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Quelle voiture pour demain ?

Embouteillages, pics de pollution, changement climatique, hausse du prix du pétrole, pouvoir d'achat en berne... La voiture se doit d'évoluer, au risque de voir son existence remise en cause par un certain nombre de facteurs. Plus écolo, plus économique, hybride ou électrique, l'automobile de demain devra aussi être design et ludique pour plaire aux jeunes conducteurs.

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Au Japon, la voiture ne fait plus rêver les jeunes. Elle est même tombée au 23e rang de leurs préoccupations, supplantée par l'iPod, l'ordinateur, le téléphone portable et les jeux vidéo. Résultat : si, aujourd'hui, la moyenne d'âge des acheteurs de voitures neuves, en Europe, flirte avec la cinquantaine et qu'ils trouvent leur bonheur dans les modèles proposés par les constructeurs, il devient urgent que ces derniers innovent pour essayer de replacer la voiture dans le coeur des jeunes adultes. D'autant que les modèles lancés sur le marché en ce moment ne détonent pas par leur originalité... Et qu'à l'ère de la gratuité et des forfaits Internet tout compris, dépenser de l'argent dans un moyen de transport paraît de plus en plus aberrant aux yeux des plus jeunes. Il faudrait donc que les marques du secteur se penchent sérieusement sur les attentes des enfants, adultes de demain. François Bellanger, directeur de Transit-City, ne mâche pas ses mots. Pour lui, il est clair que « la voiture arrive au bout d'un cycle. Elle a été inventée il y a à peine cent ans et s'est démocratisée en Europe et aux États-Unis au lendemain de la guerre. » La voiture est donc un produit récent, mais « n'a évolué ni dans ses formes, ni dans sa motorisation, ni dans ses modes d'accès ». À en croire ce spécialiste en mobilité, elle est aujourd'hui dans l'incapacité de répondre aux évolutions démographiques aussi bien qu'aux mutations des imaginaires. L'industrie automobile se retrouverait donc dans une impasse, en mal de renouvellement, confrontée à un monde en mouvement, et préférant vivre sur ses acquis...

@ (c) E. Legouhy

François Bellanger (Transit-City):

« Le modèle automobile d'aujourd'hui est à bout de souffle. »

Vive la hausse du prix du baril !

La hausse continue du coût du baril de pétrole et la prise de conscience du réchauffement climatique pourraient bien changer la donne et forcer les constructeurs à revoir leur copie. Et à penser autrement l'automobile, si ce n'est en termes de design, au moins en termes de motorisation. « La hausse du pétrole est une bonne nouvelle, s'exclame François Bellanger. Cela va forcer les gens à bouger. » Toyota, qui a lancé son moteur hybride il y a dix ans, se réjouit aussi de cet éveil des mentalités. Si, pendant longtemps, le constructeur japonais est passé “pour un martien”, se rappelle Philippe Boursereau, responsable de la communication chez Toyota France, aujourd'hui il observe les autres constructeurs adhérer petit à petit au modèle hybride. « C'est une confirmation de notre vision, précise-t-il. Nous souhaitions de longue date ne pas être seuls. Car plus la technologie se répandra, plus les prix baisseront. » Et plus les véhicules hybrides toucheront le grand public. Ainsi, Toyota compte bien vendre, au début de la prochaine décennie, un million de voitures hybrides par an dans le monde, « soit deux fois ce que l'on aura vendu cette année », pronostique Philippe Boursereau. Fort de onze modèles de ce type, Toyota entend doubler son offre en proposant une version hybride sur chacun de ses modèles. Signe tangible de changement, la vitesse et la puissance de la voiture ont été supplantées, dans les publicités télévisées de la plupart des grands constructeurs, par l'argument écologique - à prendre toutefois avec des pincettes, les critères étant variables selon les constructeurs ! C'est néanmoins une preuve que l'écologie est devenue un argument incitatif à l'acte d'achat. « On va vers l'écologie, et c'est tant mieux, renchérit Claude Hugot, directeur de la communication chez Nissan France.

Mais il faut que ce soit à un prix acceptable. » Si les consommateurs prennent conscience de l'effet des émissions de CO2 sur leur environnement, ils ne sont toutefois, dans leur grande majorité, pas prêts à payer plus pour acheter une voiture écologique. Pouvoir d'achat oblige ! Alors, toute incitation financière pourrait modifier la donne. À l'instar de l'écopastille et des primes à l'achat promises par le gouvernement. En effet aujourd'hui, « les voitures hybrides sont haut de gamme », observe François Erner, chargé d'études à la Sorgem. Or, ajoute-t-il, « sans évolution législative forte, on n'a pas l'impression que les gens vont payer pour avoir de l'écologie. » Pas de salut écologique sans critères économiques ? Cela se pourrait bien.

