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La création de noms à la croisée des chemins

Inconfortable, le métier de créateur de noms par les temps qui courent. Habitués trois ans durant de 1998 à 2000 à des croissances à deux chiffres, les sociétés de création de noms, qui ont déjà connu une année 2001 difficile, continuent de souffrir en 2002. Doivent-elles se concentrer sur leur cœur de métier ? Élargir leur champ de compétences ? Travailler en partenariat plus étroit avec d'autres conseils ? L'heure est à la réflexion.

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Finis les jours heureux où l'économie était florissante, où les jeunes loups de la Net Économie se pressaient à leurs portes en quête du nom rêvé pour les sites qu'ils lançaient dans l'urgence. De mémoire de professionnels, qui ont pourtant l'habitude de travailler dans l'instant, on n'avait encore jamais vu cela. L'éclatement de la bulle internet a porté un coup dur à toutes les progressions de chiffres d'affaires. Les attentats du 11 septembre 2001 ont conforté encore la tendance, alors que l'incertitude des élections successives, le hiatus des vacances, les mauvais résultats de la Bourse ont empêché la reprise.

« Même des clients avec qui nous avions l'habitude de travailler régulièrement ont arrêté ou retardé des lancements, et les responsables mettent de plus en plus de temps à se décider », constate Rodolphe Grisey, directeur associé de Demoniak.

« C'est tout le marché du conseil qui souffre, souligne Ivan Gavriloff, P-dg de Kaos. Ce n'est en aucun cas un désaveu du métier de création de noms. » Dans un tel contexte, que peuvent faire les sociétés de création de noms ? Interrogation, diversification, rapprochement, nouveaux outils sont à l'ordre du jour. Interrogation sur le territoire de la création de noms, sur son extension possible à d'autres métiers en amont ou en aval : design, stratégie en communication de marque, aide à la stratégie d'expression où, là, elles se retrouvent en concurrence directe avec les spécialistes de chaque secteur (études, stratégie, design ou identité visuelle...). Crénom propose une "analyse symbolique de la marque", une réflexion sur la marque qui va aider à comprendre son territoire.

« Très utile quand on travaille sur une fusion ou une extension de marque », explique Catherine Ardouin-Garnier, directrice de Crénom. Demoniak développe, avec un confrère allemand lié à la propriété industrielle, un outil de calcul de coûts lors d'un dépôt de nom de marque ou de nom de domaine, et a intégré une structure d'identité visuelle.



« L'idéal serait d'aller au bout de la logique : intégrer la perspective en linéaire », explique Rodolphe Grisey. Dès la rentrée, Kaos, à son tour, aura une offre design intégrée et Marques à Long Terme réfléchit à l'ouverture éventuelle d'un département logo. « Plus tard, peut-être, pense Jacques Seidmann, directeur de MàLT. Mais je préfère laisser chacun faire son travail, le mien est de définir le territoire en amont. En revanche, j'intégrerai peut-être la détection de tendances. » Nouveau venu en France, Interbrand, spécialiste américain de la création de noms et de la marque, qui a ouvert une filiale en France depuis quelques mois (Interbrand Paris, dirigée par David Jobin), propose tous les métiers qui couvrent l'ensemble des aspects des marques et de l'identité des sociétés et de leurs produits, à savoir, la recherche de nom, les études, le droit des marques, la valorisation de marque, mais aussi la stratégie de marque, la recherche de claim, l'identité visuelle, le packaging, le design d'environnement, le web design. Intégrer les métiers du design est une étape que Nomen se refuse à franchir. « Les études marketing, le juridique, oui. Mais je reste hostile à l'idée d'intégrer le design, précise Marcel Botton, P-dg de Nomen International. Dans ma logique d'entreprise, je veux rester sur mon cœur de métier, le "naming". »

Vers le conseil en stratégie de marque ?


Sans aller jusqu'au design, certains spécialistes de la création de noms vont jusqu'au conseil en stratégie d'expression en aidant à définir les contours identitaires de la future marque à créer. C'est le cas d'Ipsos Insight Marques (cela peut aller jusqu'à un travail sur de la recherche de signature ou de claim), mais aussi de Crénom et de MàLT. « La priorité est de savoir si le message véhiculé par le nom est vu, lu, compris, mémorisé et, surtout, s'il produit l'effet escompté, explique Catherine Ardouin-Garnier. Le processus de dénomination est un facteur clé d'une politique de qualité globale de l'entreprise et cette démarche doit passer par la mise en oeuvre d'une véritable politique linguistique de communication. » Et, comme l'exprime Jacques Seidmann, « notre rôle est d'inciter l'annonceur à avoir une vision dynamique du nom, en replaçant le mot dans son futur contexte de communication et sans rester à la seule signification lexicale du terme. » Pour certains clients, Ipsos Insight Marques ou MàLT remettent, à l'issue d'une recherche de nom, une traduction visuelle des univers évoqués par le nom avec des pistes d'expression possible. Après, à chacun son métier, c'est à l'agence de communication et/ou de design d'intervenir. Autre piste de développement : le conseil en stratégie de marque, qui fait la force de sociétés comme Ipsos Insight Marques ou Nomen. « Le conseil permet de donner à un nom toutes ses potentialités », souligne Catherine Veillé, directeur général d'Ipsos Insight Marques. D'autres s'y mettent.

