Le business du Tour de France
La Grande Boucle est une occasion en or pour les marques de toucher leur public. Un partenariat qui a un prix.
Je m'abonneIls sont près de 40 partenaires du Tour de France cette année. Pour intégrer le cercle très fermé des marques qui sponsorisent les quatre maillots, le fameux "Club du Tour", et bénéficier d'une visibilité d'envergure en exclusivité, il faut débourser entre 3,5 et 5 millions d'euros annuels. C'est le cas de LCL, parrain du maillot jaune, de Vittel, pour le maillot du vainqueur d'étape, ou de Carrefour, pour le maillot à pois.
Suite au départ de PMU, qui sponsorisait le maillot vert, le Club version 2015 connaît le jeu des chaises musicales : le maillot vert est passé entre les mains de Skoda, qui sponsorisait l'an dernier le maillot blanc... lequel est désormais supporté par Krys, nouvel arrivant. Autre nouveauté : le maillot vert intègre cette année le Club du Tour, qui compte donc pour la première fois cinq membres, une première depuis la création de l'événement sportif, il y a plus d'un siècle.
Viennent ensuite les partenaires officiels, au nombre de sept cette année (RAGT, Orange, AG2R, Le Coq Sportif, Antargaz, Festina et Dimension Data, nouvel arrivant). Le ticket d'entrée tourne ici autour de 1 à 1,5 million d'euros par an. À ce tarif, pas de maillot à sponsoriser mais des récompenses annexes, comme le Prix de la Combativité, parrainé par Antargaz, ou le Classement par Équipes, sponsorisé par RAGT. Ces sponsors-là bénéficient d'un pavillon au village, d'une place dans la caravane publicitaire et d'un droit de communication associé au Tour.
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Des centaines de milliers d'échantillons distribués
Plus nombreux, les fournisseurs officiels regroupent 14 marques cette année, parmi lesquelles BIC, Sodexo, Cochonou, Ibis, les galettes Saint-Michel, Le Gaulois ou Kleber. Pour un prix compris entre 300 000 et 500 000 euros, elles ne sont pas associées au volet sportif mais à des opérations de trade marketing, principalement. Sans oublier, enfin, la célèbre caravane publicitaire, qui précède les coureurs avant chaque étape.
L'occasion pour les marques de distribuer leurs célèbres "goodies" pour 250 000 euros de droits d'entrée. "C'est, juste après le sport, la raison pour laquelle les gens viennent sur le Tour de France", rappelle Laurent Lachaux, directeur commercial et des partenariats chez Amaury Sport organisation (A.S.O.). Pour l'organisateur de l'événement, la caravane sert également d'antichambre aux partenariats, et lui permet "d'attirer des marques qui s'impliqueront ensuite davantage dans le Tour".
Pour sa première Grande Boucle en tant que sponsor du maillot vert, qui récompense le classement par points, le constructeur automobile Skoda aligne huit véhicules dans la caravane 2015. De son côté, Cochonou présente sept voitures, toutes des 2CV, devenues le symbole de la présence de la marque sur le Tour de France : "La 2CV, que nous utilisons sur le Tour depuis 1999, reflète l'image de la France. Nous aménageons chaque année les véhicules en fonction du produit à mettre en avant et du slogan. Cette année, la 2CV traduit notre nouveau slogan "Cochonou, un petit bout de chez nous"", indique Patrick Bombart, responsable du pôle saucisson de la marque.
En tant que fournisseur officiel, Cochonou mise traditionnellement beaucoup sur la caravane, "une occasion unique d'être en contact avec les consommateurs et de distribuer des centaines de milliers d'échantillons". La marque, élue par le public "Caravane du Tour de France 2014", compte distribuer cette année, aux 15 millions de spectateurs amassés sur le bord des routes, ses sachets de mini-saucissons ainsi que 100 000 bobs collector, et trancher 1 900 saucissons entiers pour la dégustation sur la ligne d'arrivée, soit neuf tonnes de cochonnaille.
Des retombées colossales pour les marques
Un investissement colossal, donc, mais des retombées en proportion : la course cycliste, diffusée dans 190 pays et regardée par plus de 4 millions de téléspectateurs rien qu'en France (sur France Télévisions), générerait des retombées dont l'équivalent publicitaire se mesure en dizaines de millions d'euros. "En s'associant à un tel événement, nous cherchons à consolider la préférence de marque, sur les plans qualitatif et émotionnel, dans un contexte qui touche le coeur des Français", argumente Estelle Guérin, directrice de l'enseigne Krys.
Cette année, l'opticien renforce son partenariat en parrainant le maillot blanc, porté par le meilleur jeune coureur. "Une récompense qui correspond à notre signature "Vous allez vous aimer ", prônant la révélation de soi-même et l'affirmation de soi", précise Estelle Guérin. En outre, pour la deuxième année consécutive, Krys est "Opticien officiel du Tour de France" et communique ainsi sur son expertise métier. L'enseigne va équiper les caravaniers et l'ensemble de l'organisation avec 2 250 lunettes de sport officielles.
Cette année, elle lance, enfin, un dispositif de communication à 360 degrés pour faire rayonner le slogan "Made in France by Krys", mis en avant sur la Grande Boucle. Au programme : partenariat sur le Tour avec remise de maillot à chaque étape, voitures en course, présence sur les villages de départ et d'arrivée, invitations de VIP, distribution de "goodies", le tout accompagné d'un plan médias, d'un volet en magasin avec PLV, leaflets et jeu-concours pour gagner un vélo Krys, sans oublier un programme d'incentive pour motiver les équipes en interne. La marque n'a pas souhaité communiquer sur le budget de l'opération mais parle d'un investissement "équivalent à une très grosse vague de communication en télévision".
