent à une communication qui se veut directe, qui met scène le chemin (simple et sans étape) du champ au client.
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