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Handicap : la pub peine à trouver les "maux"

En 2020, le handicap n'a été présent que dans 1 % des campagnes de publicité. Les citoyens attendent des marques un réel engagement social et solidaire. Mais comment épauler les entreprises afin qu'elles prennent le bon chemin de l'inclusion, loin des stéréotypes ?

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Handicap : la pub peine à trouver les 'maux'

"Humanistes jusqu'au bout des ongles, humains jusqu'au fond des tripes", slame Gaël Faye dans le clip de campagne de la SNCF, Hexagonal. Puis, plus loin : "On n'est pas statique, on est progressiste. Parfois en retard, mais pas retardataire, on est avant-gardistes." Dans ce petit film de communication, sorti en 2021, l'entreprise, vieille dame de près de 85 ans, a voulu indiquer ce qui l'unit aux Français. Montrer, comme nous le précise Stéphane Chéry, directeur de la marque, de la publicité et des partenariats, que "la SNCF est un bout de France et des Français".



Des images du quotidien défilent. On découvre des citoyens, souvent joués par des cheminots, tantôt à des moments difficiles, tels que durant la pandémie, tantôt lors de périodes festives, de victoires sportives. Et en l'espace d'un instant, la caméra se fixe sur une personne en fauteuil roulant, comme si de rien n'était. Puis, plus loin, sur un jeune homme atteint de trisomie 21, joué par un cheminot membre des équipes. "Pour moi, ce n'est pas un sujet de mettre en avant des citoyens en situation de handicap dans un court-métrage corporate, nous précise Stéphane Chéry. Peut-être l'est-ce encore un peu pour une personne plus âgée, peut-être serais-je encore un peu trop conservateur pour la personne qui me succédera à ce poste... L'évolution des citoyens, et donc des équipes, est permanente." En tout cas, poursuit-il, "chacun veut laisser une trace au sein des marques"...

Un retard alarmant

Laisser sa trace... ou prendre sa part dans la société. Si de plus en plus d'entreprises s'engagent sur les sujets sociétaux ou environnementaux, le retard accumulé sur l'inclusion des personnes en situation de handicap est incommensurable. Selon une étude réalisée par l'institut Kantar et la principale organisation des communicants en France COM-ENT, le handicap n'a été représenté que dans moins de... 1 % des créations publicitaires ces 25 dernières années, dont un tiers provient d'ONG et d'associations humanitaires. "Et, encore, il ne s'agissait que de ce qui est visible, à l'instar d'un fauteuil roulant ou d'une prothèse. Or, pour plus de 80 % des cas, le handicap ne se voit pas", précise Constance Wiblé, directrice de la communication de Oui Care et membre du bureau de COM-ENT. "Pendant toutes ces années, explique-t-elle, les entreprises n'imaginaient pas intégrer des personnages en situation de handicap dans leur communication. Personne n'y pensait lors des castings..."

Malgré quelques progrès, cela n'a pas encore beaucoup bougé, comme l'a également observé l'agence The Good Company, à l'origine, avec Kantar Insights, du tout récent baromètre Inclusion et diversité dans la publicité. Comme constaté lors des 25 dernières années, on a pu voir une personne "invalide" dans seulement... 1 % des annonces françaises, en 2020. En outre, seuls 9 % des sondés ont déclaré être tombés "récemment" (selon la formulation du sondage) sur une publicité montrant une personne en situation de handicap... Pourtant, le handicap touche 20 % des Français ! "Cette invisibilisation est à l'image de la société, regrette Lisa Gache, planneuse stratégique à l'agence The Good Company. Il n'y a qu'à voir l'accessibilité des infrastructures aux personnes en situation de handicap. Par ailleurs, le handicap est pluriel, et il peut être très complexe de le représenter sur toutes ces formes." D'où, peut-être, ce silence.

Les communicants peuvent faire bouger les lignes

Or, les marques ont intérêt à s'y mettre. Selon Constance Wiblé, "les communicants ont un rôle à jouer afin que les lignes bougent". En ce sens où "ils ou elles proposent des images aux clients, qui s'y habituent jusqu'à ce que telle ou telle représentation devienne quasiment la norme". La représentation du handicap peut tout à fait prendre le même chemin que celle du genre. "À une époque, indique Constance Wiblé, il aurait été par exemple inimaginable de mettre en avant un homme dans une publicité de linge. Aujourd'hui, c'est bien sûr le cas..."

L'enjeu, ainsi, pour les entreprises : réussir à créer un imaginaire collectif, et permettre à chaque consommateur, en situation de handicap ou non, de pouvoir se projeter et s'identifier. L'agence The Good Company, via son nouveau baromètre, valide : 72 % des interrogés estiment que "montrer de la diversité dans la publicité est important"... Le hic : ils ne sont qu'un peu plus de 3 Français sur 10 à penser que la publicité "reflète bien la diversité de la société française aujourd'hui".

L'importance du casting...

