Tribune : Comme Emma Bovary, la génération Facebook cherche à vivre autrement
Facebook a façonné une nouvelle génération. Dans son ouvrage, George Lewi, spécialiste des marques et animateur du blog Mythologicorp.com, décrypte "ces nouveaux Bovary", ces internautes de 15 à 25 ans qui cultivent l'illusion de vivre autrement et nous préparent, dit-il, de belles surprises.
On est bien obligés de constater qu’avec les Indignés, les Printemps arabes, les Occupy, on est sorti bien vite de l’individualisme souvent très contractuel de la génération Y. Le virage a été rapide. Les "nouveaux Bovary" ont entre 15 et 25 ans. Ils vont arriver dans le monde du travail et de la consommation. Cette génération des réseaux sociaux, pour simplifier, la génération Facebook, (en fonctionnement depuis cinq ans seulement) qui a généré près "d’1 milliard d’amis" qui se "like" les uns les autres, est en train de créer une nouvelle illusion générationnelle.
Comme Emma...
L’illusion de la rencontre et d’un monde où chaque profil ressemble à une succession de moments passés à Disneyland. Un peu à la manière de l’optimiste XIXe siècle où une des égéries du siècle, Emma Bovary se rêve en femme de médecin célèbre, libre des contraintes maritales et financières et se trouve rattrapée par la réalité, la médiocrité de son mari et les banquiers de l’époque.
Cette nouvelle génération se conjugue aussi au féminin des blogueuses, quelquefois très influentes, car 74 % des nouveaux blogs sont créés par des filles et revendiquent la sérendipité (la rencontre heureuse) comme nouvelle valeur. Les profils sur Facebook sont toujours positifs et chacun fait chaque jour des rencontres extraordinaires. Il n’y plus ni peine ni déception. D’où les désillusions annoncées…
Le droit à la minute de gloire
Cette nouvelle illusion a pour parrains : Transparence, Rencontre, Équité. Les "nouveaux Bovary" revendiquent trois types de droits associés à ces nouveaux piliers : le droit à la minute de gloire, le droit à l’ailleurs et le droit à l’erreur. Ces droits n’existaient quasiment pas jusque-là !
Cette génération de la transparence et de Wikileaks est aussi extraordinairement généreuse, comme on le voit avec son implication dans Wikipedia et dans tous les conseils sans cesse échangés sur la Toile. Elle va bientôt poser de sérieuses questions à notre société et à ses marketeurs.
D’abord, la transparence. Tous l’affirment, combien la respectent ? Or, elle est devenue l’exigence première des "nouveaux Bovary". Quel défi pour les marques ! Ils attendent dorénavant des marques qu’elles les aident, comme les chaînes de télé, à obtenir leur minute de gloire, notoriété qu’ils commencent à se façonner en cumulant le plus grand nombre d’amis, de "followers" sur les réseaux sociaux. Il va falloir que les marques se mettent réellement à l’interactivité, mettent en valeur leurs clients et bientôt rémunèrent leurs bonnes idées.
Solidaires et en marge
Cette génération solidaire entre elle peut bien faire réussir les boycotts, là où les générations précédentes avaient toujours échoué. Car elle fonctionne en réseau, s’informe et se soutient dans un militantisme numérique.Ces "nouveaux Bovary" essayent, en effet, de construire une autre société, pas contre l’ancienne, mais à côté. C’est pourquoi ils peuvent réussir. En tout cas, cela mérite d’être observé à la loupe du mythe de l’illusion, qui n’est, après tout, que le moteur ultime de l’humanité… entre utopie et espoir.
Biographie
Georges Lewi, mythologue, spécialiste des marques, auteur d’une dizaine d’ouvrages dont "Branding management" et "Mythologie des marques", chargé de conférences au Celsa. Animateur du blog www.mythologicorp.com, où la société et le marketing sont décryptés au travers des mythes, ces récits qui structurent la mémoire des hommes et que nous croyons vrais. Auteur de "Branding management" (troisième édition. Pearson juin 2012), il vient de publier "Les nouveaux Bovary. Génération facebook, l’illusion de vivre autrement ?" (Pearson).
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