Économie de la paresse... le quick commerce s'épuise-t-il ?
Pression des élus dans les villes, réglementation des dark stores, désintérêt des consommateurs, tarissement du financement des start-up et problème de rentabilité... quel avenir pour le quick commerce ?
Débarquées en France en 2021, en pleine pandémie, à grand renfort de publicités agressives et de levées fonds à coups de milliards d'euros et d'implantations anarchiques dans les centres-villes, les acteurs du quick commerce comme Getir, Flink ou Frichti connaissent une véritable crise de croissance. « L'essor de ce commerce a, comme souvent, été bien plus rapide que la réglementation elle-même », confie Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce. « À l'image de ce qu'il s'est passé pour Uber dans le transport de personnes ou d'Airbnb, dans la location, le temps de la réglementation pour les quick commerçants est arrivé, avec un défi majeur : allier les avantages d'un service ultra-performant à une préservation de l'écosystème urbain », exprime Jérémy Lefebvre, CEO d'Episto, start-up de collectes d'avis et d'insights.
« Le quick commerce ne représente qu'environ 150 magasins sur 300 000 points de vente. C'est un modèle qui vient en complément de solutions déjà existantes et non pas en remplacement. Il faut que les règles soient définies par le gouvernement pour éviter des problématiques de concurrence déloyale avec des commerces de proximité », expose Marc Lolivier, délégué général de la Fevad (fédération de l'e-commerce et de la vente à distance). « Si l'on souhaite mesurer l'ampleur du phénomène et son potentiel à long terme, il faut d'abord s'intéresser à l'opinion des consommateurs pour ce nouveau service », étaye le CEO d'Episto, qui a mené une étude sur le sujet. « Ce qui ressort de cette étude se résume en deux points. D'une part, les courses en magasin sont encore largement plébiscitées puisque seul 1 Parisien sur 10 utilise la livraison express. Ensuite, les Parisiens sont encore largement mitigés sur l'arrivée de ces nouveaux services », explique le CEO.
Plus d'un utilisateur sur deux a recours à la livraison express pour gagner du temps dans son quotidien (57 % selon Episto). En dépit de l'aspect pratique et du gain de temps que représentent ces services de livraison, de nombreux consommateurs y voient des conséquences négatives sur divers secteurs. L'étude montre ainsi que 70 % des personnes interrogées pensent que le quick commerce a un impact négatif sur les commerces de proximité et 75 % d'entre elles considèrent que ce secteur devrait être plus réglementé.
Les nouvelles règles du jeu
« L'arrivée de nouveaux acteurs et de nouvelles formes de distribution, comme le quick commerce, répond à de nouvelles demandes des consommateurs », déclare Jacques Creyssel, délégué général de la FCD (fédération du commerce et de la distribution). Et qui dit nouveau jeu dit nouvelles règles... « Le gouvernement a émis une série de bonnes pratiques pour favoriser le développement du quick commerce, mais en l'absence d'une réglementation concrète, ce sont les règles d'urbanisme qui servent de référence », détaille Frank Rosenthal.
Concrètement, les quick commerçants ne peuvent plus implanter de dark stores dans des immeubles d'habitations puisque de nombreux élus les considèrent comme des entrepôts et non comme des locaux commerciaux. La question de l'urbanisme était ainsi au coeur des débats ces derniers mois. La ville de Paris, par exemple, a notamment demandé la fermeture de 45 dark stores qui ne respectaient pas le PLU (plan local d'urbanisme). « L'implantation des dark stores dans les villes pose aussi des problèmes de voisinage à cause du bruit, des livraisons, des allers-retours, ce n'est pas agréable pour les riverains. Le gouvernement français encourage les acteurs à repenser leur modèle pour proposer, par exemple, du click & collect. Cela permettrait de limiter l'effet entrepôt à Paris », explique l'expert en marketing du commerce, Frank Rosenthal.
