Gautier Picquet: "Revaloriser les salaires dans les agences médias"
La préservation de l'écosystème médiatique français et donc notre liberté d'expression passera forcément par la défense de la valeur des agences média. Tel est le crédo de Gautier Picquet, COO de Publicis France et nouveau patron de l'Udecam.
Je m'abonne- Gautier Picquet, vous êtes le nouveau président de l'Udecam, qui réunit 26 agences médias. Quelles sont les priorités de votre mandat ?
Clamer et prouver notre utilité et notre fierté. En effet, même s'il est formidable, notre métier, comme tous ceux de services, est malmené. Je dirais même qu'il est en danger. Pourquoi ? Car nous sommes dans une quête perpétuelle d'économies et de profitabilité qui détruit la valeur non seulement des médias, mais aussi des agences média. L'objectif de l'Udecam est de rendre à nos expertises et à nos collaborateurs leur fierté, de retrouver une valeur partagée entre annonceurs, agences média et éditeurs. Il en va de la pérennité de notre écosystème médiatique pluridisciplinaire et sociétal. Car si nos métiers disparaissent, c'est la liberté d'expression qui sera en danger.
- Rendre leur fierté aux agences média... cela signifie donc qu'elles l'ont perdue... ?
Oui, bien sûr. Nos métiers sont devenus très complexes, tandis que la course à la technologie nous a fait perdre de vue le recul nécessaire sur le sens de notre rôle. Nous avons clairement du mal à recruter, et à conserver nos talents, car rapidement, soit ils sont attirés par les plateformes américaines, soit par des postes qui offrent un meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle. Et ce car, disons-le : les agences média ne paient pas assez ! La pyramide des salaires s'est en effet dangereusement inversée avec de très beaux salaires au niveau des directions, mais insuffisants pour la grande majorité de 4 000 collaborateurs du secteur. Et ce, alors qu'on exige d'eux beaucoup... beaucoup trop même ! C'est là un tort partagé avec nos clients d'ailleurs. Nos métiers ne sont nourris que de talents, dont la rémunération doit être revalorisée.
- C'est compliqué de partager la valeur dans un secteur -la publicité digitale- où 90 % de la croissance sont captés par deux acteurs, Facebook et Google. Comment sortir de cette dynamique ?
Ce n'est pas simple... ! Sinon mes prédécesseurs à l'Udecam auraient trouvé la formule magique. Ceci dit, ils ont déjà fédéré plusieurs agences média qui représentent plus de 95 % de l'achat d'espace en volume. Ensemble, nous devons aujourd'hui parler tous d'une même voix, refuser les abus, notamment certains pitchs qui détruisent la valeur. Nous avons la mission d'apporter aux instances gouvernementales notre expertise dans le cadre, notamment, de la loi Avia, de la réforme sur l'audiovisuel ou la taxe GAFA. Cette transformation, nous avons à coeur, non pas de la subir, mais de la conduire. Attention, je ne suis pas contre les plateformes et reconnais leur utilité pour les marques... dont la croissance est mon seul job. Mais, je crois aussi que cette croissance doit être engagée, durable, et responsable. Et j'alerte sur les dangers que représentent les monopoles et les prises d'otages de certains acteurs.
- Vous l'avez dit, l'une des missions de l'Udecam est de vous faire entendre auprès des instances. Au vu des recommandations de la CNIL, cela ne semble pas avoir très bien marché, si ?
Nous sommes déçus, c'est certain. Mais nous devons maintenant réfléchir à comment nous faire entendre. Faire jouer la note de coeur ou l'éthique ne fonctionnera pas... pas plus que la dimension financière face au milliard de chiffre d'affaires de Facebook en France et aux 100 milliards de Google dans le monde. Là où nous pouvons jouer, c'est sur l'image et la réputation. Après avoir beaucoup travaillé dans les bureaux, les instances et les commissions, nous devons parler davantage dans les médias, exprimer la force de notre collectif... pour dénoncer, expliquer, proposer et aussi nous réjouir, comme tel est le cas avec la réforme sur l'audiovisuel ou la loi Bichet.
- Concrètement, quel est votre plan d'action ?
