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[Tribune] Il est temps d'en finir avec Madame Michu

"Madame Michu" est la formule par laquelle de nombreux marketeurs et publicitaires nomment la "Française moyenne" - et par extension, ces millions de ménages, ni tout à fait riches, ni tout à fait pauvres. On en attribue la paternité à feu Claude Marti, publicitaire suisse basé en France, l'un des premiers spin doctors.

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[Tribune] Il est temps d'en finir avec Madame Michu

"Madame Michu"... Populaire, elle devient l'image d'Épinal de la banalité que chaque pic inflationniste semble ressusciter dans le paysage médiatique. Elle n'est pas la seule hypostase* connue : le droit français en regorge, à l'instar du "bon père de famille" supprimé il y a quelques années seulement du Code Civil. Une fiction faite réalité, démontrant à quel point notre rapport au réel est tissé de fantasmes.

Un mythe porté par la société de consommation

"Michu" serait un sobriquet, dérivé du prénom Michel. Un prénom communément porté en France par la génération des Boomers. Glorieuse époque du capitalisme dans laquelle s'est épanouie la publicité de masse sur les médias grand public (TV, radio, affichage). Condition du succès pour cette économie publicitaire : être comprise par le plus grand nombre. L'écriture ne doit s'encombrer d'aucune subtilité. Exit les références élitistes. Le consommateur le moins éduqué doit facilement comprendre le bénéfice qui lui est proposé. L'étalon d'intelligibilité s'est rapidement associé à la cible la plus disputée des Trente Glorieuses : la "ménagère de moins de 50 ans", qui deviendra plus tard le/la "responsable des achats", comprendre du foyer. Charriant là aussi son lot d'inepties machistes.

Une figure érigée en rempart à la déconnexion

"Madame Michu" est devenue la caution "objectivité" de certains publicitaires peu avares de raccourcis. On la convoque en réunion pour ancrer une compréhension univoque du message : "Et Madame Michu, vous pensez qu'elle comprendrait ?" L'intention semble louable : ne cherche t-on pas à s'assurer qu'on ne fait pas fausse route ? Qu'on ne s'est pas laissés avoir par des biais de perception - encore renforcés par l'entre-soi ? En réalité, elle trahit un profond mépris de classe et une misogynie crasse. Son portrait en témoigne : une mère de famille d'une cinquantaine d'années, issue d'un milieu modeste et rural. Aigrie sur les bords, souvent percluse de dettes. Peu éduquée, peu sensible à l'environnement. La doxa incarnée, le degré zéro de la pensée.

Une fable par le marketing, pour le marketing

"Il ne faut pas prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont", disaient les Inconnus dans un célèbre sketch des années 90. Ils soulignaient déjà le dédain et le cynisme de l'industrie à l'égard du grand public. "Madame Michu" est une construction publicitaire. Elle est l'extrapolation de l'image que les publicitaires ont du grand public. Une simplification qui cristallise l'arrogance d'une élite économique très homogène. Elle a la dent dure, Madame Michu. Cela fait bien longtemps qu'elle n'a plus cours dans le monde du ciblage et de la donnée. Le digital n'était pas initialement pensé comme un moyen de cibler cette "ménagère de moins de 50 ans". Il n'est pas anodin que "Madame Michu" soit une femme. La médiocrité est portée par une figure féminine. Son nom de famille est dérivé d'un sobriquet dans un effort de disqualification de sa respectabilité (n'aurait-elle pas pu s'appeler "Madame Dupont" ?).

Le testament de "Madame Michu"

Pas dénuée de bon sens, Madame Michu s'est fendue d'un testament pour, dignement, préparer sa succession. On vous en livre l'essentiel :

1. Ne pas confondre "Français moyen" et "moyenne des Français". Essentialiser le Français moyen est une entreprise vaine... en revanche se servir de moyennes comme d'un index à partir duquel on dessine des territoires d'affinité reste très utile.

2. L'intuition d'une cible à laquelle on n'appartient pas est souvent une fausse piste. Systématiquement repartir d'une page blanche et ne pas sacrifier un temps de recherche qui peut sembler superflu mais qui amène la création plus loin.

3. Parler à la place d'une audience c'est parfois lui confisquer le débat. Lorsqu'il s'agit de sujets sociétaux, de bien commun... laisser la place à la conversation recèle bien plus de vertus.

4. L'époque de la "seringue épidermique" est bien révolue ! Les consommateurs discutent, créent du contenu, consultent les recommandations, échangent de nouveau. C'est aux marques de recréer les conditions de la confiance.

5. La publicité ne doit pas se contenter de colporter des représentations sociales nuisibles. Si elle est un reflet de l'époque, elle a aussi la responsabilité d'être motrice de la reconstruction d'imaginaires sociaux plus vertueux.

6. Ne pas transposer le phénomène à d'autres groupes sociaux. Les Millennials et la GenZ ne sont-ils pas les nouveaux avatars de l'ultra-simplification ? Victimes et emblèmes de la machine à broyer les nuances ?

L'auteur :

Simon Athlan rejoint Jellyfish en 2021, suite à l'intégration de Webedia Brand Services. En tant que directeur de la stratégie de marque, son rôle est d'aider les marques à entrer en conversation avec leurs audiences à l'ère des plateformes.

Alumni du CELSA Paris-Sorbonne et Président de CELSA Junior Communication, Simon a démarré sa carrière au planning stratégique de la chose, pour ensuite rejoindre Ogilvy Paris et travailler sur des comptes globaux : Netflix, Avène et Chanel. Avant d'intégrer Webedia Brand Services, il était directeur commercial de StaffMe (HR Tech).

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