Selon l'Ademe, la voiture de demain devra relever
5 grands défis :
l'énergie, l'effet de serre, la qualité de l'air, le bruit et le recyclage de la voiture.

Vers l'“auto diversité” ?

François Bellanger est convaincu que le modèle unique de la voiture industrielle est révolu: « Il va y avoir une multiplication des motorisations selon les réalités locales. C'est la fin du modèle dominant de la mono-énergie, la fin de la berline et de la domination de l'essence ». Il y aura donc des alternatives par pays, par type d'usage et par type de voiture. Charles Wassmer, responsable innovation et prospective chez PSA, s'érige également contre cette tendance à l'universalité d'un modèle. « Nous sommes aujourd'hui dans des modèles économiques et socioculturels totalement hétérogènes et fractionnés. » Aussi la voiture deviendra-t-elle pour lui « un peu comme un objet darwinien de base, obligé de répondre à certaines formes d'évolution », l'urbanisation, l'écologie et le vieillissement de la population en tête. Charles Wassmer insiste : « Il n'y aura pas qu'une piste d'évolution. Comme on parle de biodiversité, il faudrait parler d'«auto diversité ». Haro donc sur le modèle unique et place à la multiplicité, tant du point de vue de la motorisation que du design et des fonctionnalités !

Mais à quelle échéance ? Difficile à dire, tant le secteur automobile exige un temps de développement long. Difficile aussi de dire comment sera la voiture de demain. Selon l'Observatoire de l'automobile 2008 de Cetelem, « nul doute que la face énergétique de l'automobile va se transformer, mais d'ici la diffusion, à des conditions économiques acceptables, de la solution ultime qu'est la pile à combustible, il est difficile de prévoir avec précision quelles seront les solutions qui s'immisceront entre l'essence et le gazole. »

Si Apple concevait une voiture, la marque reprendrait-elle les codes de son univers auxquels les jeunes sont si attachés?

@ (c) Chris O'Riley

Si Apple concevait une voiture, la marque reprendrait-elle les codes de son univers auxquels les jeunes sont si attachés?

Il est vrai que les possibilités d'évolution se multiplient, du tout électrique à l'hybride, en passant par les carburants plus écologiques, ou encore l'hydrogène. Patrick Coroller, chef du département technologie des transports à l'Ademe, fixe pour sa part cinq défis à la voiture de demain: « l'énergie, l'effet de serre, la qualité de l'air, le bruit et le recyclage de la voiture ». Certains concept-cars présentés dans les grands salons automobiles relèvent d'ailleurs ces défis. Le prototype de la C-Cactus, imaginé par Citroën, rentre dans cette logique. Réduction du nombre de pièces, disparition du tableau de bord, travail sur des matériaux recyclés et recyclables, allégement de la voiture, moteur hybride bridé à 150 km/heure, la C-Cactus correspond tout à fait à l'idée d'une voiture plus légère, plus simple et donc plus économique et plus écologique, ne consommant que 2,9 litres aux 100 km et émettant 78 g de CO2 par km en cycle mixte. Le tout accompagné d'un design tout en rondeur, à la fois rigolo et écolo. Un aspect ludique qui pourrait bien plaire aux plus jeunes, adeptes de la tendance «kawaï». « Ce sont là les nouveaux codes technologiques et esthétiques de la société postindustrielle, qui sont partagés par beaucoup déjeunes dans le monde », souligne Charles Wassmer. Aussi mise-t-il sur des concepts automobiles ludiques, urbains et écologiques. « Cette tendance va se développer chez nous et dans les pays émergents pour les populations les plus jeunes et les plus en pointe. »

Séduire ces jeunes qui n'aiment pas la voiture

Nissan l'a bien compris, avec la Mixim, concept-car imaginé spécialement pour les jeunes qui n'aiment pas l'automobile, par une équipe de designers dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 25 ans. Tout électrique, la Nissan Mixim espère séduire les enfants d'aujourd'hui, accros aux mangas et qui conduiront d'ici dix ans, avec son look futuriste, son volant rappelant le joystick des jeux vidéo et son moteur écolo. Nissan avoue même réfléchir à la conception d'une voiture qui soit l'équivalent d'un iPod ou d'un iPhone. Partir des imaginaires des futurs acheteurs, voilà peut-être la solution pour pallier cette désaffection du modèle automobile traditionnel.

