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[Rencontre] Denis Gancel : "Les marques sont devenues un véritable fait de société"

Publié par Xavier Foucaud le - mis à jour à
[Rencontre] Denis Gancel : 'Les marques sont devenues un véritable fait de société'

Quelle place et quel rôle pour les marques dans la société en 2015 ? Réponses avec Denis Gancel, co-auteur de "La société des marques", ouvrage collectif qui retranscrit une année de réflexions sur le sujet.

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Qu'est-ce qu'une "marque" ? L'origine anglo-saxonne "branding" renvoie aux fermiers des grandes plaines qui marquaient les troupeaux au fer rouge. Denis Gancel, co-fondateur et président de l'agence W&Cie et co-auteur avec Gilles Deléris de La société des marques, préfère, lui, remonter plus loin : "L'étymologie qui remonte au XIIe siècle est bien plus intéressante, explique-t-il dans un sourire. On y trouve le mot de langue normande "mercher", qui signifie l'acte de marcher, d'aller en avant."

En 2015, chaque individu est une marque. "Les marques, objet de marketing au départ, sont devenues un véritable fait de société, constate Denis Gancel. La marque, à l'instar d'une rivière, est sortie de son lit naturel." Jusqu'à imprégner notre langage : "Ne dit-on pas qu'on n' "achète" pas un homme politique ?", souligne-t-il malicieusement.

La marque a envahi l'environnement urbain, devenu son nouveau terrain de jeu. "La marque n'est jamais aussi à l'aise que dans la ville, où elle trouve un support d'expression : une étiquette, une vitrine, une affiche, un écran." Les artistes, eux aussi, ont attiré les marques. "Avec l'émergence du Pop Art, explique Denis Gancel, certains artistes en ont fait le sujet principal de leur travail, commeDali, Warhol, Calder et Jeff Koons".


De la responsabilité des marques

A l'heure du digital, le rapport de force s'est inversé : "Le client peut détruire la réputation d'une marque en un clic. Chaque jour, des marques sont accusées, chahutées, à tort ou à raison. En échange, elles cherchent à récupérer leur pouvoir et veulent prendre leur revanche avec la data, qui leur permet, grâce à un ciblage précis, de tout savoir sur les consommateurs."

Les clients, prochaines victimes des marques ? Si le digital permet un foisonnement créatif, Denis Gancel s'inquiète déjà du danger d'Internet, "avec des géants comme Google qui tracent le moindre comportement de l'internaute, et le pistent grâce à son empreinte numérique".


La Société des Marques n'est pas pour autant à rejeter en bloc : "C'est une réalité complexe qu'il faut prendre le temps d'analyser en croisant différentes disciplines : la géographie, l'économie, la démographie, la sociologie, la psychologie, la politique, le droit et l'histoire". La Société des Marques prépare le meilleur comme le pire. "Elle défend les valeurs du partage et du développement durable, et invente des services qui bousculent les positions monopolistiques", constate Denis Gancel.

Et élargit déjà son terrain de jeu aux pays émergents, qui fournissent de plus en plus de grandes entreprises aux classements mondiaux, telles que Lenovo, Huawei ou Mittal. "Les marques chercheront toujours à occuper la meilleure place et à explorer de nouveaux territoires. C'est dans leur nature. A nous d'y naviguer pour en mesurer toutes les opportunités."


L'ouvrage La société des marques est paru aux éditions Parole et Silence. Cet ouvrage collectif, sous la direction de Denis Gancel et Gilles Deléris, est la retranscription d'une année de débats et de réflexions autour de la marque et la société, organisés avec des philosophes, sociologues, architectes, dirigeants d'entreprise, politiques, linguistes et professionnels de la communication au Collège des Bernardins à Paris.

DENIS GANCEL :

1991 : Manager associé de BDDP Corporate (aujourd'hui TBWA)

1997 : Co-fondateur et Président de W&Cie

2011 : Co-auteur d' Ecce Logo (éd. LOCO)

2015 : Co-auteur de La société des marques (éd. Parole et Silence)

LIRE DES EXTRAITS DU LIVRE PAGE SUIVANTE =>

EXTRAITS DU LIVRE "LA SOCIETE DES MARQUES" :


Avant-propos - Denis Gancel


La marque a besoin pour s'exprimer d'un territoire, d'un marché où elle pourra jouer son rôle de signe de confiance. (...) Il lui faut un support d'expression : une étiquette, une enseigne, une vitrine, une affiche, un écran. La marque n'est jamais aussi à l'aise que dans la ville. Elle y rencontre son public, elle " fait la ville ". En France, les nouvelles règles d'urbanisme ne font pas de quartier. Elles imposent aux marques de rentrer dans le rang après beaucoup d'abus. Mais tel n'est pas le cas dans tous les pays du monde. Certaines villes sont saturées d'écrans et d'enseignes. Les mall commerciaux sont devenus les cathédrales profanes des nouveaux centres-villes du monde. Où le juste équilibre se situe-t-il, entre la présence technologique et bruyante des marchands et l'aménagement vert et paisible de la nouvelle urbanisation ?

(...)

