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[Tribune] Marketing : "L'expérimentation remplace la recherche de prévisions"

Prévoir le futur ? Une démarche quasi-impossible, prône Michel Hébert, président du cabinet No Logic Consulting, qui réagit à notre article "Marketing prédictif, quand la data remplace la boule de cristal".

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[Tribune] Marketing : 'L'expérimentation remplace la recherche de prévisions'

Apprendre à sortir du court-terme pour anticiper les comportements du consommateur, datas à l'appui : telle est la thématique de notre dossier "Marketing prédictif, quand la data remplace la boule de cristal", à propos duquel Michel Hébert, président du cabinet No Logic Consulting, réagit.

Prévoir le futur est une obsession récurrente. Quand tout va bien, l'on suit l'autoroute, et quand cela devient difficile, on se pose la question : "Comment prévoir ?". Si l'on parle autant de la difficulté à prévoir, c'est bien évidemment, parce que nous essayons tous d'appréhender l'avenir pour améliorer son business. Jacques Attali, auteur de nombreux livres, dont le dernier Peut-on prévoir l'avenir (Fayard) se pose aussi la question, mais n'arrive, selon moi, pas à convaincre. Ainsi, quand il demande : "Avez-vous des projets à 5 ans, 10 ans, 20 ans ?", qui peut répondre à cette question ? Une fois pour toutes, on ne peut plus prévoir ! Ce que l'on pense à l'instant t n'est plus valable à l'instant t+1.

"Les prévisions ne peuvent être que fausses, elles ne tiennent pas compte des "extérieurs de marché", dit Edgar Morin. Les extérieurs de marchés, sont tout ce qui influence notre vie, la météo, les peurs, les maladies, la politique, les événements imprévisibles. De Fukushima, au drame de Concordia, à l'apparition du sida, à la faillite de Lehman Brothers, à l'attentat du 11 septembre jusqu'au scandale des laboratoires Servier, aux ordinateurs portables ou aux Smartphones : tant de choses ont bouleversé nos vies, sans jamais avoir été prévu, sauf par quelques hurluberlus. La liste des événements non prévisibles, ou que nous n'avons jamais pensé à envisager, est donc très longue. Pour être précis, il est vrai que l'on peut toujours prévoir, à l'instar l'accroissement du nombre d'hommes et de femmes sur terre, ou encore, le réchauffement climatique.

Lorsque nous parlons de prévision, nous sommes obligés de parler du mot "vision". Bill Gates rejette le mot vision. "Tout le monde a le droit de rêver, les visions ne coûtent rien", a-t-il notamment déclaré sur Fox news. Alors comment a-t-il fait ? "C'est en observant que des entreprises de logiciels naissaient partout dans le monde que je me suis dit qu'il y avait un marché et ensuite, j'ai simplement essayé de faire mieux que les autres", raconte Bill Gates, très simplement. Il y est arrivé. Il a donc réagi par rapport à des faits de marchés et a travaillé pour être le meilleur, sans vision, sans prévision, avec un état d'esprit d'entrepreneur

Savoir s'adapter plus que d'essayer de bâtir des prévisions fausses

Sans possibilités de prévisions fiables, nous sommes en fait obligés prioritairement de nous "adapter" à des situations nouvelles, qui nous entraînent dans la destruction de ce que l'on pensait et à la reconstruction d'un autre projet. Il faut désormais inverser la réflexion : si l'on ne peut plus prévoir, alors il faut changer de manière de faire et se transformer en guerrier, se transformer en "combattant", contre des situations imprévisibles que nous subissons. Il faut "déconstruire et reconstruire" pour s'adapter à de nouveaux contextes, imprévisibles.

"Tout est susceptible de changer demain"

Nous devons combattre l'imprévisible une fois qu'il est face de nous, une fois qu'on le voit dans le détail, pour mieux s'adapter à la nouvelle situation. Les accidents imprévisibles ne font pas les 35 heures, ils peuvent intervenir fréquemment. Il faut s'adapter autant de fois qu'apparaissent des événements imprévisibles qui remettent en questions nos plans. Dès lors, tout devient adaptatif. Les plans, les stratégies, les projets deviennent adaptatifs, les visions personnelles ou professionnelles deviennent adaptatives. Tout est susceptible de changer demain et nous contraindra à s'adapter.

