Les marketeurs aussi ont droit au conseil 2/3
Consultants, sémiologues, cabinets d'études, bureaux de style, gourous et experts en tout genres... Pas facile pour les entreprises de s'y retrouver dans cette industrie de la matière grise. Pas aisé non plus, pour tous ces conseillers, de forcer la porte du marketing qui s'enferme dans son donjon avec les clés de la stratégie. Pourtant, sous la pression des marchés, les marketeurs ont de moins en moins de temps à lui consacrer.
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Où est la stratégie ?
« Le vrai chef d'entreprise doit
faire ce qui n'a jamais été fait. Quand on doit prendre ce genre de décisions,
on se retrouve tout seul. Il y a une vraie solitude du manager et cette
position est très proche de celle de l'artiste. Ce sont des décisions
stratégiques qui vous isolent », estime Patrick Mathieu de Patrick Mathieu
Conseil (voir p. 71). Ces considérations appellent une question simple : qui
est donc le garant de la stratégie ? Contrairement aux pays anglo-saxons, et
même si les grosses entreprises (Renault, Danone, Nestlé ou L'Oréal),
consomment énormément de conseil, il semble indécent, en France, d'envisager
qu'elle puisse être inspirée, ou pire dictée, par un intervenant extérieur.
Cela en donne une image figée, peu compatible avec la nouvelle mobilité des
cibles consommateurs. « Nous définissons la stratégie et ensuite, on fait appel
à des gens qui nous aident en apportant d'autres regards, explique Jean-Paul
Manet, directeur du labo innovation de Nestlé. Ce qu'on attend, c'est un angle
de vue transversal que nous n'avons pas. Les conseils extérieurs travaillent
sur tout un tas de secteurs. Nous, nous avons mis au point un process en
interne qu'on leur demande d'appliquer. » Même idée à La Poste. Comme l'indique
Nathalie Rouvet, directrice de la marque, « la stratégie est dans l'entreprise.
La déléguer serait dangereux. Quand on est dans l'entreprise, on a une
meilleure idée de ce que l'on cherche. Il y a une vraie nécessité de
s'alimenter, de réfléchir, en faisant appel à des structures intelligentes. Il
ne s'agit pas de tout vouloir internaliser, mais je crois que le chef
d'orchestre ne doit pas se trouver à l'extérieur. Même si la question du temps
disponible se pose. »
Des monceaux d'études
Le temps
pose un vrai problème aux responsables marketing. Comme l'explique Béatrice
Fleck-Lecarme,
« d'après une
enquête que nous avons menée, on constate un grand décalage entre ce que les
responsables marketing estiment essentiel dans leur stratégie (innovation,
compréhension du marché et des consommateurs) et le temps qu'ils y consacrent.
» Laurent Dupuis estime que le temps consacré à la réflexion ne dépasse pas 5 à
10 % de leur temps de travail annuel. « Ils le font lors d'exercices formels,
de présentations qui sont des passages obligés, mais ça n'est pas géré comme un
processus. » Pourtant, il n'est un secret pour personne que les responsables
marketing, du chef de produit au directeur, subissent ces temps-ci une pression
maximum qui justifieraient grandement des partenariats permanents avec des
consultants. « On sent un vrai désenchantement dans les entreprises. Les
facteurs, ce sont la pression concurrentielle locale et mondiale, les ratios de
croissance difficiles à tenir, souvent au détriment de la qualité et de
l'innovation qui demandent du temps et des moyens. Plus les gens sont pressurés
et considérés comme des pions dans un pur système de rentabilité, plus le
cercle vicieux de la désimplication s'accentue, ce qui va à l'inverse du
développement de l'entreprise », détaille Fanny Vielajus. Parmi les signes de
cet état dépressif, les marketeurs croulent sous des piles d'études en tout
genre qu'ils ont souvent bien du mal à synthétiser pour agir.
