Quelle ville pour demain ?
La ville évolue en permanence : densité, mobilité, durabilité. Trois défis, parmi tant d'autres, auxquels devra faire face la ville de demain. En 2030, elle sera sans doute pénétrée de réseaux numériques et préoccupée par son empreinte écologique. Probablement aussi, étalée et multipolaire.
Je m'abonneSommaire du dossier
- Marketing et développement durable
- Le développement durable et les Français
- Les entreprises face au développement durable
- Produits : de l'éco-conception à la vente
- Comment communiquer
- Environnement : législatif & éco-labels
- Liens utiles
- Bibliographie
À LIRE AUSSI
Ginza, le très chic quartier de Tokyo, vient de tenter une première
mondiale. Depuis fin janvier, grâce à des dizaines de milliers de capteurs
insérés dans deux rues passantes, les Tokyoïtes sont immergés dans un large
réseau de communication radio. À tout moment et en fonction de leur
localisation, ils peuvent recevoir, via un petit appareil numérique, des
informations sur des boutiques, des offres promotionnelles mais aussi des
itinéraires. Baptisée “Tokyo Ubiquitous Project”, cette expérimentation,
soutenue par le ministère du Territoire japonais, pourrait, si elle est
concluante, s'étendre à tout le pays. Mais aussi inspirer d'autres villes dans
le monde. Car la cité numérique est loin d'être une utopie réservée seulement
aux Asiatiques technophiles. Si la “Ketaï city” – ville du téléphone portable –
est plus avancée au pays du Soleil levant où l'opérateur NTT DoCoMo a réussi à
faire du mobile un instrument essentiel dans la vie de tout citadin qui se
respecte, la France, elle aussi, travaille sur le concept.
La ville de demain : une ville communicante
Car si un vent de débat souffle sur la
densité, les transports alternatifs et la mobilité urbaine, de nombreux acteurs
publics et privés planchent ensemble, depuis des mois, sur le concept de “ville
communicante”. Les premières applications devraient même sortir prochainement,
avance-t-on chez JCDecaux. Déjà, les publicités interactives ont fait leur
apparition l'an dernier dans le mobilier urbain, mais « ce qui existe
aujourd'hui pour la publicité sert aussi de test pour la diffusion
d'informations et de services, affirme ainsi Albert Asseraf, directeur
stratégie, études et marketing de JCDecaux. La ville devient “pervasive” : ce
ne sont plus les lieux que l'on doit connecter ensemble mais l'individu avec le
lieu. »
Appliqué à la ville, ce terme encore barbare prend appui sur la
massification des objets numériques dans la rue, sur la route, dans les lieux
publics… C'est l'avènement d'Internet, des objets dans leur dialogue avec le
citadin. Science-fiction ? Rien n'est moins sûr. Dans les prochaines années, la
ville, du mobilier urbain aux vitrines des commerçants, sera jalonnée de
petites puces qui permettront d'envoyer des informations, commerciales ou non,
à notre “compagnon personnel numérique”, téléphone mobile, PDA ou autre
assistant numérique. Des informations ciblées en fonction de notre profil grâce
à l'aide des multiples données (âge, sexe, profession, habitudes de
consommation, etc.) enregistrées dans notre assistant et géolocalisées. « Déjà,
Internet facilite et fluidifie la ville. Demain, on ne pratiquera plus la ville
sans côtoyer Internet, confirme Bruno Marzloff, président du groupe Chronos.
Aujourd'hui, les objets communicants et les puces diverses peuvent dialoguer
entre eux ou avec les hommes, et ils font également communiquer les individus
entre eux. Et ces outils high-tech sont déjà plus nombreux que les hommes. »
Pour le sociologue, les transactions de machines à machines dépassent les
échanges entre humains. Allons-nous vers une ville à la “Minority Report”,
comme dans le film de Steven Spielberg, où l'individu est traqué dans chacun de
ses déplacements ? Les promoteurs de ce type de projet se veulent rassurants, à
l'instar d'Albert Asseraf pour qui « ce sera toujours à la demande de
l'individu ». Un individu qui prend clairement la main sur la ville comme il
l'a prise sur les nouvelles technologies. « Il y a une individualisation des
modes de vie qui accélère le mouvement d'urbanisation », note Daniel Kaplan,
délégué général de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) avant
d'ajouter : « L'endroit où l'on construit son destin, c'est bien la ville. »
Et, les grands opérateurs du Web l'ont bien compris à l'instar des Google,
Yahoo ! et autres MSN et AOL, qui ont eux-mêmes entrepris de déployer des
ressources pour cet urbain nomadisant. « Ils ont fait de leurs outils des
instruments de connaissance de la ville, de navigation sur ses réseaux,
d'orientation sur ses ressources, remarque Bruno Marzloff. Les développements
les plus récents d'Internet vont dans ce sens ».