La Pivo 2, présentée par le constructeur au dernier salon de Tokyo, fait aussi partie de ce schéma. Basé sur le même look futuriste rond et coloré, ce concept-car urbain se veut 100% électrique et doté de nombreuses avancées technologiques. A l'instar de son habitacle pivotant à 360° et de son «compagnon cybernétique» sur le tableau de bord permettant une interaction entre le véhicule et son conducteur!

Claude Hugot (Nissan) :

« Nos modèles électriques sont prévus pour 2010. »

Néanmoins, le prix du véhicule constitue encore un frein. Conscient que, pour garantir son succès, la voiture électrique ne doit pas être plus chère qu'une voiture normale, Nissan parle tout de même d'un prix de vente autour de 20000 Euros. Une somme qui n'est pas à la portée de toutes les bourses... L'autonomie et les infrastructures posent un autre problème. Il faudrait installer des bornes pour pouvoir recharger les batteries. C est pourquoi « ce sont les flottes qui vont s'y mettre en premier », explique le directeur communication de Nissan. À l'image de La Poste, ou encore des ministères et des préfectures. Mais pour que les particuliers adhèrent, « il faut que les structures dans les villes soient adaptées », précise-t-il. Il n'en demeure pas moins qu'après avoir été dénigrée pendant longtemps, la voiture électrique revient enfin à l'ordre du jour. Pour preuves, les récentes déclarations du p-dg de Renault-Nissan qui a affirmé vouloir proposer à la commercialisation en France d'ici à 2012 deux modèles de voitures électriques - un Renault et un Nissan - à un prix équivalent, voire inférieur à celui d'une voiture essence, grâce notamment au bonus de 5 000 Euros prévu pour les voitures émettant moins de 60 g de CO2 au kilomètre. Carlos Ghosn estimerait ainsi le marché à près de 3 millions de voitures électriques pour l'Europe à partir de 2010, dans toutes les villes et capitales embouteillées. Le premier lancement d'envergure est prévu pour 2011 en Israël, en partenariat avec Project Better Place, une société visant à réduire la dépendance mondiale vis-à-vis du pétrole. Si le gouvernement israélien doit inciter à l'achat à travers un avantage fiscal, Renault doit pour sa part fournir des véhicules 100% électriques et Project Better Place installer un réseau de bornes de recharge de batteries. Ces dernières seront dissociées de l'achat du véhicule, et obtenues par abonnement. Quant à Nissan et Toyota, ils travaillent chacun de leur côté à la conception d'une hybride “plug-in”, rechargeable à partir d'une simple prise.

Penser le marché différemment

Ces initiatives mises à part, la construction de véhicules électriques reste une véritable révolution culturelle sur un marché dominé par le moteur thermique. Ce qui explique la réticence de la plupart des constructeurs à s'engager dans cette voie. Et aussi ce qui fait dire à François Bellanger que « ceux qui peuvent répondre à ces nouveaux créneaux ne sont pas des acteurs traditionnels », mais plutôt « de plus petits acteurs qui ne sont pas bloqués par des process et des façons de penser ». Il en va ainsi du groupe Bolloré qui, grâce à son association avec Pininfarina, va pouvoir proposer à la vente en Europe, aux États-Unis et au Japon, une voiture électrique d'une autonomie de 250 km en parcours urbain, à partir de décembre 2008, pour une livraison prévue à la fin de l'été 2009. De même, Dassault travaille avec le carrossier Heuliez au développement de la Cleanova, déjà utilisée par La Poste. Guy Nègre, p-dg de MDI, a failli faire les frais de cette domination du moteur thermique. Inventeur d'un moteur à air comprimé, il n'a pas réussi à convaincre un seul grand constructeur français de la pertinence de son projet. C'est un Indien, Tata Motors, qui a acheté la technologie pour pouvoir l'utiliser pendant dix ans sur son territoire. Ce contrat va permettre à Guy Nègre de produire lui-même ses véhicules dans le reste du monde à partir de fin 2008, début 2009. Des modèles mono-énergie seront proposés aux flottes. Quant aux particuliers, ils pourront acheter une voiture bi-énergie (multicarburants et air comprimé) , ne rejetant que de l'air en ville, et entre 30 et 35 grammes de CO2 au km sur route, dès la fin de l'année. Le modèle OneCat sera proposé en entrée de gamme... à partir de 3 500 Euros et en version plus complète à partir de 5 300 Euros. Un prix on ne peut plus attractif! 2010 devrait voir l'entrée sur le marché d'un modèle trois places urbain doté d'un grand coffre pour 9000 Euros. Et, en 2011, une CityCat, proche des volumes de la Renault Scénic, devrait être disponible entre 13000 et 15000 Euros. Preuve s'il en fallait qu'écologie peut rimer avec économie! Et que l'innovation ne provient pas forcément des plus grands.