« Il est louable
de multiplier les points de vue, mais tout peut être dit sur un sujet.
L'important, c'est que quelqu'un digère la somme de ces points de vue »,
analyse Adeline Attia, directrice générale de Allegoria Consultants-Qualitative
Village.
Pas d'outil d'aide à la décision
Les
consultants n'en finissent pas de vitupérer à la vue des mètres-cubes d'études
commandées chaque année. « Quand on ne veut pas innover, on teste tout dans
tous les sens et cela donne une soupe non-décisionnelle », estime Frédéric
Loeb, fondateur de &Loeb. On remarque en effet, que si les entreprises
regorgent d'outils d'analyse de marché, les outils permettant de prendre des
décisions sont quasiment inexistants. « Il n'y a pas d'outils de décisions en
entreprise. Dans le cadre d'un cours, j'ai demandé pendant un an à des élèves
d'étudier tous les systèmes de décision existants. La conclusion, c'est que
tous ces systèmes équivalent à ne pas prendre de décision. La notion de process
est un système de non-décision à peu près aussi efficace que le "gon-ogo", ce
pendule que les bureaucrates utilisent dans le film Brazil », s'insurge Pascal
Fleury, directeur de Trilogy. Et de poursuivre. « Ça ne sert à rien de compiler
des tonnes de données brutes dans un gros classeur, aujourd'hui, il faut faire
synthétique. Rien ne me met plus en joie que lorsque je vois mes rapports tous
gribouillés et bardés de Post-it. Là je me dis que je n'ai pas travaillé pour
rien, et cela confirme que les outils obsolètes et sursophistiqués vont
disparaître. »
Reprendre contact avec le consommateur
« Les consommateurs ont changé mais pas les outils, estime Frédéric Loeb. Il y
a une accélération de la professionnalisation du consommateur. Il faut
réinventer les tests, apprendre à réinterpréter ce qu'ils disent. En groupe, le
consommateur vous parle de politique-produits, de mix-marketin... Il est très
informé et sait comment il doit se comporter, et ce qu'on attend de lui. Par
exemple, les Latins répondent toujours, même s'ils ne savent pas. Pour eux,
dire "je ne sais pas" est inacceptable. » Un type d'attitude qui biaise
inévitablement les résultats. Pour mieux préparer les évolutions et
l'innovation, les entreprises se sont appuyées sur les études, mais, comme le
déplore Pascal Fleury, « elles les ont progressivement coupées du monde réel et
du consommateur. Résultat : pour le marketeur, les enfants, ce n'est bien
souvent qu'une image sur son bureau. » Le mythe de l'entreprise triomphante, le
supermarché assimilé à un store-check et le marché réduit à des statistiques,
voilà ce qui a mené à trop d'abstraction et ce qui a motivé les entreprises,
début 2000, à adopter un nouveau credo : reprendre contact avec le
consommateur. « L'ordre est venu de très haut de subordonner les études au
marketing et de rentrer en contact avec le client », raconte Pascal Fleury.
D'où le développement de l'ethno-marketing, qui consiste à regarder le
consommateur vivre avec son produit, une méthode estimée beaucoup plus efficace
que le déclaratif (lire également dans ce numéro le dossier Etudes
Qualitatives). Mais les pros du consulting ne crient pas tous haro sur les
vieux outils. « Tous les outils sont bons. Le problème, c'est qu'est-ce qu'on
en fait ?, estime, pour sa part, Georges Lewi, directeur du High Co Institute.