« Je vends désormais des journées de conseil en stratégie, fait remarquer Jean-Pierre Gauthier, P-dg d'Apanage. Le métier de créateur de noms a évolué : nous intervenons comme toujours dans l'urgence, mais aussi comme conseil stratégique en se posant des questions de façon plus globale. » C'est la direction que veut prendre désormais Bessis, au fur et à mesure que la direction de la société est reprise par Corinne Bessis (sa soeur Muriel étant en charge de la création pure). Ce qui n'est pas le choix de Raison d'Etre.

« Je veux être une hot shop alternative et laisser à d'autres la stratégie, le négoce, l'identité visuelle, précise Antoine Masurel, directeur associé. Je me bats sur cette niche et préfère travailler en partenariat avec ceux qui n'ont pas d'expertise sur la création de noms et se situent en amont ou en aval. » Autre tendance, l'aide à l'innovation. « Nos outils d'analyse et d'études ont pour objet de fidéliser les clients, note Catherine Veillé. Comme les marques se raréfient, nous travaillons de plus en plus sur la recherche de création de concepts et l'innovation, ce qui implique de travailler en prospective. Il y a un grand besoin d'architecturer les marques, de trouver de nouveaux axes produit ou communication. Nous travaillons sur les mots qui, avec le champ sémantique d'une marque, iraient le mieux pour formuler un nouveau concept. » Kaos déploie désormais le conseil en innovation, « ce qui nous permet d'intervenir aussi bien sur des aspects du capital de marque que sur des problématiques de ressources humaines ».

Le négoce, un complément d'activité


Chaque jour des noms sont créés par des spécialistes en vue de futurs lancements, testés pour analyser leurs évocations et leur puissance, et sur ces centaines de noms trouvés, tous ne sont pas utilisés. Le négoce de noms est donc une activité qui semble découler logiquement de l'activité de création et qu'ont franchi nombre de sociétés spécialisées. Avantage : amortir les frais de création, déposer des noms à potentiel, offrir aux entreprises "en détresse" la possibilité de trouver rapidement un nom clés en main à un coût relatif moindre. Apanage développe ainsi la nouvelle version de Markbox, sa base de noms sur Internet. Nomen dispose d'une centaine de noms dans Mark-Folio. MàLT propose une centaine de noms déposés dans sa banque de marques, PurMàLT. Demoniak développe une version internet de sa Bourse de Marques, qui a la particularité de récupérer des marques déposées par d'autres, mais arrivant en fin de dépôt pour les mettre en vente. « Nous allons bientôt changer l'appellation Bourse des Marques, explique Rodolphe Grisey, car il faut éclaircir ce marché et détromper ceux qui pensent qu'une marque vaut de l'or. » Rares sont les cas où une société débourse 3,7 millions d'euros pour racheter une marque, comme ce fut le cas pour Vizzavi. La norme est autour de 2 000 à 5 000 euros, une marque n'ayant de valeur que pendant ses cinq premières années, à condition encore qu'on l'utilise. « Les marques rachetées plus de 15 000 euros sont rarissimes », constate Marcel Botton. Bessis propose avec l'Album Rouge, la plus grande collection de noms libres (plus d'un millier), créés par la société et déposés dans une ou plusieurs classes de produits et en ".com". Interbrand Paris met désormais à la disposition des entreprises françaises la Black List du groupe, une réserve de plusieurs milliers de noms internationaux qu'Interbrand a déposés dans différentes classes à l'international.

