Marketing digital : "L'abrogation du Safe Harbor est paradoxalement un cataclysme et un épiphénomène"
L'annulation du "Safe Habor" pourrait avoir des conséquences sur les responsables marketing européens. Décryptage avec Marc Désenfant, directeur général d'Actito France.
Je m'abonne"Safe Habor" : l'expression fait discrètement l'actualité depuis quelques semaines. La raison ? La Cour de Justice de l'Union européenne a invalidé, le 6 octobre 2015, le dispositif "Safe Habor", fruit d'un accord en 2000 entre la Commission européenne et le Département du Commerce américain. Le Safe Harbor encadrait le transfert de données personnelles des citoyens de l'Union européen envers les États-Unis, considérant que les États-Unis assuraient un niveau de protection suffisant.
Les agences européennes chargées de la protection des données personnelles, dont la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), ont donné aux institutions européennes et américaines jusqu'au 31 janvier pour "trouver des solutions juridiques et techniques" à l'abrogation de la directive. Quelles peuvent en être les conséquences pour les directions marketing ? Marc Désenfant, directeur général d'Actito France, livre son opinion sur le sujet.
Emarketing.fr : L'abrogation du Safe Harbor signe-t-elle la fin du marketing digital tel que nous le connaissons aujourd'hui ?
Marc Désenfant, directeur général d'Actito France : Certains diront que l'abrogation du Safe Harbor est un cataclysme, et pour d'autres, il ne s'agit que d'un épiphénomène. Si l'on considère que le Safe Harbor représente les fondations sur lesquelles s'est construit le marketing digital, puisque la donnée est la base de développement de technologies aujourd'hui généralisées, alors il existe un risque d'effondrement du système. Mais, le deuxième son de cloche est de considérer que les lois sont dépassées par les usages des citoyens, et qu'il faut trouver des moyens pour les "adapter". Ainsi, si l'on demandait l'avis des utilisateurs de Facebook sur le fait que leurs données sont transférées aux États-Unis, il est probable que la majorité voudrait malgré tout continuer à utiliser le réseau social, en dépit du transfert.
Emarketing.fr : Quelles sont les conséquences de cette décision pour les responsables marketing européens ?
Marc Désenfant : Les conséquences du Safe Harbor pour les entreprises transférant des données aux États-Unis sont importantes. Ainsi, les marketeurs utilisant les technologies de fournisseurs américains - adserving, recommandation produits, ou push notifications, par exemple -, soit sûrement 80 % des sociétés, doivent obtenir une autorisation de chacun de ses clients, citoyens de l'Union européenne, dont ils entendent traiter les données aux États-Unis, et cela est complexe. Nous le savons la part de marché des éditeurs américains est très importante. Par exemple, simplement en faisant de la publicité sur Facebook, via Custom Audience, les entreprises présentes sur le sol européen transfèrent des informations de leurs clients vers les États-Unis.
De plus, l'essentiel des outils utilisés par les marketeurs est aujourd'hui fourni en mode SAAS et suppose le transfert des données de consommateurs vers des serveurs distants. Les implantations, tant du siège de l'entreprise fournissant les services que de ses serveurs, seront donc primordiales pour déterminer si l'invalidation de l'accord de Safe Harbor impacte leur activité. Et n'oublions pas que toute entreprise américaine à l'obligation de fournir les données en sa possession sur demande de son gouvernement, même si ces données sont hébergées sur des serveurs en Europe...
Emarketing.fr : L'impact est aussi important en termes d'image, et de confiance des consommateurs par rapport aux marques ?
Marc Désenfant : Il est, en effet, gênant pour une marque de dire : "Je transfère vos données aux États-Unis. Je suis comme un livre ouvert dans lequel lisent les agences américaines." Le risque du retour de flamme pour les marques existe, mais je crois que pour la majorité des consommateurs, cela n'a pas tant d'importance. À moins que l'opinion finisse par s'alerter à grande échelle.
Emarketing.fr : Quelle est votre opinion sur l'abrogation du Safe Harbor ?
C'est un frein à l'économie numérique
Marc Désenfant : La fin du Safe Harbor représente pour moi un frein au développement de l'économie numérique, mais cela permet de mettre en lumière qu'un un État ne peut se prendre pour le Big Brother du monde, et en cela, il existe un effet bénéfique. Il faut trouver un équilibre entre le respect de la vie privée des citoyens et le développement de l'économie. Et en attendant d'y voir clair, les sociétés européennes peuvent utiliser sans risques les services de prestataires 100 % européens.