Nous devons nous situer, simultanément, sur deux temporalités. D'une part, la marche rapide, c'est de prendre position à chaque annonce, comme la décision de Google de supprimer les cookies. C'est aussi accompagner les élus, comme la députée Avia, sur la granularité de ses projets. Mais c'est, au-delà, d'exister, sur le long terme, de nous développer et de faire grandir nos clients, nos talents et les médias. Nos métiers sont attaqués de toutes parts, et c'est une chance ! Car rien de tel que la concurrence pour prouver notre valeur.
- Justement, la décision de Google de supprimer les cookies d'ici 2 ans signe-t-elle la fin de la publicité digitale ?
C'est très clairement une question qu'il faut se poser. Mais déjà, le danger à très court terme de destruction de valeur et de liberté du consommateur est là. Et montre que les positions dominantes n'ont vraiment rien de bon. Car elles induisent qu'un acteur peut réécrire sans consultation les règles d'un marché entier, et ce par un seul communiqué en anglais ! C'est l'ensemble de l'interprofession qui doit réagir, et ce, notamment auprès des instances gouvernementales.
- N'est-ce pas perdu d'avance... ?
Rien n'est perdu d'avance. Et la réglementation peut être fort utile. Nous avons pu constater le courage de la France dans le cadre de la taxe GAFA. Comme je l'ai dit, je crois beaucoup à l'influence de la réputation. Regardez dans un tout autre registre : pourquoi la pub a-t-elle évolué sur le harcèlement ? Seulement par peur d'être montrée du doigt.
- Parallèlement, vos clients vous mènent aussi la vie dure. De plus en plus d'annonceurs internalisent en effet leur achat média. Le constatez-vous ? Si oui, quel nouveau rôle cela confère aux agences média ?
Les annonceurs n'internalisent pas l'intégralité des achats média, mais plutôt certaines expertises, notamment sur la performance : le SEO, mais plus récemment le SEA. Ceci dit, plusieurs tentatives "in-housing", notamment sur le programmatique, se sont soldées par un constat : cela nécessite de sacrés talents humains et de gros investissements technologiques. D'où des retours en arrière chez certains annonceurs. Malgré tout, nous ne pouvons pas nier ce phénomène d'internalisation du marketing digital qui se joue à l'échelle mondiale... et qui représente un enjeu pour les agences média, celui de se recentrer sur notre métier d'accompagnement du "in housing" et de conseil agnostique, et non plus seulement de trader et d'opérant. Nous devrons ensuite savoir vivre avec ces évolutions de métier. Si vos missions se réduisent, vos rétributions aussi... La vraie question est sur quoi sommes-nous bien payés...? La destruction de valeur sur l'opérant est dramatique. Il n'y a plus de reconnaissance sur une prestation d'achat qui ne cesse d'être négociée et renégociée. Or, ce que l'on doit changer, ce n'est pas de négocier chaque année, mais de prouver la valeur que nous fournissons à nos clients. C'est là que notre dimension conseil est cruciale. Et sur le sujet, nous avons beaucoup à faire sur nous-mêmes!
- Quel impact a sur votre activité l'hégémonie du programmatique, qui représente aujourd'hui 75 % des achats média dans le digital ? Renforce-t-elle votre expertise ?
Oui, car le programmatique induit une nécessité de simplexité, soit simplifier un monde complexe. C'est un marché où la technologie est partout, où une nouveauté chasse une innovation et où règnent les barbarismes en tout genre ! Nous avons donc un sacré rôle à jouer. Mais là où ça devient... compliqué (!), c'est d'intégrer de plus en plus d'expertise alors que les contrats sont toujours plus réduits dans leur rémunération. Regardez : mon agence comprend plus de 50 métiers différents, contre 30 il y a 5 ans. Ce marché, malmené, on l'a vu, par des facteurs exogènes, est aussi attaqué de l'intérieur par des concurrents puissants, les agences conseil. On en a beaucoup parlé à leur arrivée, mais finalement, ont-elles vraiment fait du mal aux acteurs traditionnels de l'achat média ? La concurrence n'est pas là où nous l'anticipions. Mais elle est féroce sur la valeur talents. Car notre richesse, je ne cesserais de le répéter, ce sont nos talents. Sans eux, vous perdez vos comptes et votre raison d'être. Là où les agences conseil sont dangereuses, c'est qu'elles attirent nos collaborateurs et qu'elles les paient davantage. Mais voyons-le comme une opportunité. À nous de nous bouger, d'apprendre et de gagner en agilité... de nous centrer sur notre dimension conseil, et non plus trader et centrale d'achat.