La pensée doit donc prioritairement s'armer et s'aguerrir pour affronter l'incertitude. Nous devons devenir des guerriers, des guérilleros, face à l'avenir et mener le combat contre l'imprévisible lorsqu'il se présente sous nos yeux, pas en imaginant ce qu'il pourrait être. Les guérilleros qui ont battu l'armée américaine en Irak ne faisaient pas de plans avant la bataille, ils faisaient des plans pendant la bataille, ils agissaient zone par zone pour mieux créer des brèches chez l'adversaire et gagner du terrain. Pendant ce temps l'armée américaine organisée façon "West point", obéissait aux ordres d'un général travaillant à partir d'un plan (imaginé à Washington), sur une carte du fond de son bunker.

On ne peut plus prévoir au 1er janvier de l'année le chiffre d'affaires de la fin d'année. En fait, il s'agit de voeux pieux pour satisfaire les conseils d'administration. Aujourd'hui, il faut réagir tout au long de l'année pour corriger la stratégie et le commercial, afin de se donner des chances d'atteindre le bon résultat.

"La bonne adaptation ? L'expérimentation"

Donc il faut oublier le mot prévision, pour le remplacer par les mots "adaptation sur place". C'est en s'adaptant sur place que nous allons découvrir les problèmes que l'imprévisible va provoquer. Ainsi, nous pourrons mieux le combattre. Dans tous les domaines de compétitions sportives, on voit l'adversaire et l'on bâtit des stratégies en fonction des déplacements de l'adversaire. La bonne adaptation devant des événements imprévus, passe par ce que l'on appelle l'expérimentation. L'expérimentation qu'est-ce que c'est ?

Les chercheurs scientifiques travaillent dans l'imprévisible, telles des maladies inconnues. Ils ont une pensée buissonnière, ils bricolent en quelque sorte, "ils expérimentent", ils essaient pour voir. Ils n'ont pas de théories en tête, ils expérimentent pour trouver des solutions. L'expérimentation remplace la recherche de prévisions. L'expérimentation donne des résultats fiables et justes, les prévisions donnent des résultats faux, ou très incertains.

En expérimentant, nous trouvons, en retour d'expériences, des informations capitales sur les stratégies possibles, sur les cibles prioritaires, sur la valeur et la force de notre idée. Que font les Google, Apple, ou les start-up ? Ils expérimentent et mènent leurs projets "progressivement".

Marketing de l'expérimentation

Les grandes entreprises du Web pratiquent donc déjà un marketing de l'expérimentation. Elles n'avaient aucun historique, aucun précédent d'autres sociétés du Web sur lequel s'appuyer quand elles ont démarré. Elles ont gardé cette culture : elles prototypent leurs idées, elles les mettent assez vite en ligne et en fonction du retour des internautes, elles améliorent les versions. "Google est une version bêta permanente", aimait à dire Marissa Mayer, vice-présidente de Google, en charge de la stratégie de gestion des produits de recherche.

Steve Jobs de toute sa vie n'a jamais fait une étude de marché pour prévoir ! Il a expérimenté ses idées et les a améliorées progressivement. L'expérimentation permet de faire des choses plus sûres. Des entreprises non issues du Web pratiquent déjà ce marketing de l'expérimentation : Swatch, Picard surgelés, Afflelou, Xavier Niels, Swatch, Google, les start-up...et même des réseaux bancaires ! L'expérimentation nous apprend, nous fait donc découvrir, le futur dans sa réalité. L'expérimentation doit être conçue comme permanente.

Le futur n'est donc plus une autoroute avec des panneaux indicateurs, mais ressemble aux pistes du Paris-Dakar. Tel est devenu notre monde. Pour arriver à Dakar, il faut arriver à chaque étape, dans les temps. Il faut donc affronter chaque jour une épreuve. Les cartes incertaines nous obligent à expérimenter des chemins ou pistes non indiquées sur les cartes.

En l'absence de prévisions fiables, il faut savoir prioritairement combattre ce qui arrive, pour s'adapter, en pratiquant l'expérimentation dans des délais courts, afin de découvrir les failles de celui qui nous attaque, plus que d'essayer en vain de prédire le monde et de nous croire à l'abri. Nous devons passer en mode "combattant" contre les changements du monde pour s'adapter.


L'auteur : Michel Hébert, président du cabinet No Logic Consulting. Auteur de Le marketing de l'adaptation, le marketing de l'imprévisible (Editions L'Harmattan) et de Raisonner Métis (Editions L'Harmattan), notamment.

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