L'art contemporain, un autre regard pour l'entreprise
En marge d'une activité de conseil en stratégie plus classique, Patrick Mathieu*, fondateur de Patrick Mathieu Conseil, a expérimenté depuis quatre ans sur une dizaine de sociétés, la confrontation entre travail artistique et problématique d'entreprise. Une méthode inédite qui agit comme un révélateur et permet aux marketeurs de trouver des solutions via la création de nouveaux points de vue.
Comment vous est venue cette idée de rapprocher art et entreprise ?
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Au quotidien, l'entreprise utilise ses valeurs et a
peu de temps pour y réfléchir. Mais même au quotidien, il est difficile d'y
mettre du contenu. On constate souvent un phénomène de réduction et de
banalisation dans le passage entre mots et valeurs. Notre méthode vise à
élargir le champ de vision sur ce qu'elles sont. L'intéressant en art
contemporain, c'est de comprendre la démarche avant d'apprécier ou non l'image.
Or, on s'aperçoit qu'artistes et entreprises ont des questionnements communs.
L'idée est donc d'analyser la démarche des artistes pour enrichir celles des
entreprises. En ouvrant l'esprit des gens sur leur propre problème, on permet à
l'entreprise de poser sa problématique et/ou ses objectifs différemment.
Où se rejoignent ces questionnements par exemple ?
Faire le même geste toute sa vie, faire travailler ensemble des gens qui ne
savent pas travailler ensemble, devenir célèbre, sortir d'une situation
bloquée, quel statut donner à ses consommateurs ... pour ne citer que
ceux-là.
Comment procédez-vous ?
Le premier travail
consiste à identifier le propos récurrent chez l'artiste. Côté entreprise, on
part de la problématique sur laquelle l'entreprise sèche puis on confronte les
deux univers. Le produit final consiste ensuite en un brief pour les différents
prestataires de l'entreprise. Ca n'est jamais une seule réponse mais une
proposition pour mieux penser. Depuis quatre ans, nous avons beaucoup travaillé
sur la méthode. Mais ce ne sont pas des choses qui se font dans l'urgence. Le
rythme de ce travail ressemble plus à un rythme de formation que de conseil.
Cela fonctionne, même si vos clients ne sont pas sensibles à l'art contemporain ?
La plupart ne s'y intéresse pas ou ne connaisse
pas. Mais cela ne pose aucun problème. Quand on met ça en oeuvre, les gens ne
réagissent pas en tant que dirigeants mais en tant qu'individus qui font du
marketing. Une fois que chacun a trouvé sa propre connexion par rapport à
l'oeuvre et l'artiste, ça va. L'étrangeté est toujours intéressante à
travailler. C'est beaucoup plus riche que "j'aime", "j'aime pas". On ne leur
demande pas d'aimer, mais de reconnaître que le travail existe, que sa qualité
est reconnue, que ça les concerne et que cela permet de travailler.
Pouvez-vous nous parler d'un cas concret ?
Une société
de cosmétiques s'interrogeait sur le thème : "est-il vraiment possible
d'acheter la même marque toute sa vie ?". A l'interne, ils avaient des
croyances par rapport à ce problème, ils se racontaient des histoires. Et
pratiquement, leurs équipes de marketing relationnel avaient de vrais problèmes
avec la durée. A ce stade, ce n'est plus du marketing mais de la philosophie,
de l'éthique, des notions de liberté... En fait, ils vendaient "Le choix qui
enferme". On leur a proposé de travailler sur cette question philosophique du
choix unique. En interne, ils avaient compilé beaucoup de points de vue sur la
question, mais aucun ne les aidait. On leur a proposé d'aller voir un artiste
qui fait la même chose tous les jours depuis trente-sept ans et pour lequel
c'est positif.
De qui s'agit-il ?
De Roman Opalka. En
1965, cet artiste polonais décide de peindre chaque jour un chiffre sur une
toile, de un à l'infini. C'est un principe qui peut sembler carcéral et une
décision difficile, car ensuite on ne fait rien d'autre. En réalité, il a créé
un système, un mode de fonctionnement dans lequel il trouvait quelque chose
d'essentiel. En étudiant les valeurs de son travail, on distingue trois idées
: la ritualisation du temps ; le fait que tout ce travail est en rapport avec
son corps, les tableaux font sa taille. Il s'enregistre et se prend en photo à
chaque fois qu'il peint, dans la même tenue, le même cadre. Et ces tableaux
sont de plus en plus pâles car il va vers la mort. Enfin en s'affranchissant
des contraintes, il crée un état de plaisir, une présence et exprime son goût
de la vie. On s'aperçoit donc qu'en s'inscrivant autant dans le fil du temps,
il acquiert une liberté par rapport au temps. C'est un projet pour toute une
vie.
Comment avez-vous lié cela à la problématique de votre client cosmétique ?
Pour eux, la ritualisation était forcément opposée au
plaisir. Sur la base de cette confrontation, on a fait émerger un système de
pensée cohérent par rapport au marché. Séminaire, communication clients..., on
a travaillé différents publics en repartant de choses très pragmatiques et en
s'aidant sur chaque point de la réflexion de cet artiste. Le travail a porté
sur une cinquantaine de sujets ainsi que sur des études clientes. Il a
influencé de nombreuses décisions, pas forcément spectaculaires mais révélant
des problèmes lourds. Le regard qu'on va chercher chez l'artiste est plus
intéressant et moins plat que tout ce qu'offrent les outils d'études
traditionnels.
Quelles autres applications pourrait avoir cette méthode ?
Nous commençons à l'utiliser en inno-vation-produit. *
Entre deux expériences au planning stratégique chez Saatchi puis CLM, Patrick
Mathieu s'est occupé d'une galerie d'art contemporain. C'est lui qui a choisi
la photo illustrant ses propos.