Un métier de spécialistes


« Les marchés sont devenus impitoyables, les lancements s'accélèrent, la durée de vie des produits rétrécit et ce, quel que soit le domaine, souligne Muriel Bessis. Dans cet univers impitoyable, le nom est un des éléments du mix, mais résume le mix. Le nom doit parler fort, tout de suite. » A la croisée de plusieurs disciplines (linguistique, marketing, juridique), la création de noms est un métier à part entière, une affaire de spécialistes. « Nous faisons appel à une société de création de noms parce que ce sont de vrais professionnels qui savent travailler dans un champ de contraintes, explique Pierre-Yves Mourissoux, responsable de la market research plateforme d'Altadis. C'est un métier à part et il n'est pas donné à tout le monde de trouver un bon nom, surtout quand il s'agit d'une marque nouvelle avec un positionnement particulier. » L'appel à une société de création de noms est systématique à la SNCF. « À chaque fois qu'il y a lancement d'un produit auquel on veut donner une singularité », explique Marie-Christine Carlier, rattachée à la Direction de la Communication, responsable du Planning Stratégique et des Etudes prospectives, Image et Marques. La culture de marque est nouvelle à la SNCF, elle a moins de dix ans et nous ne sommes pas une société qui multiplie les noms de marque. Nous faisons donc appel à des sociétés qui ont du poids et de la crédibilité, et de bons créatifs. » La création d'un nom est un tel enjeu pour le succès futur d'un produit que nombreuses sont les sociétés de luxe qui, bien qu'ayant en leur sein de nombreux talents, n'hésitent pas à faire appel à une société de création de noms. Malheureusement pour ces dernières, elles ne l'avouent pas toujours. Du moins officiellement. L'autre grand atout des sociétés spécialisées est d'effectuer tout le travail de prévalidation juridique, ce qui n'est pas simple dans le contexte actuel d'encombrement des marques. « Nous essayons de faire comprendre aux clients que le juridique fait partie intégrante du mix : un nom qui n'est pas libre n'est pas un bon nom », constate Rodolphe Grisey.

Quel avenir pour le “naming”


L'autre grand avantage d'une société de création de noms est de favoriser l'adhésion en interne autour d'un nom. « L'enjeu est fort, en interne comme en externe », souligne Marie-Christine Carlier. « Quand on trouve un nom, c'est là que le travail commence : il faut l'expliquer en interne », commente Jacques Seidmann. « Notre métier est d'accompagner un client dans un processus, note Marcel Botton. C'est cette expertise qu'il nous achète. Savoir s'il faut tester le nom d'abord, à quel moment annoncer le nouveau nom en interne... des petites astuces qui font toute la différence. » Mais, face au "branding", quel est aujourd'hui l'avenir du "naming" ? Puisque la marque prime tout, les sociétés de création de noms pourront-elles rester indépendantes ? Les annonceurs ne vont pas toujours chercher un spécialiste du naming quand ils ont un problème d'architecture de marque. Le point d'entrée est souvent une agence de communication ou de design. « Nous sommes perçus comme une agence de design, explique Denis Bonan, qui dirige Brand Company. Mais nous sommes souvent consultés par nos clients pour des recherches de noms. » L'agence fait alors appel à des sociétés spécialisées en création de noms. Ce fut le cas pour Fisio, le nom des téléphones mobiles de Philips, dont la recherche fut alors confiée à Nomen. « À partir du nom, nous avons alors proposé l'identité visuelle et la plateforme de communication, poursuit Denis Bonan. Notre travail est de donner du sens à l'identité visuelle. » Est-ce à dire que les sociétés de création de noms risquent, un jour, de perdre leur âme ? Non, car il y aura toujours besoin de véritables compétences et de spécialistes. « Quand vous faites refaire un appartement, vous avez plusieurs possibilités, détaille Marcel Botton. Travailler avec une entreprise générale, passer par un architecte ou faire appel à des spécialistes dans chacun des métiers. Dans ce dernier cas, cela implique qu'il faut quelqu'un pour faire travailler tous les corps de métier. Cela peut être une agence de communication ou de design, pourquoi pas ? » En tout état de cause, la recherche de noms est affaire de spécialistes. Enjeu majeur, c'est un métier à part entière car les créateurs de mots sont aussi, et surtout, des créateurs d'imaginaire.

Combien ça coûte ?


De 7 000 à 10 000 euros (honoraires de création, préfiltrage juridique à l'identique). À ce chiffre, il convient d'ajouter les recherches d'antériorité, les études et tests consommateurs (30 000 à 60 000 euros, un budget qui peut monter très vite dès que les études portent sur plusieurs pays et sur plusieurs noms à la fois), les dépôts (là encore, un poste très élevé qui dépend du nombre de classes et de pays envisagés). La marque communautaire est moins chère à déposer puisque l'on dépose dans un pays et que l'on est protégé pour l'ensemble des pays de la Communauté, que l'on y exploite la marque ou pas. Mais elle a aussi ses limites : si le dépôt est contesté dans un seul des pays de la Communauté, elle est rejetée dans tous les autres pays. Un nouveau concept, à l'initiative de Jean-François Guého, directeur général de Name City, propose la demande de création de noms en ligne au moyen d'un portrait chinois (www.name-city.net) ou le brief en direct. Name City facture par modules de 3, 6, 9 ou 20 noms et ne facture que la seule création de noms au prix de 610, 1 068, 1 525 ou 5 500 euros.

Anika Michalowska

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