Je ne suis pas persuadé que les outils soient inadaptés mais comme "trop d'info
tue l'info", trop d'outils empêche de distinguer et tue la vision. Si vous
écoutez France Info toute la journée, vous connaissez les nouvelles du jour par
coeur certes, mais, vous devenez fou et vous oubliez totalement leur
hiérarchie. »
Consulting : la valse des honoraires
«On ne nous appelle pas de manière préventive, mais seulement quand l'entre-prise a un problème et qu'elle a déjà essayé d'autres solutions... déplore Laurent Dupuis de Polémarque. C'est sans doute une raison qui rend les honoraires de la profession difficile à normaliser. « Vous voyez une dizaine de médecins, de 15 E à 152 euros et vous allez toujours mal. Vous en voyez un qui vous dit, "voilà vous avez telle maladie, il faut faire ça". Alors même cher, vous prenez. Sur la base de ce principe, il m'arrive d'intervenir pour 3 à 4 600 euros la journée », explique un consultant. Dans ce contexte, la valeur du conseil est donc irrationnelle et l'entreprise est souvent prête à acheter une solution quelle que soit sa valeur. Quand les sociétés se font rémunérer à l'heure, elles essuient des reproches. Le principe ne passe toujours pas en France. Même les avocats peinent à l'imposer, alors que leurs homologues anglo-saxons le pratiquent couramment. « Les clients pensent souvent que l'argent va directement dans la poche du conseilleur, détaille Laurent Dupuis. Nos interlocuteurs ne peuvent pas s'empêcher de rapporter notre tarif horaire à leur propre salaire. La différence, c'est que moi pendant une heure de conseil, je suis 100 % efficient et je me consacre à une problé-matique. On paie ma capacité à comprendre et à dire, mais ça reste difficile à faire passer. » Selon Georges Lewi, il n'est pas certain que cela soit normalisable. « Il est sûr qu'un type tout seul, peu connu se vendra mal. Parallèlement, un gros cabinet qui propose un junior à une entreprise ne saura pas le vendre à moins de 310 E par jour. Cela nous renvoie à une logique de gourous, dont les cotes seraient variables en fonction de leur couverture médiatique. Mais ça ne permet pas pour autant aux mauvais de durer. Après qu'un consultant propose des services sur des domaines où il est moins compétent parce qu'il y a un marché, c'est autre chose... »
Planning stratégique ou consultant ?
Quand elle n'a pas de ligne budgétaire, l'entreprise demande à son agence de pub, qu'elle paie cher, de réfléchir pour elle. Cela, c'est évidemment, le point de vue des consultants, qui ajoutent que c'est comme si on demandait aussi à son dentiste de vous soignez le ventre... ! Côté grosses agences, on reste serein. « Avant d'arriver à une campagne, il y a toujours une réflexion stratégique. Si on travaille sur le positionnement d'une marque, bien sûr qu'on travaille en amont », explique Xavier Charpentier, planner stratégique de Publicis. « Ce métier a toujours été très difficile et challenging. Cela dépend des cultures clients, des relations qu'elles ont avec leurs agences, de la rémunération... Ce qui a changé en bien, du fait du plus grand professionnalisme chez tous les clients, c'est qu'ils sont plus difficiles à convaincre », poursuit le planner. Mais certains ex-publicitaires sont moins tendres sur la compétence des agences. Chantal Brégeault (ex-Publicis) et Marc Bourgery (ex-McCann), aujourd'hui dirigeants de Kitsuccess, s'insurgent volontiers contre un certain laxisme : « J'ai toujours été gêné par cette fonction qui subvenait au manquement des commerciaux », reconnaît Marc Bourgery. « Les commerciaux ne sont plus capables de faire de la stra- tégie. ils sont réduits à la gestion des budgets et des délais (ndlr : comme leurs interlocuteurs chez l'annonceur), à une fonction strictement opérationnelle de porteurs de maquettes », enchaîne Chantal Brégeault. « En revanche, si les planners sont des gens intelligents, ils n'ont pas la complicité que les com-merciaux ont avec leur client. On les sort quand ce dernier dit, "J'en ai marre de cette agence qui ne réfléchit pas..." », s'accordent à dire les consultants de Kitsuccess. « En bref, on se rend compte que beaucoup d'annonceurs ne considèrent plus leur agence comme un partenaire stratégique.»