Dans le but de limiter un mouvement général d'ubérisation des centres-villes, de nombreux acteurs et élus s'engagent et proposent des discussions afin d'orienter le débat. En février 2022, France Urbaine, association des métropoles et communautés urbaines, expliquait « qu'après les meublés touristiques (Airbnb), les drives ou la livraison de repas à domicile, les dark stores et dark kitchens participent à une ubérisation de la ville qui peut, si elle n'est pas concertée et encadrée, provoquer sa dévitalisation voire sa déshumanisation. »
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Les quick commerçants doivent donc trouver de nouveaux modèles d'exploitation pour améliorer leur image et leur rentabilité par la même occasion. Getir a ainsi lancé des dark stores franchisés en France, permettant de baisser les coûts des entrepôts. Gorillas de son côté envisage de travailler avec des partenaires locaux. GoPuff ouvre des magasins en physique aux États-Unis. « Le quick commerce va être vraisemblablement, de plus en plus intégré à la proximité », exprime Frank Rosenthal. Le débat est aussi lancé sur l'implantation de dark stores dans des espaces urbains vacants ou inutilisés comme les garages ou parkings.
Au-delà des questions d'urbanisme que le quick commerce pose, il y a également des enjeux de service. « On observe déjà une canalisation du secteur, c'est-à-dire que le nombre d'acteurs se régule. La notion de temps, elle aussi va s'estomper. Les quick commerçants se rendent compte qu'ils ne peuvent pas tenir la promesse de la livraison en 10 minutes. Ils changent leur communication à ce sujet et parlent désormais de livraison rapide, en quelques minutes, sans préciser la durée », observe le délégué général de la Fevad. Les quick commerçants ont ainsi enterré la livraison en 10 ou 15 minutes pour rallonger les temps de livraison et regrouper des commandes afin de rendre les livraisons plus rentables.
En 2021, le marché français représentait seulement 122 millions d'euros (source IRI), encore loin derrière les résultats du marché global de l'alimentation. Pour espérer s'installer durablement dans le paysage commercial, les épiciers 2.0 n'ont d'autre choix que de réduire leur dépense en marketing et publicité et capitaliser sur l'augmentation du panier moyen client ou encore les formules d'abonnements comme les acteurs de la livraison de repas l'ont fait. Gorillas, avec le rachat de Frichti commercialise désormais de nouveaux produits comme des plats préparés. De son côté, Cajoo, racheté par Flink en mai 2022 élargit sa gamme et propose désormais des produits non alimentaires après un partenariat avec Fnac Darty pour proposer des chargeurs, écouteurs, livres et autre jeux de société.
Tarissement des financements et rentabilité menacée
Pour rentabiliser leur business, les acteurs du quick commerce n'hésitent pas à licencier des personnes dans leurs rangs. Getir a remercié près de 4000 collaborateurs, soit 14 % de sa masse salariale mondiale selon TechCrunch. L'effet boule de neige ne s'est pas fait attendre bien longtemps, GoPuff a licencié 500 salariés et Gorillas s'est séparé de 300 collaborateurs. « Dans notre étude, 63 % des personnes interrogées pensent que le quick commerce a un impact négatif sur la qualité des emplois », note Jérémy Lefebvre, CEO d'Episto. Sur le plan sociétal de nombreux efforts sont à fournir de la part des quick commerçants qui licencient aussi rapidement que leurs services vous livrent vos courses. « Les enjeux RSE ne doivent pas être négligés par ses acteurs. Les performances financières RSE sont prises en compte par les investisseurs », souligne le délégué général de la Fevad.
Et lorsqu'on parle d'employabilité dans le quick commerce, les acteurs emploient leurs livreurs en CDI. Un modèle qui se veut plus vertueux que les entreprises de livraison de repas comme Uber Eats ou Deliveroo mais un modèle surtout moins bénéfique économiquement. Il faudrait que les livreurs effectuent près d'une dizaine de livraisons par heure pour que les épiceries 2.0 ne perdent pas d'argent. Une solution évoquée à ce manquement serait l'automatisation des entrepôts, « une solution difficile à mettre en place dans des petits espaces comme les dark stores dans les villes qui ne font généralement que quelques centaines de mètres carrés », concède Pascal Malotti, business developpement et patron de la stratégie de Valtech.
Pour s'assurer des revenus récurrents - dont les investisseurs raffolent pour estimer la stabilité et de la pérennité d'une start-up - les acteurs du quick commerce freinent également leur expansion géographique à l'instar de Gorillas qui se focalise désormais sur cinq pays à savoir la France, l'Allemagne, les Pays Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis. Exit donc la Belgique ou encore l'Espagne pour la start-up allemande.
Le quick commerce enregistre au global 636 000 visiteurs uniques en avril 2022 (source Médiamétrie) et représente 24 % des livraisons à domicile selon Nielsen IQ, les experts en commerce s'accordent à dire qu'il s'agit d'un modèle qui se cherche encore avec un fort potentiel dans la diversification des produits et services.
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