Dans la région de Montbéliard, FAM Automobiles propose ainsi un concept de mobilité sur mesure (d'une à quatre places, moteur GNV, électrique ou hydrogène) destiné à la circulation en ville, baptisé F-City. Et Assystem a conçu, avec le célèbre designer Franco Sbarro, un véhicule urbain intelligent à moteur hybride à la fois ludique, intelligent et propre. Le président du directoire d'Assystem, Dominique Louis, insiste sur le fait qu'il n'a « pas V ambition d'être un constructeur automobile, mais une force de proposition technologique ».

Coût, design motorisation propre.

Telles sont les trois principales attentes des consommateurs.

Vers des formes de mobilité intelligentes

Une chose est sûre, «il n'y a pas de fatalité à la grosse voiture polluante», glisse François Bellanger. Ainsi, au Japon, sur les 4,5 millions de voitures neuves vendues tous les ans, 1,5 sont des midgets (des voitures très compactes) . «Le Japon est précurseur au sens de l'hyperdensité urbaine, du vieillissement démographique, de V écologie, poursuit Charles Wassmer. C'est une société qui connaît ces phénomènes-là avant les autres.» Résultat: pour accompagner les personnes âgées dans leur déplacement, des fauteuils roulants sont «voiturisés». Les sièges deviennent pivotants, et sont conçus pour éviter d'avoir à se baisser ou à plier les genoux. «Il serait également cohérent d'observer un retour à une forme de fonctionnalisme, explique, pour sa part, François Erner, avec des voitures plus dépouillées, plus légères pour rabaisser les coûts.» Des voitures plus simples également. Mais les contradictions demeurent. Le consommateur est-il prêt à se passer de la climatisation? Il n'aura sans doute plus le choix dans le futur. Car, comme l'indique le prospectiviste Philippe Cahen, «bientôt nous aurons tous un droit individuel à polluer. Le problème aujourd'hui consiste donc à ralentir le développement de la voiture dans les villes. On va arriver à un transport collectif plus souple, à la demande, qui existe déjà dans certaines communes». A l'instar de minibus ou de taxis collectifs.

Néanmoins la voiture reste incontournable. «La puissance symbolique du véhicule demeure», insiste François Erner. Patrick Coroller estime, quant à lui, qu'«il faut que chacun garde sa liberté de se déplacer, sa mobilité, mais une mobilité intelligente» . «Reste à savoir si, en 2020, avoir une voiture ne sera pas un luxe inaccessible au plus grand nombre», observe Philippe Cahen. Les véhicules low cost, comme la Logan ou encore la Nano de Tata Motors, pourraient alors devenir vraiment tendance. Tout comme les véhicules deux places, inspirés de la Smart, dotés d'un petit moteur peu ou non polluant, idéaux pour les trajets urbains. Toyota pourrait alors encore une fois tirer son épingle du jeu, avec son projet de microcitadine iQ capable de transporter quatre passagers (trois adultes et un enfant) tout en mesurant moins de trois mètres. L'idée de véhicules électriques (deux roues ou automobiles) en libre service sur le modèle du Vélib'pourrait également constituer une solution dans les grandes villes. Même si, pour le moment, les propositions d'auto-partage, de covoiturage et de location n'attirent pas grand monde... Le consommateur tient à être propriétaire de sa voiture. Il s'agit donc bien, pour les constructeurs, d'imaginer des concepts de mobilité innovants capables de répondre aux nouvelles attentes, tant en termes de coût, que de design et de motorisation propre. Tout en rendant le véhicule de nouveau désirable, notamment aux yeux des conducteurs de demain. S'ils s'y mettent rapidement, les changements actuels pourraient même bénéficier aux constructeurs en les forçant enfin à se réinventer.

AURELIE CHARPENTIER

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