[Tendance] EgoTic, culte du moi et marketing
Un mot, une tendance, huit images : retrouvez tous les mois la tribune d'OpinionWay sur un grand courant qui traverse notre société, et ses répercussions sur le marketing.
Je m'abonneCe mois-ci, pour sa rubrique One word, One trend, 8 pictures, InnovativeWay by OpinionWay se penche sur "l'EgoTic". Définition et analyse.
[Définition] Disposition d'un individu ou d'un groupe qui fait constamment référence à soi via les technologies de l'information et de la communication
[Mots associés] #Egotisme #Narcissisme #Autolâtrie
[Antonymes] #Altruisme #Empathie #Allocentrisme
Le narcissisme, en mode digital
Faire référence à soi, être son propre sujet d'observation ou faire son autopromotion n'est pas un phénomène nouveau. L'avènement du portrait à la Renaissance, de l'autobiographie et du journal intime dans la société post-révolutionnaire du 18ème siècle en témoigne.
C'est bien sûr le mythe de Narcisse qui est ici en [je]. Narcisse amoureux fou de son reflet. Un reflet qu'il peut capter via les multiples caméras qui accompagnent tous nos écrans et qui se démultiplient à l'envie sur les réseaux sociaux, de Facebook à Instagram en passant par Tumblr et autres blogs. Vieux comme Hérode, le narcissisme se conjugue aujourd'hui en mode digital.
Les technologies de l'information et de la communication n'ont jamais, en effet, offert autant de miroirs et d'outils pour s'observer, se regarder, se donner à voir : soi, son corps, ses opinions, ses réseaux, son pouvoir d'influence ou d'attraction. Apparu en 2002 dans un forum en ligne australien, le terme selfie a été mentionné plus de 92 millions de fois sur le seul Twitter en 2014, soit 5 fois plus qu'en 2013. Sur Instagram, 70 millions de photos ont été publiées chaque jour en 2014 (soit 60 chaque seconde) et 67 millions ont été publiées sous le nom de selfie.
Mais là où les portraitistes de la Renaissance trouvaient simplement commode, pour s'exercer, d'être leur propre modèle, l'individu (post) moderne utilise l'autoportrait et le journal intime comme moyens d'expression et de reconnaissance sociale à part entière. Quelques esprits chagrins et moralisateurs pourraient même rajouter : un moyen de justifier sa vie, tentative vaine de se conformer à un moi idéal, signature de la superficialité des êtres et de la vacuité des temps.
Un intemporel besoin de reconnaissance
Il est certain que le culte de l'intime, l'exaltation du sentiment du moi, la scénarisation de sa vie, la volonté - consciente ou non, de faire de son existence une histoire, semblent bien n'avoir jamais été autant poussés à l'extrême. Et si les technologies mobiles, le Web, les réseaux sociaux ont permis de faire éclater le cercle étroit des cellules traditionnelles (famille, village, nation), la liberté a un prix et c'est peut-être celui d'une nouvelle forme de solitude et d'enfermement. Ainsi, dans nos pays développés et haut placés dans la pyramide de Maslow, le besoin d'estime et de reconnaissance - autrement dit, le besoin d'être regardé, admiré, aimé, semble plus essentiel que jamais.
La force de ce phénomène en fait un marqueur fort de notre époque qui se décline sous une grande variété de formes procédant presque toutes de l'autoportrait et du journal intime.
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One word, One Trend, 8 pictures : 8 exemples hautement représentatifs
1) L'observation minutieuse et datavisualisée sur écran de son activité physiologique grâce aux nouveaux bracelets connectés et leurs applications de health tracking. Avec, à la clef, la promesse d'une forme d'empowerment.
2) La captation compulsive de son quotidien et de son prosaïsme qui donne à voir ses vacances, ses rencontres, son chat, sa voiture, son frigidaire, ses pieds, ses repas... jusqu'à en devenir un Pavlov général qui touche du plus illustre inconnu à Barrack Obama, en passant par le Pape François et Rihanna.
3) La mise en scène loufoque de soi dans une démarche mi-ludique mi-artistique au travers du phénomène dit du photo fad (planking, owling, teapotting, batmaning ..). Le résultat : une photo de soi dans une position incongrue de chouette, de chauve-souris ou de théière, comme une ode collective au non-sens.
4) L'impudeur sexuelle qui après l'exhibition de selfies dénudés prend un nouvel essor avec la vidéo amateur érotico-sexuelle, comme l'atteste la multiplication de sites à l'instar Jacquie&Michel, annoncé comme le leader de l'exhibition internet en France et de son grand frisson.
5) Le partage de ses compétences et expertises via les blogs et les vidéos offrant mille et un tutoriels de bricolage, de maquillage, de décoration, d'électronique, de cuisine... Un espace d'expression où le blogueur prend en général grand soin de se mettre en scène.
6) L'héroïsation de soi et la captation de ses expériences hors du commun grâce à la devenue célèbre Go pro. On se rappelle du record du saut en chute libre de Felix Baumgartner à près de 39000 mètres d'altitude et le franchissement du mur du son.
