[Tribune] "Retrouver le sens de la communauté, avec créativité"
Pour une majorité de consommateurs, le rôle des marques a changé au cours des 5 dernières années. Les citoyens attendent d'elles une plus grande emphase sur l'humain et l'appartenance communautaire, explique Adrien Moret, Head of Strategy de l'agence Helmut.
Je m'abonne79 % des consommateurs déclarent que le rôle des marques a changé au cours des cinq dernières années. Du sens, du sens, du sens, lorsque la boussole perd le nord, on cherche du sens dans tous les sens.
Mauvais sens ?
Du sens mais pas (dans) n'importe lequel. Paradoxalement à cette quête de fond, les études récentes révèlent que les consommateurs n'ont plus cure de voir les marques s'engager dans un wokisme de façade, particulièrement lorsqu'il s'agit de grandes causes comme les droits LGBTQ+, le genre, l'immigration, et autres combats pour la justice sociale - très bon article de Vox à ce sujet ici. Le cru 2024 du Super Bowl en est l'illustration parfaite. Après des années de publicités imbibées des mêmes voix off véhiculant des messages émotionnels à outrance, les spots de cette année ont marqué le retour en force de la fantaisie, de l'évasion, voire même d'un certain what the fuck. Les raisons qui expliquent ce phénomène : une actualité de plus en plus pesante, mais aussi un ras-le-bol de ces marques qui ont poussé le bouchon trop loin, en tentant de rendre du chewing-gum no-gender ou en transformant Kendall Jenner en icône de Black Lives Matter.
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Nouveau sens
Cette défiance vis-à-vis du wokisme-washing laisse cependant place à de nouvelles attentes envers les marques, avec une plus grande emphase sur l'appartenance communautaire. Un consommateur sur cinq attend désormais des marques qu'elles fédèrent et créent des communautés. 67 % pensent que la "commu" doit prévaloir sur l'individu. C'est d'autant plus vrai chez les plus jeunes générations, frappées de plein fouet au visage par une vague de solitude sans précédent. Leur monde ne s'est toujours pas remis de la Covid-19, de son enfermement et du sillon de solitude creusé par le démantèlement du lien social. À bien des égards, le signal s'alarme : les "relations textuelles" remplacent les relations sexuelles en forte baisse chez les 18-25 ans. Les boîtes de nuit, autrefois symboles de rassemblements de jeunes, ferment les unes après les autres à cause d'une chute drastique de leur fréquentation.
Nouvelles communautés
La notion de tribu n'a pourtant pas disparue. Si les groupes culturels se rassemblaient hier dans des lieux physiques comme les skateparks, les clubs et les cafés, ils ont aujourd'hui simplement migré vers des espaces numériques, dans lesquels les esprits les plus effervescents de la GenZ repoussent les limites de la quête identitaire. 57 % d'entre eux confessent se sentir plus audacieux sur les réseaux sociaux que dans la réalité.
Leur soif de rencontres demeure, mais elle se transforme : ainsi naissent les 'Bedroom Communities", ces tribus numériques où les nouvelles générations forgent et affirment leur identité en ligne, bien au chaud sous la couette. Face à leur besoin de se tourner vers des communautés autonomes et décentralisées, on assiste à un vaste mouvement des Z vers les micro-réseaux. Des espaces en ligne comme Discord, Mastodon, Steemit, Diaspora et Gab tissent déjà les fils du nouvel IndieWeb, où chaque communauté est assez restreinte pour que la pleine confiance règne entre ses membres.
Nouvel élan
Dans ce nouveau monde de solitude organisée, dont les courbes se re-dessinent par de nouvelles formes de communautés, les marques de luxe et leur pouvoir fédérateur ont un rôle crucial à jouer, attendu même. Pour notre métier, c'est tout simplement formidable, car après des décennies de défiance des consommateurs, nous assistons enfin à une résurgence des attentes positives à l'égard des marques. Encore faut-il apprendre à communiquer le nouveau communautaire. Voici quelques premières pistes de réflexion.
Vers un contenu de moins en moins "predictable", grâce à la communauté. Dans son dernier rapport "What's Next", notre partenaire TikTok parle de "communityfueled storytelling". De moins en moins passifs dans leur consommation de contenu, les utilisateurs de la plateforme réagissent simultanément en laissant des commentaires visibles sur les vidéos, ou même en filmant instantanément leur réponse à ces contenus pour en générer de nouveaux. C'est ce qu'on appelle "unpredictable content", un social media de moins en moins linéaire, figé, prévisible.
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Pour les marques, c'est une véritable révolution sociale qui s'amorce. Le défi n'est plus simplement de générer de l'engagement ou de susciter des interactions, mais plutôt de faire du rebond créatif communautaire "à chaud", et ainsi faire évoluer son contenu en fonction de l'écho qu'il trouve auprès de l'auditorium. En d'autres termes, il s'agit de sortir du huis clos créatif et d'en finir avec les schéma narratifs sociaux linéaires (predictable content), dont les scores d'engagement sont de plus en plus bas, dixit TikTok.
Les récents contenus sociaux de Miu Miu sont un bel exemple d'unpredictable content intelligent. La marque a créé toute une série de contenus TikTok sur la base des commentaires reçus ; une vraie stratégie de rebond créatif qui place la réaction de sa communauté au coeur de sa "créativité de contenu". Le résultat devient vivant, authentique, dynamique, et donne la sensation d'une marque surprenante, qui se construit au diapason de son époque ; l'interaction devient un vrai contenu de marque.
Cette nouvelle créativité communautaire peut évidemment se décliner au-delà de TikTok, dans des formats plus longs et plus éditorialisés. C'est par exemple ce que nous avons fait sur YouTube en construisant un épisode de la saison 2 de notre série pour Lancôme avec Emma Chamberlain, "How do you say Beauty in French". Après une saison 1 qui a suscité énormément de commentaires sur YouTube, nous avons décidé d'intégrer ces commentaires au coeur du scénario de l'un des épisodes de la saison 2, dans lequel Emma réagit spontanément à plusieurs questions de ses fans pendant plus de 5 minutes. Sa réaction, mais aussi et surtout celle de sa communauté, deviennent ainsi la trame narrative d'un épisode où communauté rime avec créativité. Cela fait sens.
L'auteur : Adrien Moret, Head of Strategy de l'agence Helmut, spécialisée dans la GenZ et les marques premium.