L'infidélité, nouvelle donne des études de satisfaction/fidélité
Les études de satisfaction/ fidélité continuent de représenter une part importante du budget études des entreprises et un apport dynamique d'affaires pour les instituts d'études. Et, au fur et à mesure de la maturité des clients et de leurs conseils sur les problématiques s'y attachant, la réflexion sur le sujet s'enrichit.
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Soucieuses d'améliorer la qualité de leurs prestations (produits, service,
etc.), les entreprises ont d'abord commencé à mettre en place des baromètres de
satisfaction qui se sont ajoutés à des indicateurs de pilotage. « Les
baromètres de satisfaction constituent toujours le fonds de clientèle des
instituts d'études », remarque Frédérique Burlot, directeur général de OneTone
Research. Puis les entreprises se sont penchées sur la question de savoir
comment transformer des clients satisfaits en clients fidèles. Une nouvelle
génération d'outils d'études a vu le jour, vers la fin des années 90, avec
l'apparition de modèles prédictifs de comportement des clients alors même que
le CRM et le data mining enrichissaient la connaissance client. On s'est alors
tourné vers les insatisfaits comme source d'enseignements sur la relation.
Enfin, les chiffres sont là. Les consommateurs ne sont plus aussi fidèles
qu'avant ? Sont-ils devenus globalement infidèles ? Sont-ils multifidèle ?
Jean-Marc Lech, co-président du groupe Ipsos, parle de la « généralisation
d'une posture d'infidélité sans culpabilité liée à une exigence double :
identifier la valeur et la crédibilité des messages, tirer un profit personnel
de la confiance investie ». L'étude Brandz réalisée par Millward Brown pour le
groupe Kantar montre une chute de la fidélité aux marques : en 1998, 16 % des
Français se déclaraient fidèles aux marques ; ils ne sont plus que 10 % en
2005. Cette moyenne recouvre de très nombreuses différences.
Dans le secteur
des produits de grande consommation, 25 % des clients se disaient fidèles aux
marques en 1998, 10 % en 2005. Dans le secteur de la distribution, le taux de
fidélité s'élevait respectivement à 14 % en 1998 et 15 % en 2005. Alors que
dans le secteur des télécoms, il était de 22 % en 1998 et tombe à 12 % en 2005.
« Entre 1998 et 2005, constate Marc- Antoine Jarry, directeur du planning
stratégique d'Ogilvy, on a pu voir la normalisation des nouveaux entrants et
l'effondrement de l'avantage du leader historique, la fuite en avant dans une
innovation souvent superflue, le déplacement des arbitrages en faveur de
nouvelles catégories, le déséquilibre patent entre les logiques d'acquisition
et les logiques de satisfaction. » L'approche traditionnelle, qui voulait qu'un
client satisfait soit un client fidèle, a commencé à voler en éclat. L'enquête
d'INit Satisfaction (voir p. 74) souligne bien ce paradoxe.
De nouvelles approches
Dans ce contexte, les études ont dû évoluer. «
A priori, fait remarquer Olivier Gaudichau, CSC, dans la dernière “Lettre”,
satisfaction et insatisfaction regroupent le même concept de perception client,
avec pour différence un résultat positif (la satisfaction) ou négatif
(l'insatisfaction). Ce sont en fait deux notions différentes avec des leviers
distincts. Les enquêtes dites de “satisfaction client” ont plutôt tendance à
mesurer l'insatisfaction, puisque la quasi-totalité des questions sont des
questions fermées qui portent sur l'appréciation de produits ou services
existants. Ce sont donc plutôt des enquêtes d'insatisfaction. Une véritable
enquête de satisfaction doit au moins comporter deux questions ouvertes, comme
“Que pourrait-on faire de plus pour vous satisfaire ?” et “Que font nos
concurrents pour contribuer à votre satisfaction ?”. »
De plus en plus, des
questions ouvertes viennent compléter l'enseignement des études de fond. « Les
grands baromètres mesurent des indicateurs qui ne changent pas rapidement »,
constate Laurent Flores, CEO de crmmetrix. Pour mesurer le spontané et faire
émerger les idées nouvelles, l'institut a recours à BrandDelphi, « une approche
active, volontaire de la marque vers le client ».
Chez Ipsos Loyalty, pour
sortir du nivellement de la moyenne des baromètres quantitatifs, on recommande
d'introduire des baromètres tactiques. « Les moments de forte attente
influencent la mémoire du client et sa préférence future, constate Alain Péron,
directeur général France d'Ipsos Loyalty. Mais il faut aussi croiser toutes ces
études avec des études internes pour comprendre ce que pense le client et ce
que fait le personnel qui est en face de lui. »
Plus récemment, les études de
satisfaction se sont mises à prendre en compte plus systématiquement la
concurrence. De nouvelles cibles sont passées à la moulinette. « On sait que la
satisfaction extrême est liée à des comportements de fidélité. En revanche,
l'incertitude de comportement est totale pour les individus correctement
satisfaits », explique Michaël Bendavid, directeur général de Strategic
Research. L'approche développée par l'institut, Value Sat, s'intéresse donc aux
opinions extrêmes, aux détracteurs comme aux promoteurs, pour construire un
indicateur qui est la balance entre les deux. « A partir de là, on peut
segmenter sa base de clientèle pour orienter sa stratégie envers les clients
profitables et prioritaires », estime Michaël Bendavid. Une récente étude menée
pour une enseigne de distribution par Côté Client, nouvel institut créé par
Guillaume Antonietti, très influencé par les travaux de Daniel Ray de
l'université de Grenoble, révèle que les clients les plus exclusifs à
l'enseigne sont aussi ceux qui ont le moins de problèmes avec elle, mais ce
sont aussi de “petits clients”.