7) L'affirmation de son opinion et la mesure de son pouvoir d'influence avec, comme forme radicale (et hurlante), le phénomène des trolls sur les réseaux sociaux, ou encore Dieudonné et son "Je suis Charlie Coulibaly".
8) Le militantisme et l'appel à s'engager, avec comme emblème le Ice Bucket Challenge. Une opération virale pour la cause de la maladie de Charcot appuyée sur l'association de dons et la mise en scène de soi - se renverser un seau d'eau glacé sur la tête. Opération à laquelle ont participé Mark Zuckerberg, Bill Gates, Oprah Winfrey ou Justin Timberlake et permis de récolter 100 millions de dollars en 2014 contre 2,8 millions en 2013.
Suite de l'analyse en page 3
EgoTic : quelles origines...
Qu'elle que soit la diversité de ses formes d'expression, l'egoTICisme s'inscrit en réalité dans quatre grands registres motivationnels qui dépassent parfois la simple quête du " Écran, mon bel écran, dis-moi qui est le plus beau/belle " :
- Exister : rechercher, contrôler et conserver les signes d'un soi réel ou idéalisé et en espérer une certaine forme de notoriété ou de reconnaissance ;
- Se relier : nouer ou chercher à nouer des relations sociales en partageant ses passions, ses compétences ou lançant des défis - chargés de sens ou non - tout en désirant en retirer un certain pouvoir d'influence ;
- Se connaître : savoir, comprendre et appréhender son soi en exerçant sa curiosité sur ces capacités physiques et/ou, intellectuelle et/ou spirituelle ;
- Revendiquer : faire entendre et valoir ses opinions, ses croyances, ses engagements et ses réalisations.
Ainsi peu importe le jugement moral ou éthique sur ces comportements, la clé n'en reste pas moins que l'individu en tant que narcissique digital se comporte - voire se revendique, comme une marque.
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... Et quel intérêt pour les marques ?
Or si aujourd'hui tout le monde peut être sa propre marque, la question est alors de savoir comment les directions marketing peuvent-elles intégrer la narration des gens à leur propre storytelling ?
Trois exemples apportent une réponse claire à cette question :
1) Dans l'univers de la mode et de la beauté, Garnier en a fait un exemple magistral en Chine avec sa campagne PS Cream " In social media I use Photoshop but in real life I use PS Cream ". Surfant sur deux phénomènes hautement egoTIC que sont, d'une part, le photoshopage (l'utilisation par les jeunes filles de photoshop pour améliorer leur apparence avant publication de leurs photos sur Weibo), et d'autre part un jeune garçon hyper suivi, se mettant régulièrement en scène à la Une des plus grands magazines de mode grâce à Photoshop. Une heure après l'apparition de cette image et de son slogan, Garnier enregistrait plus de 7000 reposts et 4000 commentaires. Au total, cette image a été vue plus de 272 millions de fois !
2) Direction la Russie avec KFC qui a évènementialisé ses fast-food en jouant sur la fibre Popstar de ses clients. Ceux-ci ont été invités à se faire filmer chanter et danser dans les restaurants de la marque équipés d'un Moviematic. Les films ont été ensuite postés sur les réseaux sociaux avec appel à vote. Les meilleurs ont été diffusés dans une campagne Youtube de la marque.
3) De manière encore plus spectaculaire, Toyata pour le lancement de sa New Yaris Hybrid intègre et magnifie l'habitude si banale de chanter dans sa voiture en filmant des automobilistes dans un roadshow géant musical improvisé, le tout piloté par un GPS embarqué. Au-delà de l'évènement créé dans les rues de Prague, ces extraits sont venus construire le film de la campagne de la marque.
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Est-ce à dire finalement que demain les marques n'auront plus besoin d'embaucher des acteurs, ni de faire travailler des équipes sur la production de contenus ? Qu'elles n'auront finalement qu'à se pencher sur les médias sociaux pour ramasser ce qui est déjà à disposition en utilisant la fibre narcissique de ses clients noyés dans leur propre reflet ? La réponse se trouve désormais plus dans le miroir que la boule de cristal.
L'auteur : Delphine Sirven, titulaire d'un DEA de lettres modernes et d'un Mastère en Marketing de l'Essec, a intégré le département des études qualitatives d'OpinionWay en 2007 où elle occupait jusqu'en décembre dernier le poste de Directrice Adjointe avant de prendre la co-direction d'InnovativeWay.
Pendant ces sept années, Delphine a initié et enrichi les process d'études inscrits dans des logiques co-construction, notamment via des plates-formes collaboratives et participatives. Elle est à l'origine d'une nouvelle posture de travail avec les consommateurs-citoyens basée sur la transparence, l'horizontalité, le plaisir et l'engagement : GénérationW.
- Créé en 2000, OpinionWay s'est développé à partir d'une idée simple : rendre plus innovant le marché des études. L'institut intervient dans de nombreux domaines (compréhension des marchés, problématiques de marques, développement de produits et de services...) auprès de cibles BtoB ou BtoC pour des clients à forte notoriété.
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