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Crédit image illustration : A.S.O.
Chez Cochonou, on concède que le partenariat avec A.S.O. représente un tiers du budget de la marque sur le Tour de France : "Il faut y ajouter un tiers pour l'animation et la caravane, et un dernier tiers pour la communication dans les médias", avoue Patrick Bombart. Selon nos calculs, Cochonou investirait dans le Tour quelque 750 000 euros annuels.
Pour l'organisateur, le plus important est de permettre à chaque marque de s'intégrer intelligemment dans le dispositif, en utilisant au mieux son histoire et ses valeurs. "Comme dans un orchestre symphonique, chacun doit pouvoir jouer sa partition", dit en souriant Laurent Lachaux d'A.S.O. Ainsi, BIC va proposer les services d'un barbier sur le village de départ.
Un maillot plus sombre pour coller au logo du sponsor
"Nous sommes capables de proposer du sur-mesure. Skoda a souhaité modifier la couleur du maillot vert cette année, en l'assombrissant légèrement pour coller davantage à son logo. Nous avons accepté mais pas question de faire n'importe quoi non plus". Parfois, l'organisation doit aussi faire face à quelques tensions chez les partenaires : "Il nous est déjà arrivé de devoir démonter des panneaux publicitaires à cause du vent, ou de répondre d'audiences TV en baisse", avoue Laurent Lachaux.
Mais le Tour offre aussi aux partenaires des moments de visibilité inespérés, comme lors de l'étape de Bastia en 2013, où le car de l'équipe Orica reste coincé sous le portique de la ligne d'arrivée à quelques minutes de l'arrivée des coureurs. Bilan : l'image du grand logo Vittel, affiché sur le portique, passe en boucle à la télévision.
Des sponsors fidèles
Des imprévus qui n'empêchent pas les annonceurs de rester fidèles au Tour. Si les contrats sont signés pour une durée comprise entre trois et cinq ans, la durée moyenne d'un partenariat est de 17 ans. LCL, sponsor historique du maillot jaune, est présent sur le Tour depuis 35 ans et Orange (en incluant les années France Telecom), depuis plus de 45 ans.
En 2015, le Tour de France compte tout de même cette année un nouveau venu, avec le sud-africain Dimension Data, recruté par l'organisation après une grande vague de prospection autour du monde. Ce spécialiste de la donnée va apporter son expertise pour livrer des informations sur l'inclinaison de la pente ou l'écart en temps réel entre les coureurs. Mais attention à la concurrence entre les marques : Antargaz, partenaire historique, "bloque" ainsi l'accès à tout autre acteur du secteur énergétique, quand la présence d'AG2R ne permet pas à un autre assureur de rejoindre les sponsors du Tour.
Chez les partenaires actuels, les idées ne manquent pas pour optimiser la superbe vitrine offerte par le Tour de France, autour d'une même idée : mettre les fans en avant. Cochonou a ainsi créé, en 2006, le blog "Cochonou et vous", qui attire 300 000 visiteurs uniques par mois de mai à août, et jusqu'à 1 500 visites quotidiennes pendant le Tour.
"Nous avons beaucoup d'échanges avec le public. Certains nous préviennent qu'ils seront déguisés aux couleurs de la marque à tel kilomètre de l'étape du jour. Notre équipe sur place, un cameraman et une personne chargée du contenu, peut les prendre en photo et les mettre en avant sur le blog, affirme Patrick Bombart. En tant que fournisseur officiel, nous n'avons pas accès aux images de la course. Ce blog nous permet donc de livrer un point de vue différent, loin de la montagne d'informations fournie par les médias".
De son côté, Skoda renouvelle en 2015 l'opération "Skoda Fan Tour", qui vise à animer et récompenser ses fans en relayant leurs créations autour du Tour de France, de la peinture sur paille aux "crop circles" dans les champs. La plateforme, renommée cette année "We Love Cycling", permet aux fans de se créer un compte puis de publier leur création ou de commenter celles des autres. Car, pour les marques, le Tour est aussi un extraordinaire outil pour animer leurs communautés et renforcer le lien avec leurs consommateurs.
L'AVIS DE L'EXPERT :
Marc Mazodier : "Le message de la marque doit être compréhensible et persuasif"
N'y a-t-il pas, pour les partenaires du Tour de France, le risque de voir leur message dilué parmi tous les autres ? Pour Marc Mazodier, la réponse est évidente : "Le Tour a l'inconvénient, contrairement à d'autres événements sportifs, que toutes les équipes et leurs sponsors respectifs participent à la course au même moment, ce qui diminue les chances de mémorisation chez les spectateurs. C'est comme si les 20 équipes du championnat de France de football participaient au même match, et les marques devraient communiquer en même temps." S'ils veulent accroître la mémorisation de leur marque sur un événement comme le Tour de France, "il est primordial, pour les sponsors, que leur message soit compréhensible et persuasif. Sinon, il n'aura pas d'impact sur le consommateur".
Sur le Tour de France, les marques doivent également éviter le scepticisme ou la réaction négative éventuelle des spectateurs face à un spectacle qui perdrait son authenticité (on se souvient de l'affaire de dopage, en 1998) ou qui verserait dans le mercantilisme. "Il a été démontré que les consommateurs peuvent adopter une attitude négative devant un événement télévisé associé à de trop nombreuses marques".
Marc Mazodier est enseignant-chercheur à la Hong Kong Baptist University. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le marketing sportif et le sponsorship.
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