Pour Christophe Rebours, p-dg
d'In Process, « grâce aux avancées technologiques, la ville va servir de point
d'appui au citadin. Elle va l'aider à construire sa mobilité par des points de
recharge, par exemple, pour ses véhicules, pour télécharger de la musique, pour
se connecter à Internet, etc. » Ainsi, la RATP imagine, avec le MIT
(Massachusetts institute of technology), des “Stations 2.0” où l'attente du bus
est optimisée par la recherche d'informations sur le trafic mais aussi le
visionnage numérique d'œuvres artistiques, de téléchargements de vidéos ou de
réservation du vélo en libre-service qui vous attend au bout de la ligne de
bus… Bref, le citadin-caméléon-consommateur-citoyen, à facettes multiples,
redevient acteur grâce à une ville servicielle.
… intemporelle…
Exit donc la ville qui, autrefois, était réglée sur
un rythme homogène du métro-boulot-dodo avec ses horaires de pointe et ses
heures creuses. « Les transporteurs publics constatent une modification des
flux. Les pointes se sont étalées et désormais les citadins font des trajets
zigzagants », remarque Daniel Kaplan. 35 heures, horaires décalés, fragmentés,
retour dans les villes des classes inactives comme les étudiants et les
retraités… le 8 h/18 h n'a plus beaucoup de sens. Pour s'adapter aux nouveaux
besoins des citadins, la ville va de plus en plus fonctionner en continu à
l'image de ce que l'on peut voir au Japon avec le succès de la chaîne 7-Eleven.
Cette dernière a créé un modèle exemplaire en matière de services, de
flexibilité d'approvisionnement et de proximité, pour le consommateur japonais.
S'il n'est pas encore prévu qu'elle débarque en France, « l'épicier du coin a
enclenché le mouvement », glisse Daniel Kaplan. Les magasins ouvrent ainsi
progressivement le dimanche, les Monop' permettent aux cadres supérieurs de
faire leurs courses jusqu'à minuit, le métro parisien fonctionne une heure de
plus les samedis soirs et veilles de jours fériés… Malléable dans ses horaires,
la ville l'est aussi dans ses lieux. Le phénomène n'est pas nouveau mais il
prend de l'ampleur.
« L'étalement temporel est une façon de réduire la densité
que nous allons davantage connaître », note Bruno Marzloff. La ville se
transforme au gré des événements et des saisons. Les quais de la Seine se
transforment en bords de plage, les murs des immeubles en écrans de cinéma ou
en supports de tableaux numériques… La ville devient terrain de jeu, de loisirs
pour tous. « On demande autre chose à la ville et l'on y participe différemment
», explique Daniel Kaplan, qui a créé le groupe de réflexion “Ville 2.0”
rassemblant de nombreux acteurs privés et publics. « Elle devient une
plateforme d'innovations techniques, économiques, urbaines mais aussi sociales
et collectives. Elle exploite les technologies pour organiser la cohabitation
des rythmes des citadins, des entreprises, des administrations, mais aussi
entre le temps court des réseaux et le temps long des décisions collectives ou
des infrastructures », souligne-t-il dans un “Manifeste des villes
2.0”.
… multipolaire…
On l'aura compris, l'adresse
virtuelle comptera autant que l'adresse physique. D'ailleurs, « la ville de
demain sera celle où on vivra, on travaillera, on jouera aussi bien dans
l'espace physique que dans l'espace numérique », promet Dominique Large du
cabinet d'études marketing et design Dezineo. Si elle change dans sa façon
d'être, son architecture et sa forme évoluent lentement en France. Lourdeurs
administratives, conservatisme des résidants, poids du patrimoine, les
obstacles sont nombreux. Résultat : les centres ne se métamorphosent pas. « On
vient consommer de la ville, souligne Thierry Paquot, professeur à l'Institut
d'urbanisme de Paris et éditeur de la revue “Urbanisme”, mais on y vit
finalement assez peu ».
En fait, 54 % des “urbains” français vivent à la
périphérie de la ville et le mouvement n'est pas prêt de s'arrêter. Notamment
en raison du coût élevé des logements urbains. Selon les travaux d'Ingrid
Nappi-Choulet, économiste expert immobilier et professeur à l'Essec, la
capacité d'achat d'un primo accédant de 20-40 ans et gagnant entre 30 000 à 33
000 euros par an serait seulement de 48 m2 en ville ! Avec de grandes
disparités selon les régions : de 27,5 m2 à Paris, à 60,8 m2 à Bordeaux. Mais
ces différences tendent à s'amenuiser notamment entre le centre-ville et sa
périphérie, pour l'Ile-de-France en particulier. « Depuis cinq ans, nous avons
perdu 10 m2, soit l'équivalent d'une pièce, s'alarme Ingrid Nappi-Choulet. Les
cycles immobiliers ne sont pas de 25 ans et les baby-boomers ne sont pas
éternels : la tension sur les centres-villes devrait être moindre d'ici à 2030
», relativise tout de même Alain Sallez, président de l'Observatoire de la
ville. « Il est donc possible que l'on voit, d'ici quelques années, une
réappropriation du centreville par les habitants, à l'image de ce que l'on
observe déjà dans la ville canadienne de Vancouver ou en Californie »,
reprend-il.