"Le handi-washing, ça existe"

Or, comment épauler les marques ? D'abord, il faut insister sur l'importance des castings. "Il est capital de pouvoir apercevoir, dans les campagnes, des personnes qui nous ressemblent", analyse Lisa Gache. Et si les choses parviennent à évoluer dans le bon sens, ce ne sera pas pour déplaire au grand public : les consommateurs ne demandent pas spécifiquement une meilleure représentation des handicaps, mais ils attendent toutefois des marques qu'elles s'engagent concrètement. Ainsi, l'agence The Good Company encourage les entreprises à relier leurs campagnes à leurs engagements. "Le handi-washing, ça existe", dit-elle. En d'autres termes, comme elle l'indique, les citoyens ont besoin de "preuves" au-delà de la communication : il ne suffit pas de représenter un handicap, encore faut-il que ce soit cohérent avec les valeurs des marques. C'est le cas de CNP Assurances qui dit accompagner chaque Français, peu importe son expérience. "Vos vies ne rentrent plus dans les cases", lance en 2021 l'assureur dans une campagne promotionnelle, signée... The Good Company. On y voit une succession de personnages hauts en couleur, en particulier une jeune danseuse sans jambe droite... Elle s'apprête à monter sur scène !

Comme celle de CNP Assurances, de nombreuses communications touchent en particulier le domaine du sport. Adidas, Décathlon, et puis Lacoste... Dans le clip de la marque au crocodile Le 9e couloir, le nageur paralympique Laurent Chardard s'élance pour un 50 m nage libre un brin particulier. Depuis Paris, il se confronte à huit athlètes valides, qui font leur course aux Jeux olympiques de Tokyo en simultané. Grâce à des lasers, on suit leur trace... à côté du 9e couloir du nageur, amputé de deux membres depuis 2016. Et la marque de se féliciter, à la fin de la vidéo d'avoir vu le sportif "entrer dans l'Histoire". Et ce dernier, ravi de l'expérience, enchaîne, au site Views : "C'est une bonne chose que Lacoste cherche à casser les barrières entre les compétitions." Rendre visible ce que l'on cachait, même involontairement... Ce genre de publicités permet de montrer l'exemple et les athlètes s'en félicitent.


... et d'un récit authentique

Autant que Constance Wiblé, qui apporte tout de même cette nuance : "Souvent, les personnes en situation de handicap sont vues dans les publicités comme des super-héros, c'est certes utile, cela fait avancer la cause, mais ce n'est pas suffisant." C'est la limite de la figure du rôle-modèle, encore dominante dans les campagnes de publicité sportive : "Pour représenter le handicap, il n'est pas obligatoire de valoriser l'exceptionnel, on peut aussi mettre en avant des citoyens ordinaires, tout simplement."

Lisa Gache, de l'agence The Good Company, de renchérir : "On pourrait diversifier les récits." Faire en sorte, en somme, que "les mêmes archétypes ne tournent pas en boucle". Voilà la difficulté : éviter les clichés, les caricatures, réduire les handicaps à un objet, telle une canne, par exemple. "Pour éviter les écueils, et mieux représenter les handicaps, les marques peuvent échanger avec les acteurs, les associations, ou les personnes en situation de handicap, qui ont la légitimité." But de l'opération : mieux comprendre... et, au final, "coconstruire" un produit... En 2021, la marque Degree a sauté le pas pour concevoir un déodorant à l'emballage plus facile à prendre en main pour des personnes ayant une déficience motrice au niveau des membres supérieurs, et utiles aux malvoyants, également. Un produit en somme inclusif, avec une étiquette en braille, présenté dans une vidéo promotionnelle mettant en scène un boxeur qui s'en sert, justement. "Il y a moins de risque qu'on vise à côté, assure Lisa Gache, si une marque est authentique".

"No more clichés"

Rendre visible le handicap dans une communication peut aussi être intéressant dans la mesure où le message délivré concerne une autre problématique... Exemple, le nageur Théo Curin s'est mis en scène, en mars dernier, pour sensibiliser à la protection de l'océan. Touche-à-tout, il avait l'an dernier, avec deux autres athlètes, traversé en totale autonomie en Amérique du Sud, le lac Titicaca, le lac navigable le plus haut du monde. Son intention : alerter sur la pollution plastique au niveau de cette immensité fragile... L'expérience a plu, et l'ex-champion paralympique est devenu l'ambassadeur de la marque de produits de soin Biotherm, engagée sur la sauvegarde des mers.

Le réseau COM-ENT vise à accompagner les entreprises pour qu'elles avancent dans la bonne direction. "L'étude n'était qu'une première étape et a servi à dresser un état des lieux", précise Constance Wiblé. Un groupe de travail a été mis en place pour réfléchir à la mise en place d'actions concrètes... à l'instar de ce qui avait été effectué à propos de l'image des femmes dans les publicités. Le réseau des communicants avait été à l'origine en 2016 de la campagne "No more clichés", assortie d'un kit de communication non sexiste, à télécharger et à diffuser "un peu partout et en particulier dans les écoles de communication", ajoute-t-elle. Quand les communicants prennent les devants.

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