[Tribune] Engagement sociétal: de la marque à l'empreinte
La visibilité sur l'avenir est minimale et les entreprises sont centrées sur leurs urgences avec une priorité donnée à la gestion. Si c'était pourtant le bon moment pour interroger son engagement sociétal, comme l'expliquent Charles-Antoine Lewintre et Géraud de Vaublanc dans cette tribune.
Je m'abonneLe mot d'ordre de ce début d'année est opérationnel : il faut sécuriser les financements, mobiliser les équipes et assurer la continuité des activités. Les équipes dirigeantes jouent aux pompiers et centrent leurs efforts sur les questions légitimes, de survie. Dans cette période trouble, les dirigeants manoeuvrent, et doivent éviter deux écueils : la dispersion et l'atrophie. La dispersion ? La crise peut conduire à l'agitation et à la multiplication d'initiatives désordonnées... pour se donner l'impression que l'on réagit. Un piège redoutable à l'heure où il faut économiser ses efforts et concentrer ses forces sur l'essentiel. L'atrophie ? La tentation peut exister de geler et de reporter projets, initiatives et ressources, sous prétexte de survie. Les entreprises qui empruntent cette voie ne mesurent pas qu'elles encourent le risque ultime : celui de mourir guéries.
Rupture profonde
La rupture engagée est cependant profonde : les habitudes de travail basculent, les principes de distanciation et de digitalisation s'imposent, accélérant et ancrant des tendances qui tardaient à se mettre en place, comme le télétravail. Autre conséquence, les clients se montrent désormais plus exigeants et les collaborateurs plus sensibles au sens de l'action de l'entreprise. Les attentes d'un ordre nouveau et d'un "monde d'après" ont marqué les consciences et ce sont les fondements de création de valeur et de contribution qui en sortent bousculés. Les dirigeants composent avec ce nouvel ordre : la triple crise sanitaire, économique et écologique les interpelle sur leur propre engagement. Entreprises à mission, culture, raison d'être... ces termes s'invitent au coeur des réflexions stratégiques depuis des années. Mais comment les rendre concrets ?
Par expérience, nous distinguons quatre niveaux de maturité pour évaluer l'intensité de l'empreinte sociétale d'une entreprise sur son marché : niveau 1 - Les francs-tireurs : pas (ou peu) d'engagement, un rôle sociétal assumé comme non prioritaire. Niveau 2 - Les convertis : un discours construit, quelques actions emblématiques qui ne parviennent cependant pas à masquer la faiblesse des engagements. Niveau 3 - Les impliqués : un discours fort et construit, avec des preuves à l'appui, mais en décalage avec l'ADN de l'entreprise. Niveau 4 - Les aspirationnels : une empreinte sociétale unique et profonde, consciente, alignée sur son ADN et placée à la source des choix stratégiques.
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Inversion des priorités
Les dirigeants doivent s'interroger sur la position de leur entreprise au sein de cette échelle. Ce diagnostic étant posé, ils peuvent alors mener une réflexion féconde et décisive en cette période de rupture : quelle est la raison d'être unique de mon entreprise ? Quelles sont mes forces singulières ? Quels sont mes réels besoins ? Quelles priorités stratégiques en découlent ? Comment les traduire enfin en feuille de route et mise en place opérationnelle (jeu des acteurs, livrables et jalons clés, KPIs,...) ? Inversion décisive des priorités, la pierre angulaire de la réflexion stratégique n'est plus l'observation compulsive de la concurrence mais un centrage et un alignement sur ses forces singulières. Mais gare aux fausses promesses, les consommateurs ne s'y tromperont pas ! Les populations les plus jeunes (millennials et génération Z) sont particulièrement sensibles à ce que la responsabilité signifie et n'hésitent pas à interpeler les anciens paradigmes de manière frontale.
Seules les valeurs créent de la valeur
L'entreprise n'a finalement pas le choix : elle doit jouer juste, en résonance avec le socle profond, unique et légitime de son ADN. Quelques chiffres rappellent l'urgence d'une telle démarche, à l'heure où les codes et les modes de consommation sont réévalués : les marques qui jouent un rôle dans la société et contribuent à un monde meilleur surperforment le marché boursier de 134 %, tandis que 77 % des marques pourraient disparaître dans l'indifférence générale (Meaningful brands, Havas,2019) par ailleurs 47 % des consommateurs sont disposés à payer plus cher un produit similaire d'une entreprise qui s'engage (20 points de plus qu'en 2017 ! (Tilt idead & Epsy - baromètre de l'engagement, 2020)), enfin la réputation compte pour 63 % de la valeur d'une entreprise (étude Weber Shandwick, 2020). En ces temps si particuliers, le constat implacable d'Henry Ford, qui avait compris avant d'autres que seules les valeurs créent de la valeur, résonne plus fort que jamais : "L'entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être".
Les auteurs :
Charles-Antoine Lewintre est consultant en management, vision stratégique et accompagnement de la transformation.
Géraud de Vaublanc est enseignant à HEC et auteur de Image, réputation, influence (Dunod, 2019 -médaille de l'académie des sciences commerciales).