Pour autant, même si l'étalement urbain pose des problèmes sociaux
et écologiques (notamment concernant les distances entre domicile et travail,
responsables à leur tour des émissions de CO2), il est encore considéré comme
l'avenir des villes à court et moyen termes. C'est en tout cas l'avis des élus
et urbanistes qui se sont retrouvés, en février dernier, à l'occasion du
premier débat de l'Observatoire de la ville consacré à la thématique “Densités
urbaines : quelles opportunités pour demain ?”. « Il va se produire, d'ici 20
ans, une tension entre deux forces opposées : d'une part, la volonté publique
de renforcer la densité de la ville pour une question de rationalité des
services publics et d'écologie et, d'autre part, le souhait de la population
d'habiter dans un logement individuel », soutient Alain Sallez. Symbole de cet
antagonisme : la question de l'implantation de tours dans Paris intra-muros qui
divisent élus et résidents. Résultat : les scénarios les plus probables
dessinent tous une ville étendue et multipolaire. Selon l'Observatoire de la
ville, les stratégies les plus envisageables sont celle de l'étalement de la
ville sur les axes de transports en commun, à l'instar de Nantes ou à Bordeaux,
ou le développement d'espaces urbains en archipels avec un centre très compact
entouré d'une green belt, comme à Rennes.
… et durable
La densité et la mobilité urbaines font donc aujourd'hui l'objet d'intenses
débats, à condition qu'elles soient passées au filtre du développement durable.
La ville de demain sera donc durable ou ne sera pas. En France, les premières
tentatives de quartiers entièrement guidées par des préoccupations
environnementales sont encore balbutiantes : un projet d'écoZac est en
réflexion dans le XIIIe arrondissement de Paris mais le premier écoquartier
devrait voir le jour dans le Nord, en 2008. Dans une ancienne zone industrielle
de 80 hectares, Lille va en effet créer un quartier HQE (haute qualité
environnementale) où vivront 10 000 personnes. Une démarche qui s'inspire, mais
à moindre échelle, des réalisations de Fribourg (Allemagne) ou de l'éco
quartier de BedZED (Beddington zero energy development), dans la banlieue de
Londres.
Dans ce dernier, la conception des bâtiments et la mise en place d'un
réseau de transports en commun “écologique” ont notamment permis d'économiser
70 % de la consommation énergétique et de réduire de 75 % le volume des
déchets. Mais au-delà de ces expériences pilotes, l'argument écologique est
désormais intégré à tous les schémas directeurs et plans transports des zones
urbaines, que ce soit par la réduction du trafic des véhicules individuels,
l'augmentation du réseau de transports en commun ou la réduction de ses
émissions de gaz à effet de serre, la gestion de l'eau ou des déchets, la
construction de bâtiments aux normes HQE ou le développement d'écoquartiers…
L'exemple vient encore souvent du nord de l'Europe mais les pays asiatiques ne
sont pas en reste, comme le montre l'exemple chinois de Dongtan. L'Asie, ce continent en mutation, est bel et bien une source d'inspiration pour la ville de demain.
Les Français et la ville
“La ville de demain est le lieu de désirs et de peurs contradictoires, un terrain d'opportunités mais également de contraintes qui, en fonction des choix et des réflexions de ses principaux acteurs, est susceptible de prendre des visages différents.” Voilà le constat que livre TNS Sofres suite à une enquête* réalisée auprès des Français pour connaître leur perception de la ville et leurs désirs d'habitat. « Les Français sont majoritairement satisfaits du lieu où ils vivent », précise d'abord Brice Teinturier, directeur du département Politique et opinion de TNS Sofres. Mais si on leur demande où ils souhaitent habiter en priorité, un tiers choisit la ville dont 15 % en centre-ville, en particulier les seniors, les cadres, les professions intellectuelles (22 %) et les classes les plus aisées. En revanche, 33 % préféreraient vivre à la campagne et 21 % en périphérie des centres-villes.
Paradoxe : 87 % voudraient résider dans un habitat individuel, si possible avec jardin et proche à la fois des commerces et des transports… Quant à l'habitat collectif, il fait peur : un tiers des Français l'associent à l'anonymat, à la densité et à l'insécurité, et ce, d'autant plus qu'il est haut. Quand on les interroge sur la ville de demain, trois Français sur cinq pensent que, dans une dizaine d'années, les gens y vivront plutôt moins bien. Ils la décrivent à la fois plus peuplée (73 %), plus anonyme (68 %) et plus dangereuse (50 %), même si plus animée (63 %).