Quand toutes les villes imitent Las Vegas
Et si, loin d'être une exception, Las Vegas n'était au contraire qu'une synthèse des grandes règles du développement urbain du XXIe siècle ?
Je m'abonneÀ LIRE AUSSI
Véritable célébration du faux et du kitsh réunis, Las Vegas a toujours
fasciné les architectes et les urbanistes. Dans son célèbre livre “Learning
from Las Vegas”, paru en 1972, Robert Venturi tentait même de démontrer que,
pour la première fois dans l'histoire urbaine, l'espace d'une ville n'était
plus dominé par l'architecture, mais par le “signe”. La construction de
méga-hôtels s'inspirant directement de vraies villes (comme le New York New
York, ouvert en 1997, ou le Paris, ouvert en 1999) ou d'une nature idéalisée
(fausse île tropicale au Mandalay bay, faux ciel au Caesar's Palace) semblait
confirmer cette tendance faisant de Las Vegas une ville totalement à part, peu
duplicable si ce n'est, peut-être, dans certains quartiers de Dubaï, Macao,
Singapour ou Tokyo.
Surpuissance de l'entertainment
Mais si à l'opposé de cette opinion largement dominante, on considérait au
contraire que Las Vegas était une ville totalement banale, dont la seule
originalité n'était en fait que de concentrer sur quelques acres toutes les
nouvelles recettes du développement urbain ? C'est ce que fait en tout cas - et
avec beaucoup de talent - le philosophe Bruce Bégout dans son excellent livre
“Zéropolis” (éd. Allia, 2002) qui estime que « la culture consumériste et
ludique qui a transfiguré La Vegas depuis trente ans gagne chaque jour plus de
terrain dans notre rapport quotidien à la ville, où que nous vivions ». Pour
lui les choses sont claires : « Ce qui s'est mis en place au cœur du désert de
Mojave, la surpuissance de l'entertainment qui dicte le cours de la vie,
l'organisation de la ville en fonction des galeries marchandes et des parcs
d'attractions, l'animation permanente qui règne jour et nuit dans les rues et
les allées couvertes, l'architecture thématique qui mélange séduction
commerciale et imaginaire enfantin (...), nous connaissons déjà tout cela et
allons être amenés à le vivre de manière plus habituelle encore. » A ceux qui
estimeraient cette analyse un peu excessive, on ne saurait leur rappeler que
les grands concours d'aménagement urbain ayant eu lieu en France ces derniers
mois, que ce soit à Lyon (projet Confluence), à Vaulx-en-Velin (projet Carré de
Soie) ou Marseille (Les Terrasses du Port), s'organisaient tous autour d'un
centre commercial axé sur les loisirs et les activités nocturnes. Le cas
exceptionnel de Marne-la-Vallée, dont le développement de la zone
septentrionale fut directement lié à celui de Disneyland et au centre
commercial de Val d'Europe, s'est aujourd'hui généralisé. Le fun shopping et
l'entertainment sont devenus les principaux producteurs de l'espace urbain dans
de nombreuses villes.
Néons
Même si les élus français
et les aménageurs refusent de l'admettre, le modèle Las Vegas est donc déjà
largement implanté dans leur tête. On ne citera, pour exemple, que leur
nouvelle fascination pour les magies du néon (voir le Festival des Lumières à
Lyon ou La Nuit Blanche à Paris), dont la “ville du vice” fut la première dès
1941 à en exploiter toute les ressources. On pourrait aussi évoquer leur
obsession d'attirer les touristes autour d'alibis plus ou moins culturels
(comme à Las Vegas) ou d'attirer les hommes d'affaires lors de vastes
conventions festives (comme à Las Vegas), bref d'essayer par tous les moyens de
drainer de la richesse. Mais, en France, il est toujours aussi impoli de dire
que nos nouveaux modèles urbains viennent des Etats-Unis. Et pourtant…
A lire
“Zeropolis”, B. Bégout, éd. Allia 2002 “Learning from Las Vegas”, R. Venturi, éd. Cambridge “Shopping”, sous la dir. de R. Koolhas, éd. Taschen “Las Vegas”, J. Heimann, éd. Taschen “Las Vegas parano”, H. S. Thompson, éd. 10/18