« La question que l'on doit se poser est
: “Veut-on créer de la fidélité auprès des gros clients ou des clients exclusifs
?” », commente Guillaume Antonietti. L'autre champ d'investigation porte sur
les motifs de mécontentement. OneTone Research suggère d'interroger les
“abandonnistes” : « Nous avons monté des panels propriétaires d'abandonnistes,
et nous conseillons à l'entreprise de les intégrer dans des clubs de
consommateurs qui donnent leur avis pour instaurer une nouvelle relation »,
confie son directeur général. « On ne peut plus aborder certains marchés,
notamment la téléphonie, avec les process classiques de fidélité, reconnaît
Hervé Francès, directeur d'Oko/Pantech. Chaque nouvel acte d'achat est une
conquête. Rien n'est jamais acquis d'avance. Il est essentiel de développer des
affinités avec la marque pour la faire aimer. »
Etre à l'écoute
Les études vont donc s'intéresser davantage au lien entre
satisfaction et fidélité, et mieux comprendre le processus d'infidélité. «
Avant, on disait que notre métier consistait à gérer l'infidélité. Aujourd'hui,
il s'agit de mieux comprendre la liberté de choix du consommateur, estime
Gustavo Bazan, directeur marketing fidélisation au sein d'Accentiv'. Pour qu'un
client revienne, il est important que la transaction soit intéressante pour lui
et la marque/ entreprise, que le “contrat” soit bénéfique pour les deux. Pour
le client, il s'agit très souvent de reconnaissance. » Jean-Marc Lech aime à
dire que « les mécanismes de la fidélité sont à réinventer pour recréer le
désir de “Merci”, directement lié aux notions de valeurs ou de légitimité. »
Chez TNS Sofres, on mesure la fidélité au moyen du Conversion Model, un système
qui repose sur l'image et le croisement avec la satisfaction. « C'est une part
importante de notre business Loyalty. Ce sont souvent des outils barométriques
qui mesurent l'attachement à la marque dans le temps et permettent des
typologies de clients selon leur profil fidèle/infidèle », explique Arielle
Belicha-Hardy, directrice adjointe du département Télécom de TNS Sofres et en
charge de la satisfaction client. Pour Ipsos Loyalty, la notion de fidélité
correspond plutôt à la “share of wallet”, c'est-à-dire la part que la marque
détient dans le portefeuille du client.
Par extension, l'institut propose
Loyalty Optimizer, un modèle qui mêle attitude et comportement et permet de
maximiser la part qu'un client accorde à une marque dans ses dépenses globales.
« Il faut se mettre à l'écoute du client, souligne Elisabeth Martine-Cosnefroy,
directrice générale adjointe de CSA. On ne peut pas faire d'études de
satisfaction aujourd'hui sans demander au consommateur quelles sont les marques
dont il est client et vérifier en amont son statut.
Un client peut sembler
perdu par la marque ou l'entreprise, alors qu'il se considère comme client mais
achète irrégulièrement. Après, il faut vérifier les valeurs de la marque pour
le client et si le produit de la marque est incontournable pour tel ou tel
achat. »
Le développement des nouvelles technologies, telles Internet, change
la donne. Aujourd'hui, les consommateurs peuvent dire plus facilement ce qu'ils
pensent, en bien ou en mal, et les caisses de résonance sont nombreuses. Chats,
blogs, forums sont autant de lieux où l'on peut s'exprimer. Là encore, il est
important de faire de la veille et de l'analyse. « Il faut mesurer ce que
pensent les clients de façon spontanée et laisser la place à des mesures plus
légères », estime Laurent Florès. Chez GfK, on souligne la multiplication des
moyens de contact avec une marque. « Nous avons donc refondu notre modèle de
satisfaction Loyalty+ pour intégrer ce constat », explique Sylvie Nilsson,
directrice Division Service Automobile Industry (qui détient l'expertise
Satisfaction).
Le modèle intègre, entre autres thématiques, la recommandation
et le bouche à oreille autour de la marque. « Les “influentials”, c'est-à-dire
ceux qui ont le pouvoir d'influencer leur entourage, sont un vrai sujet
d'études. Qu'est-ce qui fait qu'un client devient l'avocat d'une marque ? Telle
est la vraie question », poursuit-elle. Compte tenu de la concurrence accrue
des marchés et des comportements toujours plus complexes des consommateurs, on
peut penser que les études de satisfaction/fidélité n'ont pas fini de faire
leur révolution. D'autant que les entreprises sont nombreuses à ne plus hésiter
à se remettre en question dans ce domaine.