Notre propos sur les marques dans une période de crise revêt un sens particulier. Normalement, le propre du concept de crise est d'avoir une fin. Or, nous avons tous le sentiment de vivre dans un état de crise permanent. Le sociologue Alain Mergier s'inquiète du fait que nous soyons passés de l'idée active de prendre un risque, à la base de tout entreprenariat, à celle, passive, d'être sous la menace, plongés dans un état de défiance inédite. Certains affirment même que nous serions entrés dans une société paranoïaque, dans laquelle la méfiance serait devenue une compétence. Dans ce contexte, la marque est obligatoirement une projection vers l'avenir et nous aide à nous inscrire dans un temps plus long, une forme d'histoire. La marque repose en effet toujours sur une façon positive d'envisager l'avenir qui la rend indispensable au présent. Cette espérance intrinsèque est le moteur de la confiance qu'elle génère (...)

Les marques dans l'univers numérique, cancer ou métamorphose - Xavier Delaporte

Nous sommes exposés chaque jour à la présence perpétuelle des marques sur nos ordinateurs, sur nos écrans, dans tous les device dont on est propriétaire. Alors, est-ce que cette présence en réalité est un nouvel air que l'on respire ou une servitude volontaire ? En cinq saisons d'une émission hebdomadaire consacrée au numérique, aucune n'a été spécifiquement consacrée aux marques. Pourtant, les marques sont omniprésentes : dans les émissions sur Facebook, Twitter, Google... Microsoft et Apple, sont citées à chaque numéro, sans que l'on ait conscience de parler de marques. Nous sommes au coeur du problème quand on aborde la question des marques et du numérique, et sans doute leur nouvelle forme de puissance vient-elle de ce paradoxe (...)

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EXTRAITS DU LIVRE "LA SOCIETE DES MARQUES" (suite) :


Des marques irresponsables - Gilles Deléris

On fait souvent aux marques le procès de leur irresponsabilité. Agents de l'hyper-consommation, elles ruineraient les hommes et la planète. Agents d'un profit aveugle, elles compteraient les salariés comme quantité négligeable. Agents d'une aliénation politique, elles participeraient de la collusion avec les pouvoirs autoritaires voire les dictatures. Et il faut bien admettre que parfois, les faits donnent raison à ces accusations.

Pourtant, paradoxalement, lorsque certaines marques s'aventurent sur le terrain sociétal pour tenter d'y apporter des réponses, un procès semblable leur est fait : celui de l'hypocrisie, du cynisme ou du mélange des genres. On leur reproche de tirer sur les ficelles du marketing et du profit des entreprises. Cependant, leur champ de légitimité est un véritable enjeu. Nous avons souhaité placer cette question de la responsabilité dans une perspective historique. Quels en sont les jalons, comment s'est-elle manifestée au fil du temps ?

Le concept de responsabilité n'a pas attendu l'invention, l'invasion même, des techniques marketing pour voir le jour, c'est une histoire vieille comme les entreprises, comme l'éthique, la morale et les convictions de ceux qui les ont créées. Il n'y a pas d'histoire académique de la responsabilité, mais si on tente de la dater, elle commence sans doute sous l'impulsion des philosophes utopistes du XIXe siècle. On pense à Charles Fourier, notamment, à l'industrialisation et à l'urbanisation qui naissent, éveillent les consciences de l'époque, orientent les réflexions vers une réforme de la société, et tentent de se situer dans une perspective d'avenir en imaginant un monde meilleur (...)

Les nouvelles responsabilités des marques du secteur public - Hubert Du Mesnil

Au départ, la notion de marque fut d'abord totalement étrangère au secteur public. Les grandes entreprises publiques françaises qui s'appellent la Poste, la SNCF, EDF... ont une culture imprégnée par une sorte de national-communisme. National, parce qu'elles appartiennent à l'État, et qu'elles ont été créées dans le grand mouvement du nationalisme de reconstruction de l'après-guerre communiste. Car à cette époque, l'idéologie d'économie publique et collective était très influente. Beaucoup d'entre elles, d'ailleurs, inséraient le mot " France " dans leur nom: Électricité de France, Chemins de fer français...

(...)

Il s'agit de voir comment la notion de marque a pu accompagner ces grandes entreprises dans le changement qu'elles avaient à vivre. Un premier point est à relever. Incontestablement, ces grandes entreprises ne sont plus aujourd'hui ce qu'elles étaient à la belle époque de l'après-guerre, grande reconstruction, grande croissance économique, grand développement, mais aussi grande stabilité, et en aucun cas remise en cause, ni de leur place, ni de leur monopole, ni de leur pouvoir ou de leur puissance. Elles ont donc toutes, pour différentes raisons, été amenées à se confronter à une dynamique de changement extrêmement puissante dont les ingrédients sont assez bien connus. L'Europe, et c'est là notre deuxième point d'attention, en est dans une large mesure la cause. La construction d'un marché européen a obligé ces entreprises à s'inscrire dans un marché. Par ce biais-là, il leur fallait accepter l'idée qu'elles ne pouvaient pas se contenter de l'exercice d'un monopole, mais devaient rentrer dans un marché.

 
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